Publié le: 6 octobre 2017

«Nous créons une étoile sur Terre...»

l’invité du mois – Le patron de la fusion nucléaire à L’EPFL analyse le projet mondial Iter et ses retombées, notamment pour les entreprises suisses impliquées. «La Suisse est prête», explique-t-il lors de la visite du Tokamak qui occupe un bâtiment à Lausanne.

Ambrogio Fasoli est né à Milan en 1964. Un parcours classique pour le patron de la fusion nucléaire en Suisse, puis des études de physiques. «J’avais envie de faire quelque chose qui permette d’améliorer le monde», se souvient ce professeur de l’EPFL qui est actuellement directeur du Swiss Plasma Center (SPC), où se déroulent les travaux de recherche sur la fusion en Suisse. Durant sa jeunesse, il fait partie du petit groupe d’étudiants fascinés par le 4e état de la matière, le plasma.

Le chiffre quatre, c’est aussi les tranches spatio-temporelles fasoliennes. A Lausanne, il étudie quatre ans sous la houlette du professeur Francis Troyon, décédé l’année dernière et dont le rôle fut précurseur. «Il avait monté un petit laboratoire en ville», se souvient-il. Lors de son décès, son successeur, le professeur Minh Quang Tran, rappela que Francis Troyon était un visionnaire qui alliait science et talents politiques pour le développement de l’énergie de fusion. «C’était un homme de convictions et un enseignant hors du commun», estime celui qui lui a succédé à la tête du Centre de recherche sur la physique des plasmas.

Le jeune docteur Ambrogio Fasoli s’établit à Oxford. Quatre ans, là aussi. «Il y avait là le JET, à l’époque la plus grande «manip» (expérience scientifique) au monde, sous l’égide de la Communauté européenne.» La Suisse y participait via Euratom. «Une annonce est parue pour un poste au MIT. J’ai postulé et j’ai été pris.» Quatre ans de plus. Durant cette période, il maintient des liens avec le professeur Tran. Et puis, c’est le retour à Lausanne. Sauf que cette fois, il y est depuis 16 ans – autre multiple de quatre!

«Il s’agit du troisième plus grand chantier que le genre humain a réalisé sur terre.»

Si Ambrogio Fasoli fut un temps à la tête de toute la physique de l’EPFL, il est surtout responsable de toute la partie suisse d’Iter. Un continent de recherche: sous cet acronyme se cache un gigantesque programme ­international dont le but est de construire une étoile sur terre pour en tirer de l’énergie. C’est dans le sud de la France à Aix-en-Provence, que ce projet devrait voir le jour en 2025.

«Il s’agit du troisième plus grand chantier que le genre humain a réalisé sur terre, après celui de la Station Spatiale Internationale (ISS) et d’Apollo», commente le directeur du Swiss Plasma Center en faisant visiter le Tokamak, un réacteur de fusion TCV à géométrie variable. A elle seule, la machine occupe un bâtiment entier au sud de l’EPFL. On dirait un grand bocal de plusieurs mètres de haut autour duquel des scientifiques (pas tous en blouse blanche) s’affairent. Visibles depuis une galerie à l’étage, de grandes conduites inoxydables pénètrent dans le réacteur. Interview et visite.

Journal des arts et métiers: Ces tuyaux, à quoi servent-ils ?

■ Ambrogio Fasoli: Ce sont les plus grands fours à micro-onde du monde, capable de créer à l’intérieur une température de plus de 100 millions de degrés, supérieure à celle d’une étoile. Toute la difficulté consiste à obtenir cette température durant un certain temps.

Quelles sont les réactions des visiteurs ?

■ Le Tokamak est une machine impressionnante qui produit un effet durable sur les 4000 visiteurs qui viennent la voir chaque année.

«Les enfants sont très sensibles aux questions énergétiques.»

Mes enfants sont venus avec l’école. Les enfants sont très sensibles aux questions énergétiques. Ils sont touchés par le fait que ce qu’ils ont devant eux, c’est une étoile. En version démo, bien sûr!

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette technologie?

■ Nous faisons la même chose que ce qui se passe dans la nature. En plus rapide! Nous prenons des noyaux très légers, de l’hydrogène, pour en faire de l’hélium, le gaz que l’on trouve dans les ballons distribués aux enfants. La masse perdue libère de l’énergie. Les noyaux tendent à se repousser. Nous provoquons des collisions entre eux, qui doivent être suffisamment «violentes» pour les approcher et donner lieu aux réactions de fusion. Cela nécessite une température atteignant plusieurs centaines de millions de degrés. Le plasma est l’état dans lequel se trouve la matière quand on chauffe successivement le solide, le liquide et le gaz.

