Publié le: 9 novembre 2018

Pulsante, contrastée et contestée

reportage – En Pologne, des forêts de grues poussent dans les grandes villes, tandis que le déclinmenace les campagnes. Un gouvernement nationaliste, malgré les 86 milliards versés par l’UE.

Dans la torpeur de l’été polonais, la mégapole varsovienne ne semble pas connaître de trève estivale. Partout, des chantiers à ciel ouvert, ça creuse, ça bétonne, ça livre et ça prend de la hauteur. Les équipes sont déplacées d’un chantier à l’autre, on les croise sur des demi-trottoirs interrompus par des trous béants dans la route. Les gratte-ciels n’en finissent pas de pousser.

Dans le quartier central de Varsovie, à un jet de pavé de la gare centrale, nous observons de grands travaux de génie civil sur une surface qui équivaut à plusieurs terrains de football. Ce jour-là, nous comptons jusqu’à 27 grues en activité. Plus tard, nous voyons les ouvriers s’activer au bétonnage dans la nuit de samedi à dimanche.

Insolite: un bureau d’info de l’UE

La situation politique de Rzeczpospolita Polska avec l’UE se corse de mois en mois. Récemment, le Conseil national de la magistrature (KRS) polonais a été suspendu du réseau regroupant ses homologues européens, car il «ne satisfaisait plus à l’exigence d’indépendance». Un nouveau revers pour Varsovie, qui a entrepris une réforme de la justice décriée par l’UE.

En plein cœur de Varsovie, nous tombons par hasard sur le bureau d’information de l’UE. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est désert. Sollicités, un brin empruntés par nos questions, deux employés polonais nous expliquent qu’à part un tout petit prospectus, il n’y a pas vraiment de documents qui illustrerait ce qu’ils font – à savoir expliquer le rôle de l’UE aux Polonais.

Cela ne doit pas être facile de tenir ce guichet actuellement? À cette question, l’employé répond: «Oui, ça va, il y a même parfois des gens qui appellent par téléphone pour nous demander ce que nous faisons.» Suit un long silence un peu consterné. À quoi peut bien servir un bureau d’information sur l’UE alors que le 17 septembre dernier, les ministres des affaires étrangères se réunissaient à Bruxelles «pour évoquer la procédure lancée contre la Pologne pour violation de l’État de droit et le futur budget»? Une question restée en l’occurence sans réponse.

86 milliards versés par l’UE

À Bruxelles, les commentaires allaient bon train cet automne. Que d’argent dépensés en Pologne. De 2014 à 2020, rappelle La Croix, ce pays aura reçu 86 milliards d’euros pour rattraper son retard sur d’autres pays, dont 23 milliards de fonds de cohésion. Et la publication catholique de poursuivre: «Voilà de quoi contraindre le gouvernement nationaliste qui a besoin d’un niveau de croissance élevé pour financer des mesures telles que la hausse du salaire minimum, décidée le 12 septembre (522,6 euros en 2019, soit +7% en un an).»

«La Pologne est à la fois un pays riche et pauvre: ses marchés du travail s’avèrent en même temps productifs et inefficients. Sa politique économique est libérale, mais simultanément, sa politique sociale est conservatrice. La Pologne est un pays plein de surprises.» Telle est l’analyse d’Andrzej Sokolowsky, expert économique qui aime commenter la complexité de son pays (lire l’encadré). Les chiffres lui donnent raison. Le produit interne brut (PIB) annuel par personne peine à dépasser les 16 000 euros.

Des sous-Ă©conomies locales

Restent, depuis une éternité dans l’histoire de ce pays, les contrastes énormes entre les régions de campagne, les petites économies locales, et les villes, en particulier les villes libres qui, durant des siècles, se sont affrontées sur le terrain de l’économie.

Les contrastes les plus exacerbés taraudent les campagnes face à Varsovie. Dans la capitale, l’habitant gagne en moyenne 38 000 euros par année. Or ce chiffre surpasse la médiane des pays de l’UE (32 700 euros), tout en étant supérieure à la moyenne française (34 100 euros). Dans les régions reculées situées à l’Est du pays, le PIB par habitant avoisine celui de la Roumanie (9473 dollars US), voire même par endroits celui de l’Ukraine (2183 dollars).

