Publié le: 7 octobre 2016

Les rencontres improbables, les meilleures

BIOMéTRIE – Avec ses compétences reconnues dans le signal acoustique et optique, l’institut Idiap s’adresse aussi aux PME 
qui cherchent à innover. Interview avec François Foglia, directeur adjoint qui ouvre les portes des chercheurs aux entreprises.

En matière de révolution numérique, François Foglia, directeur adjoint de l’Idiap, n’est pas le premier venu. Il est l’un de ceux qui rendent possible, depuis de nombreuses années, ce vent bénéfique qui souffle sur les chercheurs et les start-ups en Valais. Quelques heures après son retour de la côte Ouest des Etats-Unis, ce grand rassembleur nous reçoit un matin d’été dans cet institut situé à Martigny.

Si l’été est calme, la cybersécurité est brûlante, voire incandescente. Pas seulement à Berne, du reste. «Il y a quelques semaines, j’ai participé à un meeting à l’EPFL, raconte-t-il. Tous les acteurs étaient regroupés là, PME, chercheurs, décideurs…» A l’écouter, on réalise à quel point la difficulté ne réside pas dans l’accord des bonnes volontés. «La complexité est surtout due à l’étendue du sujet», lâche-t-il. Un temps de réflexion, il enchaîne: «Que faut-il entendre par cybercriminalité? Parle-t-on d’infrastructures, de cryptographie, ou bien du transport de messages, de biométrie, de l’utilisation des données, voire de la manière dont elles sont protégées?»

A Martigny, les dés ont été jetés il y a trois ans déjà. Grâce au soutien de la Ville et du canton du Valais, le Centre Suisse de Recherche et d’Evaluation en Sécurité Biométrique a poussé très vite. «Notre excellence est reconnue à l’international et nous participons à plusieurs projets européens et américains. En Suisse, peu d’acteurs peuvent se prévaloir d’une telle expérience. Dans le nouveau cadre fédéral qui se crée, le but de l’Idiap sera de jouer sa carte sur le plan biométrique et la lutte contre l’usurpation d’identité.»

Ceux qui auraient l’impression de se retrouver dans un champ de recherche balisé feraient fausse route. C’est comme si le domaine croissant de la biométrie ne connaissait pas de bornes. Comme dans toute lutte contre le cybercrime, la croisade contre les méchants se poursuit sans trêve ni repos, avec cette fameuse longueur d’avance des pirates sur les gentils. «Si un visage est un indicateur fiable pour reconnaître une personne, arrive-t-on à entrer dans un système en brandissant une photo? La réponse est oui, sauf si on inclut une intelligence qui puisse s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’un cliché.» Dans ce monde, attaques et contre-attaques co-évoluent.

Le chercheur aime les questions-réponses. Il sort une carte de crédit de son portemonnaie (avec une puce incrustée) rappelle que les mots de passe nous encombrent l’esprit. «Cette puce est-elle plus sûre que mon visage ou ma voix? Bien sûr que non! Les gens notent leurs codes PIN sur un papier et utilisent le même mot de passe (qwert, 1234, etc). De la même manière, les biométries ont leur faiblesse. Les doigts laissent des traces. Des masques imitent les visages. Une voix peut être contrefaite, même si ce n’est pas à la portée de n’importe quel pirate.» Mais aussi: ces attaques peuvent être détectées. C’est précisément une partie du travail de l’Idiap. Interview «comment les méchants peuvent-ils encore passer entre les mailles du filet»!

JAM: Quelles sont aujourd’hui les forces réelles de l’Idiap?

nFrançois Foglia: Celles de ses chercheurs! Pour des raisons historiques dues aux travaux du professeur Hervé Bourlard, nous sommes très forts sur la voix. Puis, de nombreux collaborateurs nous ont rejoints dans l’image, avec les travaux du professeur Sébastien Marcel et le lancement du centre de biométrie. Pour simplifier, l’Idiap a été construit avec des briques interdisciplinaires. Il y a 
25 ans, cela n’était pas évident de faire travailler des gens provenant de disciplines différents. La première brique fut l’analyse du signal sonore, la seconde celle de l’image. Les ­mathématiques utilisées étaient identiques. Ensuite, les briques se sont diversifiées naturellement: machine learning, deep learning, réseau de neurones. Nos chercheurs s’activent dans des domaines complémentaires, robotique, imagerie biomédicale, comportement social et humain, 
traitement du langage naturel, compréhension du mot et de la phrase, traduction, linguistique numérique…

Dans la cybersécurité, que faites-vous actuellement?

n Nous avons un projet avec la BBC, Deutsche Welle (DW) et la télévision du Qatar, pour écouter en direct et en temps réel toutes les broadcast news (nouvelles). Ce n’est plus de la biométrie, mais de la cybersécurité. On essaie de détecter les points chauds et les nouvelles les plus récentes. A San Francisco, le quartier de mon hôtel était bouclé et j’ai demandé à un passant ce qui se passait. Sur les réseaux sociaux, il m’a montré ce qu’une voisine filmait depuis son balcon. Notre projet permet de détecter ce type de sujets, parfois d’importance vitale.

