Publié le: 15 mai 2020

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SORTIE DE CRISE – Olivier Mark, président de JardinSuisse et membre du comité directeur de l’usam, analyse les effets de cette crise sans précédent pour notre économie systémique. L’économiste commente également le nouveau programme d’action de l’usam.

Journal des arts et métiers: Que pensez-vous du nouveau programme d’action de l’usam?

Olivier Mark: Dans la phase de rétablissement de notre économie, notre priorité sera de maintenir l’emploi. Nos PME seront soumises à des tensions financières importantes. D’une part, les ventes risquent de fléchir dans la plupart des secteurs, et d’autre part, il faudra rendre l’argent emprunté dans l’urgence. C’est dans cette constellation qu’il faut interpréter le programme de l’usam, qui vise précisément à préserver des postes de travail. Il s’agit en fait d’un manifeste pour une politique prudente, dont tout le monde profitera à long terme !

Quels enseignements pour nos PME en tirez-vous?

Le premier apprentissage, c’est qu’économiquement, rien n’est jamais impossible, même dans notre pays si sûr et si paisible. Nous pensions que le «modèle suisse» pouvait nous affranchir de la plupart des calamités. La situation actuelle nous rend plus humbles. Notre économie est systémique, nous sommes interdépendants les uns des autres, et ce tissu est fragile. Il peut être mis à mal en quelques semaines de relâchement…

En quoi cette situation définit-elle une nouvelle relation au client?

Dans bien des cas, la relation entre les entreprises et leurs clients a été brutalement interrompue. Cela a eu des effets dramatiques sur les affaires, mais au moins avons-nous pu méditer sur l’importance de l’approvisionnement de proximité. Les consommateurs ont commencé à se poser des questions sur la provenance des produits qu’ils achètent. Ils ont aussi levé leur regard vers ces hommes et ces femmes qui travaillent pour les leur fournir, quelles que soient les circonstances. S’il devait exister une seule facette positive dans cette histoire, c’est peut-être cette reconnexion des filières indigènes avec leurs clients.

Comment la stratégie du «smart restart» fonctionne-t-elle dans la pratique?

Je suis convaincu qu’il n’y a pas d’autre moyen que de redémarrer de manière circonstanciée, avec des mesures adaptées au terrain et en faisant confiance aux acteurs économiques. Les clients abandonneront rapidement les prestataires qui ne respectent pas leur santé. Certes, des habitudes sont parfois difficiles à abandonner. La poignée de mains est notamment bien ancrée dans le monde des affaires. Mais l’enjeu est compris de tous et cela fonctionne bien en général, selon ce que j’ai constaté comme prestataire ou comme client.

Comment voyez-vous cette sortie de crise? Quelles seront les difficultés?

Permettez-moi une métaphore extrême: cette crise a eu l’effet d’une bombe atomique dans notre économie. D’abord l’éblouissement. En mars, nous nous demandions tout ce qui se passait, et cela a figé bon nombre d’activités. Puis l’onde de choc. Cela pourrait être l’insolva­bilité de ceux qui ne pourront pas rendre l’argent prêté par les banques et garanti par l’Etat. Car beaucoup d’entreprises ne pourront pas couvrir les pertes sèches réalisées pendant plusieurs mois par les seules affaires courantes: leur marge est insuffisante. Et enfin la phase des rayonnements… qui pourrait être la plus pernicieuse. Je pense aux réductions d’effectifs à long terme, aux exigences de productivité pour s’en sortir, aux tensions que cela pourrait amener et à la crainte d’une partie de la population qui pourrait devenir quelque peu agoraphobe…

Quelles sont les questions que les PME autour de vous se posent?

Beaucoup se demandent comment rassurer les clients, pour que la vie reprenne autant que possible comme avant. Ensuite, c’est de savoir combien de temps ces mesures de protection vont durer, et comment les couvrir économiquement. Enfin, si un grand nombre de consommateurs ont exprimé leur volonté de réorienter vers des circuits d’approvisionne­ment courts et régionaux. Bien des PME suisses se demandent si ces comportements vertueux perdureront, une fois les frontières réouvertes! Par ailleurs et plus prosaïque­ment, certains entrepreneurs qui ont fait usage des prêts garantis par l’Etat, dans l’urgence, tremblent déjà en imaginant ne pas pouvoir les rendre… et aux conséquences dramatiques d’une telle éventualité.

Quelles sont les branches et les secteurs qui auront plus de peine Ă  se remettre et pour quelle raison?

