Publié le: 22 janvier 2021

Réactivité, détermination, flexibilité

interview – François Savary, économiste et directeur des investissements chez Prime Partners à Genève, brosse un tableau détaillé de la conjoncture complexe dans laquelle se débattent les PME financières. Il estime aussi que ces dernières – ayant bénéficié de marchés porteurs – n’ont rien à apprendre à leurs consœurs d’autres secteurs.

Journal des arts et métiers: Ose-t-on encore parler de perspectives de croissance dans la situation actuelle?

François Savary: Quelle que soit la difficulté de le faire, nous sommes effectivement obligés de chercher à naviguer dans l’océan d’incertitudes qui accable l’économie mondiale depuis douze mois. Je m’explique, plutôt que de tenter de deviner un chiffre de croissance précis, il est important de reposer sur un ensemble de scénarii possibles pour l’évolution de la conjoncture et de leur attribuer des probabilités de réalisation.

En effet, alors que nous avons tous eu l’impression que le monde s’écroulait sous nos pieds au printemps 2020, cette démarche nous a été particulièrement utile pour «rebondir». C’est en tentant ainsi d’établir un cadre de réflexion et de nous ajuster au fil les évolutions économiques et financières quotidiennes que nous avons pu naviguer, plutôt bien au demeurant, dans le monde de la Covid-19.

Qu’est-ce que ces PME ont appris et retenu de cette crise sanitaire?

Je pense que la crise de la Covid-19 a appris à ces entreprises à se montrer réactive, déterminée et flexible. Mettre en place des organisations du travail et aussi de la communication a été essentielle. La détermination pour mettre en œuvre des décisions concrètes pour s’ajuster a alors été un facteur de réussite déterminant pour assurer la continuité de l’activité.

Enfin, comme dans toute crise et situation inédites, la capacité à corriger les «erreurs» des plans initiaux s’est révélée fondamentale. Ne pas tomber dans le piège du «une fois pour toute» est certainement la leçon la plus importante. Il faut rester agile, mais en se reposant sur une structure de décision claire et capable de faire évoluer le bateau au gré des circonstances!

Le rapport aux liquidités a-t-il changé et si oui, cela modifie-t-il profondément la donne?

Je dirais oui parce que nous vivons une situation exceptionnelle à bien des égards. Le coup de frein abrupt que la Covid-19 a induit et les mouve­ments de va et vient sur les contraintes imposées par les gouvernements au fil des mois nourrissent un sentiment négatif. Comme votre première question le sous-entendait, la capacité à se projeter s’est réduite. Envisager un retour à la normale dans nos vies et dans le développement des affaires est compliqué alors que les entreprises subissent les effets de la pandémie sur leur activité au quotidien.

«Comme dans toute crise et situation inédites, la capacité à corriger les ‹erreurs› des plans initiaux s’est révélée fondamentale.»

Le rapport à la liquidité est nécessairement fluctuant au gré de la confiance qu’une personne, physique ou morale, peut avoir dans l’avenir. En d’autres termes, la crise de la Covid-19 n’induit pas de situation particulière par rapport à d’autres crises en ce qui concerne le rapport à la liquidité. Sur une note plus positive, il faut tout de même relever que les mesures de soutien monétaires et budgétaires adoptées ont vraisemblablement «adouci» le phénomène de fuite vers la liquidité. Je n’ose même pas imaginer où ces entreprises en seraient, si les autorités n’avaient pas massivement soutenu le système dès le printemps 2020!

A quoi doivent-elles s’attendre en 2021 et en 2022?

J’en reviens à votre première question. Nous sommes dans un environnement qui demeure compliqué et incertain. Sans vouloir faire de la philosophie à la petite semaine, je dirais qu’espérer le meilleur tout en se préparant au pire reste une bonne attitude. La situation conjoncturelle devrait s’améliorer au second semestre 2021 et nous permettre de nous installer dans un cycle de reprise pérenne à horizon 24 mois.

Ce scénario me semble donc assez favorable, mais il faut vraiment que nous ayons une plus grande capacité à maîtriser le virus et à engager le processus de vaccination dans les mois à venir. De ces deux éléments dépendent beaucoup de choses et surtout la capacité de ces entreprises à envisager les deux années à venir avec plus de sérénité. Il n’en demeure pas moins que sur le premier semestre, il faudra rester vigilant et surtout ne pas relâcher les efforts.

«Espérer le meilleur tout en se préparant au pire reste une bonne attitude.»

Quels sont les indicateurs avancés qu’elles devraient surveiller?