Participez-vous aussi à des projets liés à la cybersécurité?

n Oui, nous en avons un avec Armasuisse et DARPA (USA). En dépit de notre sens éthique développé, il serait dangereux que nous n’y participions pas. C’est inévitable, nous sommes les meilleurs dans ce domaine. Analyser des bandes en cas d’attentats ou de menaces, pourquoi pas! Il existe aussi un projet avec Interpol. C’est public, mais nous ne pouvons pas en dévoiler les détails.

En 2002, vous avez travaillé 
sur les bandes d’Oussama ben Laden?

n Nous avons reçu un coup de téléphone de France2. Ils savaient que le professeur Bourlard pouvait analyser leurs bandes. Le résultat obtenu est une probabilité qu’il s’agisse de cette personne. La probabilité était positive dans ce cas. Ce fut immédiatement un buzz planétaire. Tout le monde nous appelait et le professeur Bourlard se serait bien passé de toute cette publicité.

Les PME suisses sont-elles prêtes pour la révolution numérique?

n Nous péchons tous par naïveté. Une PME dans la maçonnerie ou un garagiste semble très éloignés de cette réalité. En revanche, il faut faire attention à tous les messages que l’on reçoit, quand on nous demande de cliquer sur tel lien pour un paiement qui n’est pas passé. Nous en recevons tous les jours!

Avez-vous des projets applicables aux PME?

n L’une de nos start-ups, KeyLemon, sécurise les transactions en utilisant les techniques de la biométrie (reconnaissance de visage). En fait, nos chercheurs et les entreprises sont deux mondes qui ont tout intérêt à se rencontrer. Et tant pis si les rencontres sont parfois improbables, car très souvent, ce sont les meilleures! Nous construisons des algorithmes, nous faisons de la science et de la recherche fondamentale. Et nous n’avons pas forcément une vue très claire de ce qui se passe dans la réalité du terrain. C’est pour cette raison que le contact avec les entreprises est important à nos yeux.

Les PME peuvent-elles s’adresser à vos services?

n Oui, elles sont bienvenues. Nous avons formalisé cela sous la forme d’une boutade, «Tech a break» . Avec nos invités, nous prenons un lunch avec d’autres personnes que j’invite. Parfois cela débouche sur des avancées, parfois pas. Les PME viennent nous voir et nous discutons librement. Nous cherchons des solutions.

Auriez-vous un exemple réel à nous présenter?

n Aisa construit des machines pour la production de tubes plastiques et laminés, comme ceux utilisés pour les crèmes cosmétiques et le dentifrice. Suite à une discussion informelle avec l’un de nos collaborateurs, une première collaboration a permis d’élargir le spectre d’utilisation de leurs machines tout en facilitant leur réglage en profitant de l’expérience de l’Idiap dans le domaine de l’apprentissage automatique. Cette approche innovante a abouti selon eux à une solution simplifiée et efficace pour laquelle un brevet a été déposé au nom de l’entreprise.

Comment se passe le transfert technologique à l’Idiap, comparé à celui qui se pratique, disons, à l’EPFL?

n La mission principale de l’EPFL consiste à former des ingénieurs. Leur grand mérite consiste à faire beaucoup d’autres choses et avec de grandes réussites. A l’Idiap, nous sommes libres de fixer nos missions là où nous le souhaitons. Chez nous, le transfert technologique représente environ 10% du budget de l’Idiap et les projets de recherche compétitifs environ 50% de ce montant. La formation à l’Idiap représente une partie moins importante du budget, même si un collaborateur scientifique sur deux est un doctorant.

Formez-vous des apprentis?

n Pas directement. Par contre, il nous est arrivé d’accueillir, pendant quelques mois, des apprentis d’autres entreprises pour qu’ils puissent compléter leur formation dans des secteurs non couvert par leur employeur.

Quel est votre message aux PME?

n Si vous avez un cauchemar industriel auquel une solution informatique pourrait mettre fin, venez nous voir, parce que nous avons peut-être une solution technologique pour vous! Ce peut être au niveau productivité, sécurité, processus. Personne ne peut le savoir avant d’avoir essayé de trouver des réponses concrètes à un problème donné. Il suffit d’essayer.

Texte et interview:

François Othenin-Girard

portes-ouvertes

25e anniversaire

Tout récemment, le 1er septembre dernier, une journée portes-ouvertes a réuni les industries, les PME et les chercheurs à l’occasion du 25e anniversaire de l’Idiap. Plus de 200 personnes ont participé à cette journée. Les participants ont pu, non seulement, découvrir les différents groupes de recherche de l’Idiap dans le cadre de conférences plénières, mais également comprendre les technologies développées à l’institut au travers d’une trentaine de démonstrations organisées dans les quatre étages du Centre du Parc de Martigny. JAM

Les plus consultés