Publié le: 5 juin 2020

Prendre le recul nécessaire

reprise – On commence seulement à mesurer la profondeur à laquelle toute la société est descendue. L’héroïsme moderne se mesure à l’aune de petits actes concrets et respectueux des autres et de soi-même. Les PME se relèvent et osent jeter un œil sur leur avenir.

La crise laissera des cicatrices profondes et nos PME meurtries mettront des années à retrouver leur punch. Les générations futures regarderont les photos de cette période dans les musées et se poseront des tas de questions. Pour l’heure, dans ce qui suit, nous prenons la température dans les milieux lémaniques de l’immobilier, de la restauration et auprès du responsable d’un parc fribourgeois dédié à l’innovation.

Olivier Feller, directeur de la Chambre vaudoise immobilière (CVI) et secrétaire général de la Fédération romande immobilière (FRI), conseiller national (PLR/VD).

«Sur le plan humain, la crise n’est pas seulement sanitaire et économique. Elle a aussi un impact psychologique. Le manque de contacts sociaux, l’impossibilité de voir certains proches, la suppression des activités culturelles et sportives pèsent sur beaucoup de gens. J’ai en outre été désagréablement surpris par la manière presque discriminatoire dont on traite les seniors de plus de 65 ans depuis le début de la crise. Dès que vous avez 65 ans, vous êtes considérés comme étant vulnérables. Il n’y a aucune exception, aucune différenciation, comme si l’on pouvait réduire quelqu’un à son âge. J’espère que dans le cadre du processus de déconfinement, le Conseil fédéral nuancera la défi­nition des personnes à risque, sans ségrégation liée à l’âge.»

«Sur le plan professionnel, à la Chambre vaudoise immobilière que j’ai le plaisir de diriger, après le télétravail instauré pour une bonne partie des collaboratrices et des collaborateurs afin de protéger la santé de l’ensemble du personnel, nous nous dirigeons, pas à pas, vers une normalisation de notre fonctionnement. Mais sans précipitation. Tous les cours que nous aurions dû dispenser avant l’été ont par exemple été reportés au mois d’octobre.»

«Sur le plan politique, je me réjouis du retour progressif à la démocratie, au fonctionnement normal des institutions, symbolisés par la session extraordinaire du Parlement du début du mois de mai, entièrement consacrée aux conséquences socio-économiques de la crise sanitaire. Il s’agit d’un problème qui nous occupera encore longtemps. Mais les enjeux qui ont existé avant l’éclatement de la crise subsistent, comme la réforme de la prévoyance vieillesse ou la révision de la loi sur le CO2. Il faudra reprendre ces dossiers, dès le mois de juin.»

«nous nous dirigeons pas à pas vers une normalisation, mais sans précipitation.»

Gilles Meystre, président de GastroVaud. Député au Grand Conseil vaudois (PLR).

JAM: Au terme des premières semaines d’ouverture des établisse­ments, quel est le bilan de la restauration vaudoise et romande?

Gilles Meystre: Mi-figue, mi-raisin. Les week-ends de l’Ascension et de Pentecôte ont été favorables dans des zones touristiques avec ou sans terrasses. Mais les restaurants situés dans des quartiers administratifs ou excentrés n’ont pas décollé, en raison du télétravail encore en vigueur. Tous ont perdu entre 30 et 75% de capacité d’accueil - et donc de chiffre d’affaires - en raison de la règle des 2 mètres entre tables qui subsiste, malgré les assouplissements en vigueur depuis le 6 juin... Des faillites sont hélas de plus en plus probables.

Qu’est-ce qui aurait pu être fait différemment au plan politique?

Personne n’était préparé à pareil tsunami. Il serait présomptueux de donner des leçons. Nous ne pourrons considérer cette crise comme une parenthèse. Elle remet en question nombre de nos systèmes, «sclérosés» par un beau temps permanent. Au niveau institutionnel, elle a révélé les limites du fédéralisme, avec des décisions prises à hue et à dia par 26 cantons en parallèle à la Confédération. Au niveau économique aussi, aucun fonds n’existait pour résoudre rapidement la situation. En 2008, il y avait bien celui créé par la BNS en lien avec les subprimes. Mais ensuite, plus rien. Ce tsunami souligne notre état d’impréparation et notre devoir d’y remédier.

Comment voyez-vous la suite?

La reprise sera très longue. Elle nécessitera une prolongation des aides déployées tant par la Confédération que les cantons. Sur les loyers, le chômage partiel, l’aide aux indépendants notamment. Et de nouvelles décisions permettant d’éviter de surcharger financièrement les employeurs.

S’agissant du marché du travail à assouplir, qu’avons-nous appris durant cette crise?

Il faut saluer la réactivité des services cantonaux de l’emploi, pour accélérer et simplifier les procédures de recours aux RHT. Et se réjouir d’avoir eu confirmation – très tar­dive­ment certes, puisque deux jours avant la réouverture… – que les RHT seront toujours disponibles pour ceux qui démontreront qu’une ouverture les entraînerait vers des licenciements ou la faillite.

«charges sociales: le delta risque de rogner les faibles marges.»

Je suis plus inquiet du côté des charges sociales, payées sur le 100% des salaires alors que les employeurs ne reçoivent que le 80% via les RHT. Le delta risque bien de rogner les faibles marges dégagées par la réouverture et pousser certains patrons à licencier purement et simplement. Pour réembaucher progressivement, au fur et à mesure de la reprise et de leurs besoins…

Et au sujet des ouvertures, voyez-vous un assouplissement et des extensions possibles?

Avant de plaider pour une extension des horaires, visons une extension des terrasses et la gratuité des procédures de demande et de l’usage du domaine public par les restaurateurs. Plusieurs villes ont pris cette décision, et c’est un coup de pouce bienvenu, puisqu’il permet de compenser partiellement les capacités réduites par la distanciation des tables. S’agissant des horaires, on peut bien entendu imaginer les élargir. Mais tôt ou tard, les voisins et les hygiénistes ne manqueront pas de se rappeler à notre bon souvenir…

Jean Marc MĂ©trailler, managing director, Marly Innovation Center.

Situation actuelle: «Cela se passe plutôt bien, car nos revenus ne sont pas trop lourdement impactés. Nous avons mis en place le plus possible de télétravail et réduit les prestations là où c’était possible. Et bien sûr, la distance sociale. Passé cette première étape, nous avons déjà augmenté les services, comme le nettoyage et le suivi technique. Le télétravail se poursuit. Pour la suite, il faudra voir s’il y a des faillites ou des dégâts parmi nos locataires. Actuellement, sur une échelle de douleur de 1 à 10, je dirais que nous en sommes à 2. Nous n’avons pas licencié et le chômage partiel demandé dès le 15 mars concerne surtout les personnes à risque ou ayant des charges familiales. Il concerne toute­fois la moitié de nos effectifs.

Une aide à la liquidité n’a pas été demandée. Ce sont les locataires qui sont touchés directement et doivent obtenir des aides. Nous ne sommes concernés que par ricochet, s’ils n’arrivent pas à payer leurs frais fixes. Les grandes inconnues sont liées au redémarrage. Il faut sup­poser que certains locataires ne peuvent momentanément pas payer leur loyer, ou risquent la faillite, d’où dégâts sur le moyen terme.»

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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