Publié le: 7 juin 2019

Partenaires sociaux, sérieusement?

DOUBLE JEU DES SYNDICATS – Avec son attaque contre le secteur temporaire et le torpillage de la CCT nationale dans le secteur de l’hôtellerie, le patron de l’Union syndicale suisse met en concurrence deux secteurs importants avec lesquels la faîtière des travailleurs a négocié des contrats. Ce qui pose problème.

A l’occasion d’une étude publiée récemment par l’institut gfs pour swissstaffing, notre consœur la sgz concluait qu’un travailleur intérimaire sur deux à la recherche d’un poste permanent en trouvait un dans les 24 mois suivant le début de sa première mission temporaire. Le travail temporaire, ça marche bien!

«Six mois au maximum»

Pas pour l’Union syndicale suisse (USS) et son nouveau patron, Pierre-Yves Maillard (invité par l’usam à Champéry le lundi 24 juin). Devant les médias le 13 mai dernier, l’ex-conseiller d’Etat vaudois a déclaré en substance que «le phénomène du travail intérimaire précaire prenait des proportions alarmantes et se devait d’être réglementé d’urgence». Selon lui, il faudrait même arrêter son développement. L’USS exige du même coup que la Confédération et les cantons fixent des limites dans les marchés publics et que les intérimaires «puissent être affectés à une entreprise de recrutement pour une durée maximale de six mois.»

Plus grave, selon l’USS: les analyses économiques dans différents pays ont montré «que le travail temporaire diminuait avec l’augmentation de la réglementation», poursuit Daniel Lampart, premier secrétaire et économiste en chef de l’USS. En Suisse aussi, estime-t-il, il est nécessaire d’adopter «une approche plus stricte» de la location de personnel.

Un méchant double-jeu

Problème: ces mêmes syndicats ont négocié une convention collective sur la location de per­sonnel avec swissstaffing. C’est juste la plus grande CCT du pays, en vigueur depuis 2012 et prolongée il y a six mois jusqu’en 2020. «Plus de 300 000 personnes y sont soumises. C’est un vrai succès», lance Leif Agnéus, président de swissstaffing. Qui rappelle qu passage qu’en 2018, près de 240 000 chômeurs ont retrouvé un emploi grâce aux intérims. Aujourd’hui, 2,4% des employés en Suisse travaillent comme intérimaires.

Appel Ă  la raison

Dans les secteurs où la CCT est généralement contraignante, comme la construction ou l’hôtellerie – les employés temporaires ont les mêmes conditions de rémunération et de travail que les employés permanents. Et grâce au fonds de formation de la CCT Location de services, les intérimaires peuvent poursuivre leur formation. L’année dernière, 9,5 millions de francs suisses ont été déboursés pour 7800 demandes approuvées. Au total, depuis la création du fonds, plus de 50 millions de francs ont été investis dans la formation continue des intérimaires.

Pour le président Agnéus, l’USS a tort. Il constate qu’«une restriction ou une interdiction du travail intérimaire ne cache pas seulement les réalités de l’économie et de la société, mais viole également la liberté économique des entreprises de travail intérimaire et de leurs clients». Il appelle les syndicats à «renforcer le partenariat social et donc la position des travailleurs temporaires – au lieu de les affaiblir».

Colère dans l’hôtellerie

Même point de vue chez GastroSuisse. Son Assemblée des délégués, a adopté le 14 mai dernier, une résolution sur le partenariat social. Qui exige des syndicats «un engagement clair en faveur de conventions collectives de travail généralement contraignantes». Et déclare que «les négociations pour une nouvelle CCT seront suspendues jusqu’à ce que les syndicats affichent leur soutien.

Ce mécontentement des restaurateurs s’explique par la tentative des syndicats parties à la CCT de surtaxer la composante salariale fixée à un niveau supérieur – en introduisant des minima salariaux cantonaux.

«C’est une double stratégie, ils négocient les condi­tions de travail et les salaires dans les conventions collectives, jette Casimir Platzer, président de GastroSuisse. Puis, ils exigent des salaires minimums qui créent un déséquilibre sur l’ensemble, voire le mettent en péril.»

Partenariat social affaibli

A Berne, ce double jeu des syndi­-cats est plutôt mal accueilli. Isidor Baumann, membre (UDC/UR), demande au Conseil fédéral de modifier la loi fédérale sur les CCT, déclarée contraignante, afin que ses dispositions priment sur toutes celles des cantons. Les CCT ne devraient pas entrer en conflit avec les lois fédérales impératives.

Cette demande s’inscrit dans le contexte d’une décision du Tribu-nal fédéral de 2017. Elle concerne le salaire minimum dans le canton de Neuchâtel. «La situation actuelle entraînera des tensions dans le partenariat social et l’affaiblira à long terme, explique Isidor Baumann. Les partenaires sociaux individuels ne seront plus disposés à conclure une convention collective de travail.» Ce qui menace l’hôtellerie et la restauration, un secteur qui emploie 260 000 personnes, dont de nombreux intérimaires, et forme environ 8000 apprentis.

L’USS et sa nouvelle direction feraient bien de reconnaître les avancées positives des secteurs de l’intérim, de la construction et de la restauration en matière d’emploi en Suisse, au lieu que de dénigrer les modèles sur lesquels reposent finalement le succès de la Suisse, ainsi qu’un partenariat social qui mérite vraiment son nom.

Gerhard Enggist

www.swissstaffing.ch

www.gastrosuisse.ch

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