Publié le: 3 mai 2019

Potentiels silvestres sous-estimés

«ÉCONOMIE ENVIRONNEMENTALE DE MARCHÉ» – Écologique, social et économique: selon Armand Rudolf von Rohr, l’économie doit fonctionner dans cet ordre. Et avec ses Treenaps et le Clean Forest Club, il montre comment ça marche – et que c’est d’abord une question de volonté.

L’été chaud de 2018, les tempêtes en Italie, les incendies aux Etats-Unis: pour l’entrepreneur Armand Rudolf von Rohr, de Bâle-Campagne, l’actualité ne cesse de renforcer son engagement pour une «économie environnementale de marché», un concept tiré de sa propre réflexion.

«L’environnement est au centre de toute activité économique, souligne-t-il dans son modeste bureau de Bennwil (BL). Aucune marchandise n’est produite sans l’utilisation de l’environnement.»

Mais selon «RVR», le monde ne doit pas seulement fonctionner d’un point de vue écologique, il doit aussi fonctionner au plan social: «Les gens ont besoin d’un emploi, déclare ce sexagénaire issu de la bourgeoisie soleuroise. Ce n’est que lorsque ces deux aspects, social et environnemental, sont équilibrés que l’économie entre en jeu. Ceux qui ne font aucun profit n’auront pas de succès.»

Rouleaux et serviettes de toilette

En lançant la «RVR Service AG» et le Clean Forest Club (CFC), Rudolf von Rohr concrétise son idée d’une économie de marché environnementale. «Nous voulons encourager les gens à considérer le changement climatique comme une opportunité et à rendre l’avenir plus supportable grâce à l’innovation.»

Concrètement, voici comment l’innovation de Rudolf von Rohr se présente: depuis 1999, RVR Service propose des rouleaux de tissu et des chiffons réutilisables, d’abord en coton, puis en viscose. «Treenaps» ou «Treerolls» sont les noms donnés aux lingettes et rouleaux parce que l’entreprise – via le Clean Forest Club – a planté un arbre pour 100 rouleaux de tissu lavés et contribue ainsi à la fixation du gaz à effet de serre CO2. De plus, un arbre est planté tous les 50 kilomètres parcourus par une fourgonnette.

Mal traduit de l’allemand, son slogan donnerait en français: «Il y a beaucoup à faire – plantons-en un!» Car depuis les années, il s’agit d’une vraie forêt: «Jusqu’à présent, nous avons lavé environ 2,4 millions de rouleaux et planté un total de 185 272 arbres», explique le patron de la PME. Pour cela, nous travaillons avec des ONG comme Helvetas (au Guatemala et en Bolivie) et le Fonds national juif (reforestation dans le Néguev). Le Soleurois a égale­ment planté des arbres sur les bords du lac de Lauenen dans l’Oberland bernois.

Les experts reconnaissent cette avancée. L’historien bernois du climat, Christian Pfister, l’ingénieur forestier de l’ETH, Andreas Speich, et l’écologiste du système des EPF, Andreas Fischlin, par exemple, ex­priment un grand respect pour les réalisations de Rudolf von Rohr.

Pour les personnes handicapées

Fabienne Marti, sinologue de 33 ans et directrice de l’exploitation, travaille pour RVR depuis sept ans. Le patron et son bras droit se sont rencontrés dans le train par hasard. Rudolf von Rohr ne tarit pas d’éloge à son égard: «Elle est douée en logistique, en communication et en politique.»

Ensemble, ils expliquent comment l’idée sociale est vécue dans l’entreprise.

Les serviettes et rouleaux usagés sont lavés dans une blanchisserie à Suhr dans le canton d’Argovie. La préparation pour la réutilisation est confiée à des ateliers pour handi­capés ou à des participants de programmes d’insertion professionnelle à Pratteln (BL). Plier, coudre, rapiécer, grouper les Treenaps.

Après une centaine de lavages environ, il faut transformer les Treenaps qui ne sont plus utilisables en chiffons de nettoyage. «Malheureuse­ment, nos capacités sont limitées à environ 100 000 Treenaps», explique Rudolf von Rohr. C’est pourquoi Marti et lui sont maintenant à la recherche de partenaires dans diverses régions qui pourraient reprendre et développer ce travail. L’objectif est de créer des synergies dans la production et la distribution.

Pour les migrants – ici et dans leurs pays d’origine

En septembre dernier, la Confédération a répondu aux demandes des cantons et triplé son montant pour l’intégration des réfugiés à 18 000 francs. Elle veut ainsi alléger le fardeau qui pèse sur la protection sociale.

«Il est grand temps d’exploiter plus intensivement les forêts suisses.»