Entreprises suisses attirées

À noter, l’attractivité de la Pologne pour les plus grandes banques suisses, présentes depuis les années 1990 et qui y ont renforcé leur présence dans les services, en particulier le back-office et l’informatique (à Wroclaw). Des banques elles-mêmes surprises, puis attirées par le rythme pulsant des privatisations. Le programme gouvernemental prévoyait en 2010 déjà, via cette activité, de dégager 25 milliards de zlotys (6,2 milliards d’euros) de recettes en 2010.

«Nous sommes impressionnés par la manière dont l’État a géré la vente des entreprises publiques, commentait Alison Harding-Jones, directrice générale de la banque d’affaires d’UBS dans les «Échos», lors de l’inauguration d’une entité en Pologne. «Lorsque des entreprises nous demandent où entrer en Bourse en Europe centrale, expliquait-elle, nous leur conseillons d’aller à Varsovie.»

François Othenin-Girard

macro & politiqueModèle dual suisse

A la fois protectionniste et ouverte

«La Pologne est encore et toujours un pays en construction, confirme l’éconmiste Andrzej Sokolowsky. Le secteur de la construction se porte bien, comme en général les infrastructures, l’immobilier résidentiel et le commercial.» Quant au secteur énergétique, il fleurit également. Contrairement à une majorité des pays de l’UE, la Pologne est ouverte à toutes les technologies énergétiques. Sa production comprenait en 2015 du charbon (79,6%), du pétrole (1,4%) et du gaz naturel (5,4%). Pour les renouvelables, un soupçon d’hydraulique (0,2%), 11,8% de biomasse-déchets et un peu d’éolien et de solaire (1,5%).

«Les services représentent le plus important vecteur de croissance, lance Sokolowsky, convaincu. Nous sommes passés par la période des call centers et maintenant, nous arrivons au marketing. De nombreux entreprises multinationales outsourcent leur marketing en Pologne. D’ici dix années, les sièges suivront.»

Modèle dual suisse

À l’interne, cette santé économique ne va pas sans susciter des réticences au plan politique. «L’environnement économique tend à perdre de son dynamisme, car il est notoire que le nouveau gouvernement fomente des politiques nationalistes et protectionnistes, a confié à Sokolowsky un interlocuteur haut placé qui tient à rester anonyme. Pour l’instant, l’économie parvient encore à contrer ces tentatives gouvernementales, mais il faut aussi remarquer que les politiciens dotés d’une ligne problématique tendent à se multiplier.»

Ce que Sokolowsky confirme: «Le nouveau gouvernement est plus interventionniste. Mais le principal enjeu que la Pologne doit affronter, c’est le développement économique de la campagne, principalement dans l’Est du pays. Pour y parvenir, le levier de l’éducation sera crucial. À titre personnel, j’estime que le modèle suisse de la formation duale s’adapterait parfaitement à la réalité polonaise. Il faudrait que le gouvernement intervienne sur ce point, mais il le fait de manière insuffisante.»

Henrique Schneider, usam

LA POLOGNE au 10e rang européen

La Pologne a une population d’environ 37 millions de personnes (Allemagne: 82 millions). Toujours mesurée à l’aune très relative du PIB – mais cela donne un ordre de grandeur, l’économie polonaise est classée au 10e rang en Europe et au 23e au plan global. Juste après la Suisse et la Suède et juste avant l’Autriche et la Norvège.

Tandis que le taux de chômage s’élève à 4,8%, la population située sous le seuil de pauvreté atteint 17,6% (2015, estimation). En revanche, sa balance commerciale est équilibrée (221,4 milliards exportés contre 221,8 importés en 2017).

Parmi ses principaux marchés figurent l’Allemagne (27,3%), Royaume Uni (6,6%), République tchèque (6,6%), France (5,4%). Pour compléter ce panorama, précisions que la dette publique s’élève à 46,2% du PIB (2017) et la dette extérieure à 362 milliards (dollars) – pour 90,8 mia de recettes publiques.

JAM

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