Publié le: 6 juillet 2018

Machinerie complexe

rocco cattaneo – Le radical tessinois remplace Ignazio Cassis au National. Un coup de génie, estime-t-il, consisterait à simplifier la complexité bureaucratique. Cet entrepreneur est aussi un cycliste accompli doté d’un mental de grimpeur.

Journal des arts et métiers: Vous avez succédé au conseiller fédéral Ignazio Cassis au Conseil national en novembre 2017. Vous êtes un entrepreneur tessinois de deuxième génération. Quels furent les éléments de surprise en arrivant à Berne?

Rocco Cattaneo: L’impressionnante machine à fabriquer les lois et son fonc­tionne­ment complexe. D’autre part, le rythme bernois, parfois difficile à accepter pour des entrepreneurs habitués à une prise de décision rapide, parfois instinctive. Il faut se munir de patience. À cela s’ajoutent les nombreuses personnes à rencontrer. Je suis vraiment dans un processus d’apprentissage.

À la tête d’une PME familiale, quelles seront vos priorités politiques?

Déployer une grande énergie pour défendre les PME. Descendre dans l’arène, se défendre contre les attaques des partis et des groupes qui veulent toujours plus de réglementations et surchargent l’État en lui confiant de nouvelles tâches.

«le rythme bernois, parfois difficile à accepter pour des entrepreneurs.»

Améliorer la vie des petits entrepreneurs et celle des citoyens. Et protéger nos libertés, c’est une lutte de tous les instants. Une priorité cruciale est d’améliorer nos conditions- cadres, la formation, la fiscalité, les infrastructures, la mobilité, la sécurité publique et la stabilité politique, les coûts de l’énergie. Un coup de génie serait de pouvoir simplifier toute la machine. Avec mes collègues, nous y pensons beaucoup.

 

En politique fiscale, quelles sont les erreurs Ă  ne pas commettre?

Sur la fiscalité, le PF 17 doit être soutenu. Les grandes entreprises doivent pouvoir rester ici. Elles représentent des emplois et des mandats pour les PME. D’un autre côté, les petites entreprises ont toujours payé leurs impôts sans bénéficier de privilèges.

«Sur la fiscalité, le PF 17 doit être soutenu.»

Et c’est à nous maintenant de les aider en payant plus d’AVS! Pour conclure, ce projet est un compromis dont nous avons besoin, même s’il n’apporte pas grand-chose aux PME.

 

Vous venez d’une région frontalière, le Tessin, où les petites entreprises sont exposées à une forte concurrence italienne. Comment voyez-vous la situation se développer?

Un secteur qui souffre beaucoup est celui des commerçants et de la restauration, où en Italie, en moyenne, vous dépensez la moitié de cette somme dans nos locaux. En fait, au Tessin, en particulier dans le Sottoceneri, il y a beaucoup de magasins qui ont fermé ou sont en train de le faire. Pour le reste, on peut dire que l’économie cantonale, comme le confirme une récente étude de l’Institut de recherche économique BAK, s’est considérablement renforcée ces dernières années, grâce à une réorientation structurelle importante.

Le Tessin a pu créer de nombreux nouveaux emplois, dont le nombre s’élève au-dessus de la moyenne suisse. Aujourd’hui, nous avons un taux de chômage d’environ 2,8%, le même niveau qu’avant l’introduction de la «libre circulation». Je suis très optimiste quant au développement économique futur du canton du Tessin, car nous investissons beaucoup dans la formation, je pense surtout à la SUPSI, à l’USI et aux centres de recherche biomédicale. De plus, j’observe un bon dynamisme dans le secteur secondaire. Dans le secteur tertiaire, après la période difficile traversée par la place financière de Lugano, nous assistons à une nouvelle orien­tation stratégique qui donne de l’espoir pour l’avenir.

 

Ces efforts réalisés par les PME durant cette période, en est-on assez conscient?

