Publié le: 3 juillet 2020

Porter haut la voix des PME

HANS-ULRICH BIGLER – Le directeur de l’usam et son équipe se sont activés en coulisses en coopérant avec des alliés à tous niveaux. Il a également fallu mettre l’accent sur les relations publiques et assurer une visibilité dans les médias.

Journal des arts et métiers: Avec le recul, quel est votre souvenir le plus fort de la crise sanitaire?

Hans-Ulrich Bigler: Le week-end précédant les mesures du 16 mars. Le dimanche, j’ai réalisé qu’une chose très grave et violente se préparait en Suisse pour les PME. J’ai donc préparé une lettre au conseiller fédéral Guy Parmelin dans laquelle nous demandions une prolongation du chômage partiel et un soutien aux liquidités. Ce fameux dimanche, nous nous sommes beaucoup parlés. La crise était là. Cela signifiait qu’il ne fallait pas rester coller à nos principes de base, mais passer de la politique réglementaire à la «Realpolitik».

La semaine précédente, vous vous étiez déjà plutôt sollicité publiquement?

Avant même le verrouillage, les entreprises nous appelaient directement et nous envoyaient des masses de courriels. Certains responsables étaient profondément choqués et n’avaient absolument aucune idée de la façon de procéder. Personne ne savait combien de temps cette situation allait durer, deux mois, une demi-année et s’il y aurait un couvre-feu total? Personne ne pouvait dire quelque chose de plus précis.

Durant cette période sans perspective, il était important de savoir faire preuve d’écoute. Même si personne ne savait exactement ce qui allait se passer.

Les réactions ont-elles été particulièrement fortes?

Les plus fortes se sont produites durant la réouverture, en lien notamment avec les restrictions de la gamme de produits dans le commerce de détail. Là, la confusion était presque insupportable – et les contradictions difficiles à comprendre.

Au début de la crise, les dirigeants de PME étaient désemparés, mais ils comprenaient les mesures du gouvernement. Avec les étapes d’assouplissement, le Conseil fédéral s’est laissé entraîner dans la micro-gestion, une situation qui se poursuit aujourd’hui. Il y a eu alors beaucoup d’incompréhensions et des réactions désespérées. Progressivement une société à deux classes a commencé à émerger.

Le week-end intensif des 21/22 mars, les mesures d’aide ont été élaborées. Comment avez-vous vécu cette expérience?

Nous étions déjà en contact avec le Département des finances avant le week-end pour chercher des solutions. Nous avons pu donner des impulsions importantes, par exemple en empêchant que les prêts ne soient liés aux bénéfices des deux années précédentes. Les entreprises sont toutes dans la même situation, y compris celles qui n’ont pas réussi à réaliser de bénéfices. Les profits en eux-mêmes ne peuvent pas être un critère pour déterminer si quelqu’un va recevoir de l’aide ou non.

L’usam a également eu une influence décisive sur les conditions de cette aide. Les taux d’intérêt de 0,5 à 1% prévus au départ pour les prêts n’étaient pas acceptables. Finale­ment, il a été convenu d’un taux d’intérêt nul pour les prêts jusqu’à un demi-million et de 0,5% pour les montants supérieurs.

Comment la coopération avec le Département de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) s’est-elle mise en place?

Le chef du département, le conseiller fédéral Parmelin, a réagi rapidement et a permis un accès direct à son département pour les entreprises. Cela se fait par le biais d’un groupe de travail pour les questions relatives au marché du travail et d’un autre pour les questions de politique économique. En ce qui concerne le marché du travail, des conférences téléphoniques quotidiennes avec Boris Zürcher ont été organisées. Dans le domaine de la politique économique, des rencontres avec la secrétaire d’Etat Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch ont été programmées toutes les deux semaines. En conséquence, nous avons dû faire part de nos préoccupations afin de recevoir des réponses dans un délai raisonnable.

Sur la question des restrictions d’assortiment, par exemple, nous avons commencé à alimenter le système très tôt, mais nous avons ensuite dû attendre longtemps pour obtenir des réponses.

«Nous avons empêché que les prêts soient liés aux bénéfices des années passées.»

Ce n’est que lorsque nous avons insisté et que nous avons pu exercer la pression nécessaire par le biais de la conférence des directeurs cantonaux de l’économie que le secrétaire d’Etat a finalement réagi. Avant cela, il n’y avait que de beaux e-mails et des lettres sans intérêt.

L’une des faiblesses que la crise a mise en lumière est la question du contrôle du respect de l’application des règlements. Des règlements ont été établis, mais aucune attention n’a été accordée à leur mise en œuvre. Cela a été clairement démontré notamment par les manifestations de grande envergure de la mi-juin. Des dispositions sont adoptées sans savoir comment les mettre en œuvre. Les confiseurs ne sont autorisés à accueillir que quelques personnes à la fois dans leur magasin. Les restaurants doivent respecter les règles de distance, tandis qu’à l’extérieur, des milliers de personnes manifestent sans être dérangées – personne ne comprend cela.