Toute catégorisation est difficile tant le tissu des PME suisses est varié. Il y a ceux qui ont dû avancer des dépenses proportionnellement importantes pour produire des biens ou des services qui n’ont pas pu être commercialisés, et qui seront périmés ou ne seront simplement plus d’actualité une fois la crise passée. Je pense par exemple à l’événementiel, à l’horticulture ou à la restauration. Il y a aussi les entreprises qui se développaient très vite, en faisant largement usage du crédit. Celles-ci emploient souvent beaucoup de personnel mais sont plus fragiles. Enfin, il y a les secteurs qui vivent avec une forte intensité concurrentielle et dont les marges sont très faibles. Et c’est le cas de plupart des PME de ce pays! Ajoutez les aspects systémiques – le fameux effet «domino» – et il s’agira de se demander qui n’aura pas de peine à se relever…

A quoi faudra-t-il faire attention dans un premier temps?

S’il ne faut pas minimiser les effets de la crise, il s’agit maintenant de garder le moral. La majorité de nos PME se sortiront d’affaire, tôt ou tard, et plus ou moins bien. Je pense que maintenir une bonne cohésion sociale sera plus important que jamais. Il faudra veiller à ne pas tomber dans des confrontations stériles. Peut-être pourrons-nous même faire fructifier la sympathie que la population a montré pour les circuits d’approvisionnement régionaux. Je pense qu’il y aura tout prochainement une phase cruciale, lors de laquelle notre société, éminemment fragilisée, pourra soit accomplir de formidables projets de revitalisation économique, soit tomber dans la confrontation. Nous aurons tous un rôle à jouer pour que ce soit le premier scénario qui se développe…

Quelles seront les conséquences économiques à moyen et plus long terme pour les PME?

Pour rester terre à terre, les conséquences sont évidentes à ce stade: nos PME sortent appauvries de cette crise, dans la plupart des cas. Elles ont perdu du patrimoine ou des réserves dans les meilleurs cas; dans d’autres cas, elle se sont endettées davantage. Beaucoup auront la peine à boucler en fin d’année et porteront la perte de ce printemps tel un boulet dans leur bilan, durant des années. Leur capacité d’investissement et de développement a été, dans bien des cas, durablement obérée.

Quelles sont les questions que vous vous posez comme entre­preneur?

Je pense beaucoup actuellement aux développements potentiels à long terme. Serons-nous rapidement replongés dans la routine, ou aurons-nous de nouvelles opportunités concrètes dans un cadre plus durable, plus concerté? Cette pause peut-elle remettre en question certains aspects parfois aveugles de la globalisation, tout en maintenant un esprit ouvert? Avec l’appui du monde politique, nous ne sommes peut-être pas loin d’un monde meilleur. En clair, j’espère que la valeur de nos PME soit mieux reconnue. La crise actuelle nous prouve une nouvelle fois que ce tissu économique est essentiel pour notre pays et pour ses citoyens, et je me demande si on finira par mieux tenir compte de nos efforts au quotidien.

«nos pme sortent appauvries de cette crise.»

Quels sont les critères à prendre en compte afin d’établir un pronostic économique dans cette situation?

La capacité d’investissement des individus et des entreprises a été mise à mal. Des réserves destinées à réaliser des projets ont été sacrifiés pour tenir le coup. Par ailleurs, je crains que l’emploi souffre durablement de cette crise, car les entreprises devront remonter la pente et économiser. Ces deux aspects me paraissent importants. Et pour rester positif, je citerai la tendance à mieux communiquer, à chercher le contact direct avec la clientèle. Ne lâchons pas les avancées des dernières semaines dans ce domaine pour reconstruire des relations durables et sincères avec nos clients et nos collaborateurs. Je ne connais pas de meilleure méthode pour réaliser de bonnes affaires à long terme.

Une question sur le Röstigraben: les Romands sont-ils suffisamment entendus à Berne dans ce contexte?

Assez de ce Röstigraben! Simplement, les Alémaniques ont moins souffert, par exemple, de connexions telles que la ligne ferroviaire du Simplon, qui ont accéléré l’arrivée de la pandémie dans nos contrées. Les Alémaniques ont toutefois été solidaires avec les régions les plus touchées. Dans certains cantons, personne ne connaît qui que ce soit qui ait été malade. Comment voulez-vous que ces concitoyens ne s’impatientent pas de retourner au travail?

Interview:

François Othenin-Girard

trajectoire

Olivier Mark

Né en 1964 à Montreux, Olivier Mark a 20 ans d’expérience en tant qu’entrepreneur. Economiste d’entreprise indépendant, titulaire d’un Master en Strategy & Quality Management, il est chargé de cours à l’HES-SO, gestion de la qualité au Master QSM à Lausanne. Président de JardinSuisse, une association qui fédère 2000 entrepreneurs de la branche verte en Suisse, il est égale­ment membre du comité directeur de l’usam. Et l’auteur d’un livre: «La qualité… Embarquement immédiat».

www.oliviermark.ch

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