Publié le: 4 novembre 2022

Prendre les Kmehrs verts à contre-pied

Luc Ferry – L’ancien ministre français (UMP) est aussi philosophe et auteur de divers ouvrages sur la pensée environnementale. De passage à Neuchâtel en octobre, il a accepté de répondre à nos questions sur le climat et les PME. Au débotté, il en profite pour dénoncer les approches écologiques punitives.

Journal des arts et métiers: En novembre, la conférence sur le climat se tiendra à Charm el-Cheikh. Quel est votre point de vue sur cette «COP africaine» et plus généralement sur ce type de démarches?

Luc Ferry: Je n’y ai jamais vraiment cru: bien sûr, les politiques peuvent donner une impulsion, fixer un cap, mais la balle est dans le camp des scientifiques et des industriels. L’action véritable est de leur côté, ce sont eux qui peuvent inventer et mettre sur le marché des produits respectueux de l’environnement. Pas les politiques qui la plupart du temps se contentent de faire de la com...

Quelle pesée d’intérêts faites-vous entre la nouvelle religion du climat et la survie de l’économie?

On ne sortira de la crise écologique qu’en concevant la production industrielle de telle façon qu’elle ne pollue pas, voire qu’elle dépollue l’environnement. Aussi paradoxal que cela paraisse, c’est là ce que propose le «Manifeste écomoderniste» qui s’appuie sur deux idées particulièrement puissantes: le découplage et l’économie circulaire. Deux thèmes qu’on devrait développer – et là, les politiques et les intellectuels pourraient avoir un impact positif – pour que l’écologie ne s’englue pas dans les passions tristes de l’écologie punitive.

Comme le déclare Michael Shellenberger, l’auteur du «Manifeste écomoderniste» que vous pouvez trouver sur la Toile dans toutes les langues ou presque: «Intensifier beaucoup d’activités humaines, en particulier l’agriculture, la production d’énergie et les peuplements, de sorte qu’elles occupent moins de sols et interfèrent moins avec le monde naturel, telle est la clef pour découpler le développement humain des impacts environnementaux. Ces processus technologiques et socio-économiques sont au cœur de la modernisation de l’économie et de la protection de l’environnement pour atténuer le changement climatique et épargner la nature.»

Pour donner un bon exemple de ce qu’est le découplage, il rappelle que quatre milliards d’individus vivent déjà aujourd’hui dans des villes qui ne représentent que 3 % de la surface du globe. En continuant d’intensifier l’urbanisation, et en rendant les villes plus humaines, on pourrait redonner plus de place encore à la nature, afin qu’elle puisse redevenir sauvage et recréer de la biodiversité. Le deuxième pilier du projet réside dans l’économie circulaire selon laquelle une croissance infinie est possible dans un monde fini pourvu qu’on conçoive en amont de la production la possibilité de désassembler les produits industriels afin de les recycler. J’ai développé ces deux idées dans mon livre, «Les sept écologies» car, bien entendu, il faut argumenter sérieusement si on veut qu’elles soient comprises.

Le retour du nucléaire semble plébiscité en Suisse. Que pensez-vous de cela?

C’est la seule source d’énergie qui n’émette pratiquement pas de gaz à effet de serre et qui permette en même temps de conserver un développement industriel durable. Donc oui, évidemment, je suis pour le nucléaire. Du reste, voyez à quel point l’Allemagne se repent aujourd’hui de ne pas en avoir conservé davantage, sa dépendance au gaz russe l’obligeant à rouvrir des centrales au charbon archi-polluantes.

«Aussi affreux que cela soit à entendre pour les prêtres de la nouvelle religion verte, c’est pourtant le capitalisme qui sauvera la planète, pas l’écologie politique!»

À propos de changement climatique et plus particulièrement au plan idéologique, vers quoi allons-nous?

Quoi qu’on en pense, la nouvelle religion incarnée par Greta Thunberg offre trop d’avantages en termes de médiatisation comme de «grand dessein» pour ne pas durer. Le communisme est mort, la nature ayant horreur du vide, la religion verte a repris sa place dans la lutte contre le capitalisme. Aussi affreux que cela soit à entendre pour les prêtres de la nouvelle religion verte, c’est pourtant le capitalisme qui sauvera la planète, pas l’écologie politique.

Quand Philips a commercialisé les ampoules électroluminescentes (LED) qui remplacent celles à filament, quand les constructeurs inventent la voiture électrique et travaillent à régler le problème des terres rares, ils font plus pour la planète que les partisans d’une décroissance dont en réalité personne ne veut.

Face aux défis climatiques, comment voyez-vous la situation des PME et les ressources (solutions) qu’elles peuvent proposer?

Entre les partisans de la croissance verte, qui trop souvent n’est qu’une décroissance timide, et ceux de la décroissance punitive, l’écomodernisme propose un programme écologique à la fois plus ambitieux et plus réaliste, car rentable pour les entreprises, y compris les PME.

C’est cette alternative à la décroissance que proposent William McDonough et Michael Braungart, faits, exemples et arguments à l’appui, dans leur livre intitulé «From Cradle to Cradle, du berceau au berceau, créer et recycler à l’infini». Comme ils y insistent, «la nature n’a pas de poubelles», la notion de déchet n’y a aucun sens, tout y est recyclable, de sorte qu’en la prenant pour modèle, on pourrait non seulement réduire les coûts et faire des profits, mais construire au passage un avenir écologique qui, en s’intégrant à l’économie, ne viendrait brimer ni la croissance, ni cette consommation que haïssent les Khmers verts.

Interview: François Othenin-Girard

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