Publié le: 3 septembre 2021

«Rien ne remplace les sensations»

LOGISTIQUE – Directeur romand de l’Association Suisse pour la formation professionnelle en logistique (ASFL SVBL), Eric Menoud nous parle de la transformation numérique dans la didactique de ces métiers.

Ils ont mis le turbo durant cette période de pandémie, pour s’engager résolument dans les formations numériques. Mais ils réfléchissent maintenant au meilleur dosage de présentiel et de virtuel. À la tête de la Suisse romande dans l’Association Suisse pour la formation professionnelle en logistique (ASFL SVBL), Eric Menoud est depuis longtemps un passionné de technologies et de l’enseignement digital. C’est ce qui le conduit aussi à évaluer avec prudence et pertinence les occasions de basculer telle ou telle partie d’un cursus dans le numérique.

Du doigté, de la légèreté, il en faut dans ces métiers pas assez reconnus, mais indispensables. Pour y remédier de ce côté-ci de la Sarine, l’association dispose d’un centre de formation à Marly et d’un second à Chavornay. Et de 11 centres sur l’ensemble de la Suisse. En tant qu’organisation du monde du travail (OrTra), son mandat de base concerne la formation professionnelle dans les métiers de la logistique, d’abord en organisant la formation de base, à savoir les cours interentreprises pour les CFC (vingt jours sur 3 ans) et pour les AFC (14 jours sur 2 ans). À cela s’ajoutent une quarantaine de types de formations continues, principalement sur les différents engins que sont par exemple, les chariots élévateurs à contrepoids (R1) ou à siège transversal (R2), les chariots latéraux (R3) ou télescopiques (R4) – sans oublier les plateformes élévatrices, les transpalettes, etc. Le catalogue des formations comprend également des cours sur les bonnes pratiques en matière de gestion des étagères. Suva oblige, les entreprises doivent être en mesure de les contrôler et tout cela s’apprend. Les élèves peuvent même s’entraîner avec des lunettes virtuelles.

JAM: La pandémie a-t-elle changé la donne dans vos formations?

Eric Menoud: Je dirais que sans cela, il aurait fallu peut-être bien plus de temps pour réaliser une telle avancée. Dans nos écoles professionnelles, des classes numériques ont été ouvertes, les supports papier sont désormais accessibles en format numérisé. À cela s’ajoute le livre l’ABC de la logistique, également numérique et dont les pages permettent, via des QR codes, de visualiser près de 1700 films de formation. Dans les formations, nous sommes passés des powerpoints d’autrefois à des formules favorisant l’auto­apprentissage.

Les apprenants apportent-ils leur propre matériel?

Oui, sur place, nous avons des PC à disposition, mais nous sommes en train de réfléchir à une mise à disposition de matériel durant la formation. C’est complexe car dans notre pays subsistent de fortes disparités selon les cantons, notamment pour les subventionnements et les couvertures de frais.

Vous avez mis le turbo sur le numérique, quelle place reste-t-il pour le présentiel?

Les discussions avec les professionnels nous ont démontré à quel point le numérique présente certaines limites, notamment dans la pratique. Sentir une hauteur, une profondeur, une largeur, cela ne peut pas se faire à l’aide d’un simulateur. J’ai obtenu le permis et je peux confirmer cela. Ce qu’il faut numériser, ce qui doit rester en présentiel, nous y réfléchissons beaucoup. Le marché a changé, les lignes ont clairement bougé. Mais simultanément, nous voyons que les salons des métiers demandent du présentiel pour transmettre des émotions, c’est important pour donner aux jeunes et à leur entourage l’envie de choisir un métier. Les salons en ligne, cela fonctionne, mais les rencontres réelles ne se remplacent pas. Enfin, dans les formations elles-mêmes, nous devons aussi apprendre aux jeunes un tas de choses qu’ils n’apprennent pas forcément avec leur téléphone. Nous devons leur apporter des outils professionnels qui leur permettront, lorsqu’ils évolueront dans une entreprise, de trouver des solutions et de dépasser les théories …

Où en est-on avec l’attrait pour ces métiers?

De manière surprenante, nous avons assisté durant cette période à une augmentation du nombre d’apprentis, du moins dans nos régions: pour les cantons du Jura et de Vaud, cela représente un plus de 40 apprentis. C’est considérable. Nous imaginons que la pandémie a peut-être rendu ces métiers un peu plus visibles à l’heure où de si grandes quantités de bien étaient acheminées par les services de livraison. Et que les gens, voyant que cette activité continuait à fonctionner malgré la fermeture du reste de l’économie, se sont in­téressés de plus près aux métiers de la logistique. Mais ce n’est qu’une hypothèse. De manière similaire, les demandes pour le brevet fédéral ont elle aussi augmenté. En soi, cette évolution est réjouissante …

Interview: François Othenin-Girard

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