Très clairement, sur le premier semestre, la capacité à afficher des succès dans le contrôle de la Covid-19 et dans la diffusion «massive» de la vaccination sont les éléments essentiels à observer. Dans un second temps, il faudra voir si la synchronisation des cycles économiques entre les différentes régions est importante. En effet, seule une reprise très globale, à laquelle tout le monde participera, est de nature à nous amener à mettre définitivement derrière nous la récession liée à la Covid-19. Et ainsi permettre de retrouver les niveaux d’activité pré-virus au cours de l’année 2022.

Pression fiscale ou coûts administratifs: qu’est-ce qu’il y a de plus lourd en Suisse pour les entreprises?

En ce qui concerne notre pays, la question des coûts «administratifs» – même si je n’aime pas beaucoup ce terme – est en première ligne, dans le contexte des réglementations récentes qui ont été adoptées et qui doivent désormais être mises en œuvre. Il est évidemment ennuyeux que les entreprises du secteur aient eu à faire face à la crise de la Covid-19 alors que la pression des coûts administratifs était déjà en train de se faire sentir.

On pourrait invoquer la «loi de Murphy», si l’on voulait être un peu cynique (rires). De manière plus sérieuse, on dira que l’effort de mise à niveau des «compétences» que les réglementations impliquent était connu par ces entreprises, qui avaient engagé le processus d’adaptation. La crise de la Covid-19 ne fait que rendre plus «onéreux» ce processus. D’où l’importance de voir la pandémie être maîtrisée au premier semestre 2021, afin de permettre une intégration de ces coûts administratifs dans un environnement plus normalisé.

Quelles sont les PME qui tireront leur Ă©pingle du jeu et pourquoi?

Celles qui conserveront leurs forces, démontrées au cours du temps, tout en montrant une capacité à s’adapter aux besoins de leurs clients. Peut-on penser que nous reviendrons à un modèle de contacts personnels tel que nous l’avons connu avant la Covid-19? J’en doute. Il faut donc établir des nouveaux moyens de communiquer et d’assurer la continuité de l’entreprise. Celle-ci n’a pas à nécessairement changer son objectif, mais une adaptation des moyens pour y parvenir est indispensable.

«Peut-on penser que nous reviendrons à un modèle de contacts personnels tel que nous l’avons connu avant la covid-19? J’en doute!»

Il est parfois difficile de trouver du personnel qualifié. Quelles solutions préconisez-vous pour les PME dans ce secteur?

Les métiers de la finance ont souvent une composante de confiance entre fournisseur et client qui est essentielle. Dès lors, conserver les ressources humaines qui sont à l’intérieur de l’entreprise est important, car les apports de compétences externes nécessitent un travail important d’intégration dans l’entreprise et/ou dans la relation client.

A contrario, favoriser le développe­ment des ressources internes par de la formation est une option évidente, mais cela n’est pas nécessairement suffisant. Le recours à des apports externes est souvent indispensable dans un monde où les fonctions tendent à se spécialiser. Dès lors, il est important pour de telles entreprises de penser et d’établir une stratégie claire sur le capital humain dont l’entreprise a besoin sur une période longue. L’exécuter au mieux pour que l’entreprise puisse atteindre ses objectifs est prioritaire.

A cet égard, il faut bien reconnaître que la crise de la Covid-19 n’a pas non plus aidé sur ce front. Il faudra simplement être prêt à remettre l’ouvrage sur le métier une fois que nous disposerons de plus de visibilité afin de répondre au défi qui demeure: doter l’entreprise des indispensables capacités dont elle a besoin pour être pérenne dans un contexte sectoriel en mutation.

Quand les PME financières suisses seront-elles enfin libres de s’installer dans les pays de l’UE, notamment Paris?

Cela dépendra de l’avancée du dossier des accords bilatéraux. En matière politique, chacun peut avoir son opinion, mais à l’évidence nous sommes sur un tempo lent. Donc je dirais que cela n’est pas pour l’avenir immédiat!

Ce que les autres PME peuvent apprendre des PME financières et de la manière dont elles ont franchi les dix derniers mois?

Je ne suis pas persuadé que l’on puisse séparer les deux situations. Au-delà de l’élément réglementaire qui est une évidente contrainte que les PME d’autres secteurs n’ont pas eu à gérer, la situation de la Covid-19 est un choc qui n’a pas été différenciant à mon avis. Je ne pense pas que les PME financières, qui ne l’oublions pas ont pu profiter de marchés financiers assez porteurs en fin de compte, ont quelque chose à apprendre à leurs consœurs d’autres secteurs.

Interview:

François Othenin-Girard

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