«Dans la fusion, il n’y a pas de radioactivité de longue durée.»

C’est l’étape suivante. Contrairement à la fission, aucune réaction en chaîne ne se produit avec la fusion. Si on ne travaille pas à maintenir la stabilité de cet état, tout s’arrête simple­ment. La fusion dont nous parlons n’a aucun rapport avec la bombe. Il n’y a en outre pas de radioactivité de longue durée. Nous n’employons que le deuterium (qui se trouve en grande quantité dans l’eau) et du lithium (li). Pour que le plasma n’endommage pas les bords de la cuve dans laquelle il se développe, nous le gardons sur place, le confinons, avec des aimants très puissants. Dans les réacteurs futurs, ces aimants seront supraconducteurs. Nous sommes donc aussi en train de mettre au point le plus grand frigo du monde, nous en sommes presque au zéro absolu. Il faudra disposer des moyens de refroidir notre étoile, plus chaude qu’une vraie étoile.

«nous fabriquons le plus grand frigo du monde. notre étoile sera plus chaude qu’une vraie étoile.»

Quelles sont les chances d’aboutir?

■ Nous sommes très confiants. Rappelez-vous des discussions à Genève entre Reagan et Gorbatchev sur la diminution des missiles. C’est à ce moment-là que l’idée d’une collaboration globale sur utilisation pacifique de la fusion nucléaire est née. Le projet Iter a pris du retard parce qu’il a fallu associer tous les pays qui souhaitaient y participer et progressivement, augmenter chez eux le niveau des connaissances. Outre l’Europe, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, la Russie, les Etats-Unis et l’Inde produisent des pièces et des composants.

«nous favoriserons 
la participation des entreprises suisses.»

Ce n’était peut-être pas la méthode la plus efficace, en revanche ce sera politiquement payant lorsque le moment viendra de commercialiser ce type d’énergie.

Combien de temps faudra-t-il encore?

■ En 2025, nous aurons la production du premier plasma d’Iter. Il faudra encore compter quinze ans pour les recherches. Le chantier ITER dont nous parlons occupe le volume de tout le site de l’EPFL, et la machine elle-même a une masse comparable à trois Tour Eiffel ou trois cathédrales de Notre-Dame à Paris. Il faut assembler dix millions de composants. L’idée est donc ensuite de démontrer la possibilité de commercialiser cette source énergétique propre, aux alentours de 2050.

Travaillez-vous avec des PME suisses?

■ Bien sûr, nous voulons favoriser la participation des entreprises suisses. Plusieurs fleurons sont déjà impliqués sur des technologies de pointe, dont Ampegon, Linde Kryotechnik, Kompaflex, Nord-Lock, Lemo, Ruag, Apco, Zeiss Suisse… Nos enfants, je pense, verront durant la deuxième partie du siècle le développement commercial se déployer. Cette source d’énergie est réellement inépuisable. Elle est propre.

Quand la Suisse sera-t-elle prête pour un retour au nucléaire de fusion?

■ Je crois qu’elle l’est déjà, au moins au même titre que ses voisins européens. C’est la fusion elle-même qui ne l’est pas encore.

Est-ce difficile, politiquement, de faire de la recherche sur ces sujets?

■ Non, je crois que les gens font la part de choses et comprennent que ce processus est à l’œuvre dans tout l’univers. La conseillère fédérale Doris Leuthard nous avait rendu visite lorsque j’étais au MIT et depuis à Lausanne. Elle a toujours dit qu’il ne fallait pas arrêter la recherche sur les technologies nucléaires avancées. Nous bénéficions du soutien de la Confédération, du SEFRI et du Conseil des EPF.

Interview: François Othenin-Girard

association

Forum nucléaire suisse

«Le thème de la production d’énergie basée sur la fusion de noyaux atomiques légers à des températures de 100 millions de degrés a été éclipsé ces dernières années par les discussions politiques sur l’avenir du nucléaire. Cela n’empêche pas les chercheurs du monde entier de poursuivre les travaux dans ce domaine. Objectif: exploiter la fusion nucléaire – la source d’énergie du soleil et des étoiles – pour mettre sur pied un approvisionnement énergétique respectueux du climat et quasiment inépuisable pour l’humanité. Or, la Suisse et son potentiel scientifique jouent un rôle important dans le cadre du projet de fusion et de la construction du réacteur expérimental thermonucléaire international (Iter), dans le sud de la France, et cela indépendamment du vote de mai 2017 sur la sortie du nucléaire.»

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