Non! J’ai vécu deux campagnes pour le National. Durant ces périodes, les PME sont partout et tout le monde en parle, tous partis confondus! Et quand la fête est finie, regardez d’où viennent les propositions! La crise du franc fort des années précé­dentes est terminée, car le change est redevenu plus favorable. Dans le secteur secondaire, nombreuses sont celles qui ont investi pour améliorer la productivité. Elles ont parfois acheté de nouvelles machines, rationalisé leurs coûts, ou ouverts de nouveaux marchés. Les grands efforts auxquels elles ont dû consentir leur procurent actuellement des avantages visibles. Bref, elles sont à nouveau concurrentielles. La crise vous oblige à trouver de nouvelles solutions.

Et dans le tourisme – secteur dans lequel vous êtes aussi actif, en plus de la logistique et des stations-services, via le Tamaro Park – comment voyez-vous la situation?

Comme la Suisse est plus chère que le reste de l’Europe, il faut investir régu­lière­ment pour chercher à améliorer la qualité de l’offre. En bref, améliorer l’offre pour être plus concurrentiel.

«La crise vous oblige à trouver de nouvelles solutions.»

À titre d’exemple, au Monte Tamaro, nous avons investi dans de nouvelles attractions, comme le nouveau parc aquatique Splash & Spa Tamaro, situé en bas de la station.

 

Sur le thème de l’environnement, quelles sont vos priorités?

Nous devons faire attention aux coûts de l’énergie. Nous avons devant nous la révision de la loi sur le CO2, qui pourrait s’avérer très lourde pour nos PME, pour tout ce qui concerne les constructions, l’isolation. Nous devons nous en tenir à notre position. Ce qui me fait peur à long terme, c’est la question de l’approvisionnement de l’énergie. Sur ce terrain, nous devenons toujours plus dépendants de l’extérieur. Nous allons fermer les centrales nucléaires qui nous assuraient une certaine base de production continue. Donc sur la sécurité de l’approvisionnement électrique et les prix, je vois quelques problèmes à moyen terme pour les PME.

En tant qu’entrepreneur basé au Tessin actif dans trois secteurs (stations-services, site touristique et entreprise de logistique), comment êtes-vous confrontés aux problèmes des coûts de la réglementation?

Les effets sont multiples. Dans les remontées mécaniques, les coûts liés à l’adapta­tion aux nouveaux règlements sont très lourds. Sur la santé et la sécurité au travail, par exemple, on arrive chaque année avec des nouveautés qui, mises bout à bout, impliquent des investissements conséquents, notamment pour nos 26 stations-services et shop-restauration. En vingt ans, les montants investis pour rester aux normes sont juste incroyables.

«Ici à Berne, j’aimerais pouvoir lancer quelques bonnes idées.»

Ancien coureur cycliste, vous êtes également depuis septembre 2017 président de l’Union européenne. Qu’est-ce que le sport apporte en politique?

Nous venons de mettre sur pied un petit groupe de parlementaires cyclistes. Après cette interview, nous ferons notre première sortie. C’est une bonne école de travail et de discipline. On apprend à se fixer des objectifs et à s’y tenir durant des mois. C’est aussi l’amitié, courir dans une équipe. C’est le respect de l’adversaire.

Quel est votre rĂŞve de politicien?

Ici à Berne, j’aimerais pouvoir lancer quelques bonnes idées. Je suis entrepreneur et chez nous, le processus d’amélioration continue fait vraiment partie de notre métier de base. Relancer les clients, chercher de nouvelles voies, se remettre en question!

Interview: François Othenin-Girard

Trajectoire

Le conseiller national

Rocco Cattaneo dispose d’un joli palmarès sur la petite reine. En 1976, il devient champion de Suisse sur route junior (moins de 19 ans). En 1981, il remporte une étape du Giro della Valsesia et en 1985 une étape du Grand Prix Guillaume Tell. En 1986, il participe au Tour d’Italie qu’il termine au 30e rang. L’année suivante, il est cinquième du Tour de Suisse. Durant sa carrière, il prend part deux fois au Tour d’Italie, il participe également au Tour de Suisse et est quatre fois sélectionné aux championnats du monde. En 1994, il met un terme à sa carrière professionnelle. Après sa carrière, il continue à pratiquer le cyclisme. En 2017, il gagne le Marathon des Dolomites dans sa classe d’âge. Né le 6 décembre 1958 à Lugano, il est depuis mars 2018 président de l’Union européenne de cyclisme (UEC).

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