Publié le: 12 août 2022

Récession à l’horizon

macro – François Savary, directeur des investissements chez Prime Partners, estime que le pire n’est pas encore passé et qu’il est difficile d’envisager un scénario positif pour les douze prochains mois. Les PME doivent prendre en compte un franc encore plus fort.

Comment évaluez-vous actuellement le scénario d’une stagflation?

Avec les évolutions récentes sur le front des politiques monétaires dans les pays, particulièrement les USA et l’Europe, le risque de stagflation semble refluer.

Il ne faut pas pour autant en déduire que nous avons passé le pire dans ce cycle économique qui est marqué par une inflation excessive dans les pays développés et un ralentissement de l’activité post-reprise covid. En effet, le virage de la politique monétaire – resserrement accéléré et fort, surtout aux Etats-Unis – renforce la perspective que nous connaissions une récession dans les pays développés au cours des prochains trimestres. Le problème est qu’il est actuellement bien difficile d’envisager un scénario positif pour le conjoncture internationale avec un horizon de douze mois à l’esprit.

L’année 2022 est marquée par un cycle très particulier et le manque de visibilité est évident: un phénomène que les développements géopolitiques n’ont fait que renforcer au fil des mois. À cet égard, les derniers indicateurs avancés de la conjoncture en Europe et les enquêtes de sentiment des entreprises et des consommateurs pointent clairement vers un risque de récession accru dans une zone économique qui reste très importante pour l’activité helvétique. Finalement, entre une croissance faible et une récession, la ligne est ténue, mais c’est malheureusement l’alternative qui semble pointer à l’horizon pour le vieux continent malgré un PIB qui a bien résisté au premier semestre. La Suisse n’échappera pas à ce contexte international.

Il apparaît que le scénario de stagflation durable est moins crédible qu’il y a quelques mois, mais malheureusement au profit d’un scénario (une récession) qui n’est pas plus positif. À cet égard, les banquiers centraux qui ont pensé pouvoir limiter le risque stagflationniste en se montrant patients sur le changement de cap monétaire, en procédant de façon graduelle et modérée, ont clairement indiqué récemment que l’hypothèse d’une inflation transitoire n’était plus raisonnable! Le coup de frein de la politique monétaire, auquel la BNS a participé, est l’expression d’un choix clair: mieux vaut prendre le risque d’un ralentissement trop marqué que de laisser une stagflation durable s’installer.

La BNS est-elle sur la bonne voie?

Voilà une question intéressante. Qu’est-ce que la bonne voie pour un banquier central? De quoi alimenter bien des débats! La meilleure manière de répondre à cette question est de se référer à la mission d’un banquier central, la BNS en l’occurrence. Dans le cas d’espèce, assurer une progression satisfaisante de l’inflation, en d’autres termes la stabilité des prix, reste une mission centrale de nos grands argentiers.

Le scénario de stagflation durable est moins crédible, mais malheureusement au profit d’un scénario (une récession) qui n’est pas plus positif.

Dans un tel contexte, voir l’inflation progresser en rythme annuel de 3,4 % en juin et constater des variations mensuelles importantes de l’indice des prix au cours du second trimestre ne pouvait pas satisfaire la BNS. Une politique monétaire n’agit pas de manière instantanée sur l’inflation; il y a un délai dans la matérialisation des effets sur l’inflation.

Il faut donc attendre avant de pouvoir juger définitivement si les décisions récentes de la BNS nous amènent sur la bonne voie. Cependant, il est à relever que les chiffres d’inflation de juillet laissent apparaître une stabilisation en variation annuelle et une progression nulle d’un mois sur l’autre. En d’autres termes, il y a des raisons d’espérer. Pour donner une appréciation sur la question de la «bonne voie», il faut attendre quelques mois afin de juger si des premiers signes «encourageants» se confirment au travers d’une tendance.

Comment la Suisse parviendra-t-elle à contrôler l’inflation et le franc?

Le choix de la BNS est révélateur de ce que je mentionnais ci-dessus: les banquiers centraux ont fait un virage marqué vers une politique monétaire plus restrictive. La décision de la BNS de relever ses taux de «manière surprenante» en juin est l’affirmation de la volonté de prendre le risque de voir l’activité fléchir plutôt que de laisser l’inflation s’installer durablement dans l’économie suisse. Ce faisant, la BNS a clairement abandonné son objectif de défense d’un niveau sur le franc.

La question qui a animé les marchés pendant plusieurs années, celle de savoir si la BNS intervenait sur les marchés n’est plus vraiment d’actualité. Certes, l’organisme monétaire s’est réservé cette possibilité, mais il nous semble que de telles interventions relèvent désormais davantage d’une approche opportuniste et non systématique.

Schématiquement, on pourrait dire que désormais un franc plus fort constitue un soutien à la politique de «maîtrise» de l’inflation à moyen terme qui est devenu clairement prioritaire avec le changement de cap de la politique monétaire en juin 2022. En d’autres termes, une inflation sous contrôle n’est plus compatible avec une volonté d’empêcher une vigueur du franc.

Désormais, un franc plus fort constitue un soutien à la politique de «maÎtrise» de l’inflation à moyen terme.

Quels conseils donnez-vous aux PME exportatrices en matière de change?

A priori et compte tenu des développements politiques et économiques, tout laisse à penser que le franc devrait demeurer soutenu au cours des prochains trimestres.

Se prémunir contre une appréciation complémentaire du franc est à considérer

La situation européenne reste grevée de nombreuses incertitudes et celle des États-Unis est aussi source d’interrogations. Le caractère de valeur refuge de notre devise nationale joue aussi un rôle important dans le contexte géostratégique dégradé que nous traversons. Dans un tel environnement, se prémunir contre une appréciation complémentaire du franc est à considérer.

Interview:

François Othenin-Girard

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