En interne, l’usam a dû réagir très rapidement?

Il a fallu se coordonner avec les associations cantonales et les organes de l’usam avec le comité directeur, les associations professionnelles cantonales, les associations professionnelles et le bureau de la Schwarztorstrasse. Tout cela fut mené rapide­ment et avec efficience. Grâce à l’échange régulier et intensif d’informations et aux comparatifs, nous avons pu dresser un tableau très fiable de la situation à un stade précoce et nous concentrer rapidement sur la phase suivante de la gestion de la crise. Cette coopération nous a donné plus de poids et des idées claires pour la stratégie de sortie. Grâce à une préparation rapide, ciblée et appropriée, nous avons finale­ment réussi à lancer le «Smart Re­start» de telle manière qu’il a égale­ment été adopté par le Parlement.

Vous étiez en colère à propos du rôle du syndicat Unia?

Le syndicat voulait avant tout avancer ses propres pions. Il a empêché la mise en place de solutions appropriées, telles que le travail de nuit et de week-end des blanchisseries au profit des hôpitaux, en exigeant le versement de salaires supplémentaires en plus des suppléments habituels. Par conséquent, les demandes ont été adressées aux cantons et les partenaires sociaux n’ont pas été impliqués. En tant qu’observateur, il fallait se demander si Unia avait même compris l’enjeu et si elle était intéressée par la recherche de solutions. Sur le moment, cela ne semblait pas être le cas. On aurait dit qu’il cherchait à tirer profit de la crise.

Qu’est-ce qui vous a dérangé pendant la crise?

L’arrogance des grands distributeurs, qui ont voulu nous ridiculiser en ignorant toute restriction sur la gamme de produits et en faisant semblant devant la caméra que les solutions numériques n’existaient pas. Je suis convaincu que l’auto-scannage était réalisable. Le lendemain du jour où nous avons me­nacé de poursuivre les distributeurs, une lettre est arrivée dans nos bureaux avec une «substance blanche» et par écrit la menace que quelqu’un viendrait bientôt «nettoyer» notre maison. Nos bureaux ont été fermés pendant des heures en raison d’une opération de police nécessaire. Même si tout cela s’est avéré être une menace vide de sens: c’est un jour que nous n’oublierons pas.

«une lettre est arrivée dans nos bureaux avec une ‹substance blanche›.»

Qu’avez-vous appris de cette crise jusqu’ici?

Ce que l’usam dit depuis des années: lorsque l’Etat intervient, la concurrence est faussée. Au début, cela ne pouvait guère être évité, mais après le redémarrage, l’Etat s’est enlisé dans la micro-gestion. Il est donc clair qu’en cas de nouvelle crise, l’usam, en tant que plus grande organisation faîtière de l’économie suisse, doit être directement représentée au sein du comité de crise du Département fédéral de l’intérieur afin de pouvoir représenter de manière réaliste les intérêts des PME.

Pendant longtemps, la crise a été traitée exclusivement du point de vue des problèmes de santé, mais pas des problèmes économiques. La santé et l’économie ne sont pas opposées, bien au contraire: l’une ne va pas sans l’autre. Si des milliers et des milliers d’emplois sont perdus, la santé d’un grand nombre de personnes sera également affectée – cet aspect doit être davantage pris en considération. En outre, la loi sur les épidémies doit garantir que la séparation des pouvoirs entre le Conseil fédéral et le Parlement fonctionne mieux en cas de crise. C’est surtout après la fermeture, lorsque l’économie a commencé à se redresser, que la force d’équilibrage a fait défaut. Cela ne doit plus se reproduire.

En plus de la présence médiatique, de nombreuses choses se sont passées «en coulisses». Qu’est-ce qui fut essentiel au final?

Il a fallu faire les deux. Les derniers mois ont été un exemple parfait de la façon dont le travail se déroule au sein de l’usam. Beaucoup de travail se fait en coulisses – et chaque fois qu’une impulsion doit être donnée, nous le faisons publiquement. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons donner une voix aux véritables préoccupations de nos PME et les faire entendre. Dès le début, nous avons fait jouer l’extension du chômage partiel et le soutien des liquidités. Et ce n’est qu’après notre intervention que l’agitation autour des restrictions d’assortiment a finalement pris fin – avant que toutes les injustices ne soient prises au sérieux.

En bref, l’usam a rempli son rôle de représentant des intérêts des PME, tout en ayant son bras fort au Parlement. A haute voix ou doucement, car il y a un moment pour tout. Et en fin de compte, les deux manière d’agir sont dans l’intérêt de toutes les PME que l’usam représente.

Interview:

Gerhard Enggist

Adaptation: JAM

www.sgv-usam.ch

Les plus consultés