Publié le: 6 octobre 2017

Ma PME, mon association, ma région

RECHERCHE – En Gruyère et dans la Veveyse, les associations et la vie locale profitent des contributions des entreprises. A hauteur de 45 millions de francs redistribués chaque année par l’économie privée. Caroline Menoud, la HEG et la FPE ont enquêté.

C’est la première étude du genre et ses conclusions frappent le monde économique romand. On s’en doutait, mais pas à ce point. Les entreprises de Gruyère et de la Veveyse redistribuent chaque année 45 millions de francs en faveur des associations de ces deux régions.

C’est une jeune chercheuse qui l’a trouvé: Caroline Menoud, curieuse de dynamiques locales, a su mettre en évidence le degré d’implication des entreprises dans la région en bûchant sur son travail de Bachelor à la HEG de Fribourg. Un projet intitulé «Impact financier des entreprises des districts de la Gruyère et de la Veveyse sur la vie associative.»

Un phénomène qu’elle a vécu

Mais à titre personnel, quels liens entretenait-elle avec son sujet? «J’ai fait partie d’associations et participé aussi à l’organisation d’événements pour la jeunesse à l’occasion notamment de la Fête nationale suisse dans mon petit village de la Gruyère, nous raconte-t-elle. Cela nécessitait des besoins financiers et en nature. Pour faire fonctionner notre événement, il nous fallait demander un soutien aux entreprises. C’est donc un phénomène que je connais aussi de l’intérieur. Bien sûr, chaque entreprise est libre d’accepter ou de refuser, mais une majorité semble heureuse de nous aider.»

Des entretiens 
avec les PME

Mais revenons-en à la méthodologie: «J’ai d’abord mené une enquête qualitative sur la base d’entretiens avec des entrepreneurs, explique Caroline Menoud à ce sujet. J’ai choisi cinq entreprises de différentes tailles, ayant remarqué que plus elles étaient grandes, plus leur impact était important. Puis, j’ai composé en fonction des deux districts. J’ai enfin procédé à certains contacts par le biais de la Fédération patronale et économique (FPE), où je suis employée – car il s’agissait d’un travail à réaliser dans notre entreprise.» Et quelles furent les surprises? «Le fait que même sans avoir aucun retour, de nombreuses structures choisissent de soutenir la vie associative. Ce n’est pas en mettant un logo dans une brochure ou en finançant un ballon de match qu’elles parviendront à obtenir des retours financiers. Mais elles ont à cœur de soutenir leur région.»

Un grand sondage en ligne

Dans la foulée, Caroline a lancé une enquête quantitative sous la forme d’un questionnaire en ligne. Au cœur d’un bassin économique de 4719 entreprises, le sondage porte sur 90 entreprises «scientifiquement représentatives» du tissu économique de la région étudiée. La marge d’erreur est de 5%. L’échantillon comprend une majorité de PME entre 1 et 50 collaborateurs, aucune entreprise de plus de 1000 employés, 16,66% de l’échantillon se compose de structures entre 51 et 1000 salariés.

La question du risque d'image

Au final, un chiffre crée la surprise: 45 millions de francs redistribués, qui se décomposent en 27 millions de francs (60%) effective­ment versés et de 18 millions de francs (18%) en nature (biens et services). Montant du soutien par entreprise: 5730 francs (financier) et 3800 francs (en nature). Soit un total de 9531 francs par PME!

Quelques trouvailles encore: 80% des répondants estiment que le sponsoring améliore la notoriété, ils sont un tiers à affirmer n’avoir aucun problème à attribuer du sponsoring, tandis que 31,11% des entreprises précisent qu’elles le ressentent comme une sorte d’obligation, afin de soigner leur image. Et la chercheuse d’expliquer: «Un responsable du marketing nous a expliqué que lorsque l’entreprise refuse de sponsoriser une manifestation ou une activité, elle peut froisser les demandeurs, avec un risque de voir des portes commerciales se fermer.»

Les PME sont très sollicitées

Donner aux associations, certes, mais quelles sont les motivations invoquées par les entreprises? Selon la jeune chercheuse, la première est la «proximité». En second viennent «les raisons liées aux contre-affaires et au réseautage». On mise sur d’éventuelles commandes que les membres du comité consommeraient à titre privé. Le but du sponsoring est de «générer des échanges». En troisième, les entreprises donnent de l’argent «lorsque leurs collaborateurs sont impliqués». Cela permet de fidéliser ces derniers et de donner une bonne image à l’extérieur. Enfin, un certain nombre d’acteurs ont le sentiment de donner «à fond perdu».

Dans les PME, la gestion des demandes prend du temps. De deux à trois fois par année (16% des répondants), à plusieurs fois par mois (28%), voire plusieurs fois par semaine (14%). Le nombre de sollicitations varie en raison proportionnelle à leur taille. Qu’en disent-elles? «Que tous les jours, c’est beaucoup, mais que cela fait partie du jeu», résume la chercheuse. Que c’est le jeu à jouer dans le paysage local: «Une région qui ne soutient pas ses activités, c’est une région qui meurt.» Du côté des thèmes, c’est le sport en tête (76%), suivi par la musique (66%), la jeunesse (61%) et la culture (49%), devant le social (29%).

Les acteurs de notre Ă©conomie

La FPE soutient la démarche de sa collaboratrice en présentant les résultats aux médias et via une campagne de communication. L’enjeu est fort, avec cette manne de proximité redistribuée à une population locale qui, ici comme ailleurs, tend à augmenter ses dépenses sur Internet et à l’étranger. «Le commerce de détail est en pleine mutation, la digitalisation et le commerce online représentent un dixième des achats hors de nos frontières et trop souvent, le prix est le critère unique», lance Nadine Gobet, directrice de la FPE. Cette étude cautionne leur mission auprès de 3600 entreprises et indépendants qui assurent la promotion et la défense des acteurs de notre économie locale. «Il faudrait que ce réflexe local, qui consiste une fois l’an à aller chercher des fonds dans les entreprises de la région pour un giron de jeunesse, les instruments d’une fanfare, un passeport vacances ou un maillot pour les juniors du club, se reproduise également toute l’année, lorsque nous faisons nos achats, analyse Nadine Gobet. Nos enfants, notre région, notre cohésion sociale et les places d’apprentissage, tout en dépend.»

Et ailleurs, est-ce pareil?

Le modèle est-il extrapolable? A d’autres régions, aux villes, à l’ensemble du pays? Difficile de le dire sans mener une autre enquête. Si la dimension identitaire locale est forte en Gruyère, elle l’est aussi dans le reste de la Suisse. L’envie de poursuivre les recherches est là. Un dossier à suivre avec attention.

François Othenin-Girard

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