Publié le: 12 mai 2021

Réitérer de simples plaisirs

Sorties – Les habitués des petits sentiers reviennent sur leurs pas. Au fond, à chaque fois,un détail change, une couleur nouvelle apparaît, une rencontre nouvelle apporte une perspectiveinattendue. Il n’y a pas de petites promenades.

Les promeneurs du dimanche ou celles et ceux qui profitent d’un temps mort pour s’offrir une balade en semaine ont en commun le fait de se retrouver parfois face à un petit dilemme – à la croisée des chemins: reprendre le même sentier au risque de se lasser ou changer d’itinéraire, au risque d’être déçu.

Une expérience à tenter, c’est de reprendre toujours et encore le même sentier afin de voir ce qui change et ce qui demeure. Ainsi, on a toutes les chances d’être déçu en bien. Car au fond, l’habitude n’est qu’une question d’habitude. Regarder le même et – ce n’est déjà plus le même.

«Le Chemin qu’on reprend n’est plus le même chemin.» Pas besoin de Lao-Tseu pour se déprendre de l’idée que la répétition n’apporte rien. La première phrase, le premier mot, quand on le relit, nous offre à chaque fois un visage différent.

Respecter sa respiration

Le promeneur se met en route. Il s’est préparé le cœur, il s’est réjoui de ce moment de retrouvailles. Elle a mis une bouteille d’eau et une pomme dans son sac, glissé un couvre-chef et un imperméable léger. Le temps peut changer et donc il changera. Une averse, un rayon de soleil, un chaud-et-froid. Au début, le rythme, la cadence, les pas qui s’enchaînent, la musique du corps qui reprend ses droits. La respiration s’installe, exige, il faut l’écouter, la respecter, faire le silence à l’intérieur. Peut-être lui parler pour lui dire à quel point elle compte pour nous. Et passé ce stade, l’être respirateur nous libère de notre corps.

Le promeneur et sa promeneuse découvrent alors une autre dimension de la promenade: les arbres. Ils sont là, ils nous regardent et nous les voyons chaque jour un peu différents. Ce qu’ils expriment – regardez la forme des branches, la manière dont ils s’appuient les uns aux autres, on dirait qu’ils conversent et nous invitent à les rejoindre pour un congrès sur les couleurs de la saison. Un souffle de vent et les voici repartis dans leurs débats frissonnants.

Une racine, trois pensées

Une pierre sur laquelle vous butez, peut-être vous en souviendrez-vous la prochaine fois? Un instant, vous étiez retournés en vous-même, soliloquant sur les émotions récentes, l’avant-promenande, l’après-sortie et toutes sortes de non-sujets qui essaient de s’imposer à vous comme des impératifs. Une racine vous retient, elle tente de faire sourire ce qui en vous regarde d’un œil critique ce corps qui vous transporte même quand vous ne l’habitez pas …

La même racine, tordue, croquée du regard en passant trois jours d’affilée, nous inspire trois pensées différentes. Elle est toujours là, elle. Et nous, qu’avons-nous appris depuis hier. La chance de voir deux fois le même écureuil est mince. Un autre jour, ce lapin blanc étendu l’herbe tendre d’un sentier de forêt. Un campagnol qui se glisse en catimini dans un tronc. Trois escargots de Bourgogne, ce n’est pas un troupeau, mais lorsque le quatrième pointe ses cornes, difficile de ne pas y voir une récurrence complice.

Notre regard accroche

La balade sur le même sentier est aussi révélatrice de nos états internes. Les teintes émotionnelles s’accordent au paysage, notre regard accroche ce qui lui parle. Un jour, le bal des corneilles, le lendemain, le cri du milan royal appelant ses gosses. Le troisième, le vent, rien que le vent. Le quatrième, la couleur de l’écorce sur certains arbres. Le cinquième, les pêcheurs en rivière ou plutôt le geste de lancer la ligne en amont. Regarder tout cela, s’en imprégner comme si c’était la première et la dernière fois. Et pour pouvoir oser en parler dans mille ans.

François Othenin-Girard

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