Publié le: 9 novembre 2018

Métamorphose artisano-créatrice

changement d’activité – À Etoy, les Ateliers de la Côte (LAC) hébergent 75 PME d’artisans et d’artistes. Anne-Catherine Schneiter et son frère François Thury sont passés du conditionnement des pommes à un lieu de co-création ouvert sur l’extérieur.

Les automobilistes filant sur l’autoroute entre Genève et Lausanne se demandent parfois quel destin attend ces pommes goûtant le soleil de la Côte. Et puis, aux environs d’Etoy, il y avait cette grande halle longtemps couronnée de quatre mots énigmatiques – «Les Fruits du Roi». Les fruits récoltés dans toute la région étaient acheminés dans des chars tirés par des tracteurs. Entreposés dans de grands frigos, ils étaient lavés, calibrés et conditionnés, puis reprenaient la route.

Aujourd’hui, le bâtiment a changé d’allure. De grandes lettres capitales orangées ornent le toit, «Les Ateliers de la Côte». Au lieu de la tôle ondulée, on voit une myriade de fenêtres (photo ci-contre).

Cap sur l’art et l’artisanat

«Mes ancêtres agriculteurs avaient choisi de se spécialiser dans l’arboriculture.» Anne-Catherine Schneiter (photo de droite, au milieu) et son mari se sont d’abord activés dans le bâtiment, elle dans les enduits de couleur, son époux, zingueur de formation a ensuite créé une entreprise spécialisée (3e photo, machine à coudre recouverte de zinc).

Lors de l’éclatement de la bulle de l’immobilier, les Schneiter mettent le cap sur le tourisme: d’abord en reprenant quelques années le camping des Paccots (FR), puis en lançant la «Ferme imaginaire» à Champoz dans le Jura bernois: un sympathique BnB à la campagne avec des ânes. Cette aventure leur apprend à tisser des liens et à susciter des collaborations entre des acteurs qui s’ignorent.

Musicien de formation, pianiste et compositeur, François Thury est le frère d’Anne-Catherine. En 1995, il reprend l’exploitation familiale et ses 35 collaborateurs. Deux décennies durant, il dirige cette société. «Mais en 2014, les jours de l’exploitation étaient comptés, raconte sa sœur. Face à la concurrence très vive, il ne nous restait plus que deux ou trois années.» Frère et sœur envisagent toutes les alternatives. Vendre, louer, rénover, loger des étudiants. Soudain, une idée a germé, raconte Anne-Catherine. «Nous voulions offrir aux artistes et artisans un espace d’échanges et d’inspiration, une plate-forme de création et de promotion, une visibilité accrue et des échanges avec le public.»

La liste d’attente est pleine

Les arbres fruitiers sont vendus – les terres louées. «Cela n’a pas été facile pour mon père», poursuit-elle. «Pour disposer de liquidités et faire mûrir le projet, nous avons mis en location les entrepôts frigorifiques. En 2016, nous avons lancé un chantier de deux ans, accompagnés par Ernst-Jan Scholten, un brillant architecte hollandais.»

La structure est mise à nu. Du bâtiment, il ne reste plus que la dalle principale et ses piliers. Les investissements s’élèvent à près de 7 millions de francs. On construit une deuxième dalle, donc un troisième étage. Au centre, un patio lumineux, abrité par un toit à deux pans. Le tout est fonctionnel dès l’inauguration au printemps 2018. «Comme nous avions cherché des locataires durant les travaux, nos locaux étaient complets dès l’ouverture.»

La structure de 4000 m2 est donc entièrement habitée. Au rez-de-chaussée, on trouve une cafétéria, une terrasse et un bar. Des food trucks complètent l’offre de restauration à midi et une boulangère passe chaque matin.

Plus loin, on découvre les salles de spectacles gérées par le centre. Dont la grande salle «Steinway» (photo en bas à gauche), 200 places assises pouvant être rapidement reconfigurées. La fameuse marque de pianos a même prêté son nom pour dix ans. Une deuxième salle – le Comedy show – accueille 50 personnes dans une ambiance de cabaret pour diverses performances, expositions temporaires et ateliers.

Balade au village co-créatif

Le centre LAC dispose de studios d’enregistrement (deuxième photo), d’écoles de danse, de musique, de cours de «yoga aérien». Et surtout d’un village de 75 ateliers de 20 à 100 m2. En déambulant avec Anne-Catherine dans ces «rues-couloirs», on réalise que cette configuration favorise les rencontres. On serre une main, une porte s’ouvre sur un lieu de création. Chaque atelier dispose d’une vitrine pour se présenter. Lorsque les locataires le choisissent, cette dernière permet au passant d’observer leurs acti­vités.

Une destination touristique

Dans le plus savant désordre, on y trouve des peintres, des photographes, des calligraphes, des bijoutiers et des joailliers. Il y a aussi des stylistes, des créateurs de meubles et de sacs, des sculpteurs, des céramistes, des musiciens et des danseurs.

Dans tout le bâtiment, les locataires disposent d’espaces d’affichage contre les murs et de petites vitrines. Ces emplacements sont régulièrement tirés au sort afin de créer un tournus. Des contacts se nouent entre eux et débouchent parfois sur des co-créations. Un joaillier français raconte comment la rencontre avec sa voisine, émailleuse issue du monde de l’horlogerie suisse, a permis de mettre au point une série de bagues – que l’on peut admirer dans une vitrine.

Pour Anne-Catherine Schneiter, il s’agit maintenant de faire découvrir ce lieu à un plus large public. Les salles de spectacle, les écoles, les vernissages et les contacts avec les entreprises de la région y contribuent déjà. Il y a aussi les ateliers de physio, d’osthéo et d’ergothérapie, un cabinet d’hygiéniste dentaire, une esthéticienne, deux ateliers de tatouage, de l’art thérapie, une imprimerie, des ateliers de sérigraphie, d’informatique. Il y a même un fablab de micro-mécanique. Autre ouverture, vers les artisans et artistes qui ne résident pas au centre, mais peuvent devenir des «Amis du LAC». Une cotisation annuelle leur permet d’exposer, de participer à des événements, de louer des salles, de gérer une page sur le site.

Elle travaille avec les caristes

Enfin, un partenariat avec les fournisseurs du centre contribue à alimenter un fonds de soutien. Ce dernier est tiré au sort entres les artistes qui en font la demande et permet de soutenir un projet ponctuel. Parmi les signes d’ouverture, la maison Steinway a sélectionné des objets confectionnés par les artistes et les artisans à partir de pièces de piano récupérées. Ces œuvres seront exposées. Anne-Catherine souhaite prolonger cette dynamique. Elle a gardé des contacts dans le monde du tourisme, notamment avec les caristes.

Les artisans et les artistes sont associés à ces démarches. «Nous les avertissons de l’arrivée d’un groupe, poursuit-elle. Quant aux autocars, ils peuvent manœuvrer sans problème et le parking compte 100 places de parc – gratuites. Tout est prévu pour recevoir du monde.»

«Les voyages Buchard nous ont conduit les aînés d’un village fribourgeois. Certains sont même revenus pour acheter un tableau.»

François Othenin-Girard

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