Publié le: 6 avril 2018

Nos vins, nos fromages et notre paysage

FELC – Le Forum de l’économie de La Côte a ratissé large sur l’agriculture et les enjeux décisifs liés au secteur agro-alimentaire. Sous le titre «De la fourche à la fourchette» et avec 260 invités rassemblés au Rosey Concert Hall de Rolle. Impressions glânées.

Que l’agriculture constitue l’un de ces sujets-cactus qui hérissent de manière cyclique le monde politique et le microcosme économique suisse (dont le niveau d’énervement culmine lors des votes populaires), cela n’a rien de surprenant. Mais que ce même bouquet de thèmes – nouant la gerbe avec le monde agro-alimentaire – ait été choisi comme point focal de la 8e édition du Forum de l’économie de La Côte, voilà qui l’est déjà plus!

Les années précédents (huitième édition), on avait plutôt tenté d’assouplir les liens entre l’économie et le monde éducatif ou celui de la santé, des êtres humain ou des exportations, sans oublier la mine pâlotte des innovateurs. Mais jusqu’ici, point de vaches, de colza, ou de tomme biquette – juste ce qu’il fallait de ce fameux petit blanc de La Côte!

Les libéraux lémaniques auraient-ils décidé d’empoigner la bêche pour faire le ménage dans la politique agricole? On se réjouissait de voir les représentants de l’économie privée jouer à fleuret moucheté avec ceux de l’agriculture.

«Les libéraux lémaniques auraient-ils décidé d’empoigner la bêche pour faire le ménage dans la politique agricole?»

À Rolle, où se tenait le raout annuel du FELC, 240 participants se sont confortablement installés dans l’immense salle de concert construite il y a quelques années par l’institut privé Le Rosey. À quel duel allait-on assister? Fidèle au rendez-vous comme co-organisateur, Georges Rime, le président de l’Arcam (sans lien de parenté direct avec le président de l’usam). Présenté comme un homme qui aime le théâtre, les communes, qui est aussi le syndic de Cossonay et qui s’est dit en substance «fier de nos agriculteurs, désireux de garantir à ces derniers de bonnes conditions-cadres et pour l’avenir, de soutenir les métiers de la terre».

Pour sa part, le président de la manifestation, Olivier Feller, entra dans le vif du sujet. «Les enjeux de l’agriculture sont au centre du débat politique depuis deux décennies, a lancé le conseiller national (PLR/VD). Les deux votes récents ont montré qu’il s’agissait aussi d’une question humaine et sociale, identitaire, dépassant les purs enjeux liés à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire.»

«il s’agit aussi d’une question humaine et sociale, identitaire.»

Olivier Feller, président du FELC

Un crédo qui ne pouvait que plaire à Luc Thomas, le très médiatique directeur de Prometerre. «Tombé dans la marmite agricole à l’âge de 6 ans, envoûté par les grands tracteurs et les odeurs de la ferme», comme le portraiture «24 Heures», ce premier orateur s’est fait un malin plaisir d’évoquer la base constitutionnelle qui, en Suisse, protège une agriculture dotée de quatre mamelles multi­fonctionnelles (sécurité alimentaire, territoire, ressources, paysage, décentralisation).

Que le Conseil fédéral dispose même – au besoin – du droit de déroger à la sacro-sainte liberté du commerce! Que le bilan de cette agriculture est jusqu’ici plutôt positif, côté écologie et éthologie, plantes et animaux. Que sur un plan économique, la productivité est en hausse. En revanche, la dimension sociale stagne, la détérioration du pouvoir d’achat et l’augmentation de la charge de travail minent les familles paysannes.

«la dimension sociale stagne, la détérioration du pouvoir d’achat et l’augmentation de la charge de travail minent les familles paysannes.»

Luc Thomas, Prometerre

Pour Luc Thomas, toute ouverture accrue des frontières constitue une menace et la vision actuelle du Conseil fédéral s’avère «indigente» et «irréaliste». Selon lui, il faut garantir une protection douanière (mais pas au sens trumpien, précisa-t-il suite à une question du public). Jouer la carte de la différenciation des produits suisses, certes! Mais surtout selon lui renforcer le pouvoir de négociation des producteurs (comme si l’agriculture n’était pas déjà bien représentée à Berne). Renforcer également l’appui de l’État – à l’adresse des libéraux – et donner à ce dernier un devoir accru de surveillance et les moyens d’intervenir en cas d’abus.Quel programme étatisant…

En mode staccato, Tibère Adler (ancien patron du groupe de journaux Edipresse, aujourd’hui défunt) est passé à l’offensive. L’avocat genevois représente désormais les intérêts d’Avenir suisse. Précisant d’emblée (en souriant) qu’il fallait prendre son propos «de manière constructive». Mais très vite, il a souligné la part déclinante de l’agriculture dans l’économie, la mauvaise solution pour la sécurité alimentaire, le bilan écologique douteux, l’aménagement du territoire coûteux et inefficace.

Sans oublier le niveau d’endettement des exploitations, la très forte (pachydermique) densité réglementaire (ce n’est pas l’usam qui va le contredire!), cette bureaucratie et l’inflation de la documentation (188 pages sur les paiements directs).

«mauvaise solution pour la sécurité alimentaire, bilan écologique douteux, aménagement du territoire coûteux et inefficace.»

Tibère Adler, Avenir Suisse

«Un énorme effort doit être mené pour alléger l’agriculture de toute cette bureaucratie, car les contribuables supportent ces coûts globaux», a-t-il lancé – cette fois sans sourire. Tibère Adler a ensuite mis le doigt là où ça fait mal, à savoir les distorsions de concurrence, rappelant les chiffres d’affaires publiés par les grands distributeurs (Migros: 27,4 milliards, Coop: 26 mia) et les marges brutes (Migros: 40,2%; Coop: 29,8%). Il a plaidé pour une déréglementation, une économie agricole qui sache s’adapter aux valeurs en évolution, qui participe aux discussions à Berne (sur la politique agricole). Et pour une ouverture des frontières qui permette aux exportateurs suisses d’avancer à pied d’égalité par rapport à la concurrence européenne, notamment sur le Mercosur (Amérique latine) – décrit par son préopinant comme l’accord de tous les dangers pour l’agriculture suisse.

«la marge brute de migros s’élève à 40,2%, celle de coop à 29,8%, ces chiffres sont publics…»

Tibère Adler

Le libéral du bout du lac a répondu à la question posée par les organisateurs de la conférence: «Ceux qui tiennent la fourche et ceux qui tiennent la fourchette sont les plus mal lotis.» Et précisé face à une question du public que l’expression «ne pas casser complètement le secteur agricole» n’était pas pour lui à prendre au pied de la lettre…

François Othenin-Girard

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