Si RVR Service AG ou le Clean Forest Club souhaitait entrer sur ce marché et employer des réfugiés, l’association CFC devrait devenir une fondation. «Notre objectif est de permettre aux migrants d’effectuer un travail utile – par exemple avec les gardes forestiers dans les forêts locales, explique Rudolf von Rohr. Après deux ans au plus tard, cependant, ces jeunes doivent être renvoyés dans leur pays d’origine ou dans les pays voisins. Là-bas, ils pourraient être utilisés dans l’industrie forestière et la production de Treenaps.»

«Ils pourraient aussi aider à communiquer cette façon de penser et d’agir de manière écologique, sociale et économique. L’objectif à long terme de Rudolf von Rohr n’est autre que la mise en place de son modèle d’économie de marché environnementale dans 40 pays à travers le monde.

Du coton Ă  la viscose

«Notre coton était autrefois importé d’Egypte et de Turquie, mais aujourd’hui, il provient principalement de Chine et du Pakistan, explique Fabienne Marti. Aujourd’hui, seuls les rouleaux de serviettes sont en coton, les Treenaps sont presque exclusivement en viscose.»

Rudolf von Rohr est convaincu que depuis la fermeture de l’usine de cellulose d’Attisholz en 2008, la forêt en tant que ressource a été large­ment sous-estimée en Suisse. «Aujourd’hui, il n’y a plus de raison d’importer de la cellulose – les matières premières sont disponibles dans le voisinage immédiat et il est urgent de mieux les utiliser.»

Le Soleurois observe la détérioration de l’état des forêts. Selon lui, elle est due au climat, ainsi que l’augmentation des tempêtes comme celle qui, en 2018, a frappé le Tyrol du Sud (Puschlav), avec plus de 1,2 milliard de mètres cubes de bois tombé. Tout cela n’est pas un bon présage pour le bois en excès provenant des forêts suisses.

Comment les RVR-CFC travailleront-ils avec les gardes forestiers et les propriétaires forestiers pour y remédier? «Entre autres avec un centre de production Swiss Biocell qui travaillerais à partir de peuplements forestiers suisses. Une étude de faisabilité professionnelle est déjà disponible pour cela.»

Dans l’espoir et la politique

Les chiffres les plus récents donnent raison à Rudolf von Rohr: en 2018, le scolyte a infesté 738 000 mètres cubes de bois en Suisse, soit plus du double de l’année précédente. Selon l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), il s’agit du niveau le plus élevé enregistré depuis 2006. En 2018, le Plateau central, le Jura et la Suisse orientale ont été particulièrement touchés par le scolyte.

«Il est grand temps d’exploiter plus intensivement les forêts suisses et de reconstruire le secteur de la transformation de la pâte à papier en Suisse», déclare Rudolf von Rohr qui mise sur les initiatives politiques des conseillers nationaux Daniel Fässler (PDC/AI, motion 18.3963) et Erich von Siebenthal (UDC/BE, motion 18.3925, postulat 18.3913 et interpellation 18.3928).

«Les propriétaires forestiers, les communes, les cantons et la Confédération devraient plus travailler ensemble, lance Rudolf von Rohr. La production suisse de pâte à papier pourrait être à nouveau opérationnelle en 2021 au plus tard.»

Mais d’où vient l’optimisme de RVR? «Comme mentor spirituel, je verrais assez bien Gottlieb Dutt­weiler», lâche-t-il, imperturbable (n. d. l. r.: il s’agit bien du fondateur de la Migros). «J’anticipe ce qui est en train de se produire, même si les moyens de les atteindre ne sont pas encore disponibles.» Et surtout, Rudolf von Rohr n’en démord pas: «Il faut s’en tenir à une idée et ne pas abandonner. Ce n’est qu’alors que la voie du succès s’ouvre – écologiquement, socialement et économiquement.»

Gerhard EnggistAdaptation JAM

COUP DE PROJECTEUR

A la conquête du marché romand

C’est tout nouveau – RVR Services AG adopte une stratégie pour la Suisse romande. «Nous allons désormais démarcher de manière systématique les cantons de Fribourg, Genève, Vaud et le Valais», explique le fondateur Armand Rudolf von Rohr, joint par téléphone mi-février.

Un flyer est en préparation et le site internet (rvr.ch) devrait également être disponible en français, dès le mois d’avril. «De plus, deux collaborateurs sillonneront la Suisse romande dès ce printemps pour présenter notre offre de base, à savoir les cinq cabinets ainsi que notre démarche tree-to-tree, ajoute le Soleurois. Et quelle sera la clientèle ciblée? «Nous nous adresserons en priorité aux écoles publiques du secteur primaire et aux PME de différents secteurs, dont l’industrie, la chimie et les constructions métalliques. Nous nous adressons également aux banques, assurances et à tous les services.

www.rvr.ch

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