Publié le: 11 août 2017

Résistance dans la Suisse des enchères

transition numérique – Astrid Rosetti, directrice commerciale et du développement de Barnebys.fr, analyse pour le JAM le 
marché suisse des ventes aux enchères, ses acteurs, les défis que ce secteur devra encore affronter en comparaison internationale.

JAM: Quelles sont les caracté-
ristiques du marché suisse de la vente aux enchères, du point de vue structurel?

n Astrid Rosetti: Malgré sa super-
ficie et son poids de 1% dans l’échiquier mondial, la Suisse joue un 
rôle important dans le monde des enchères. Genève, ville internatio-
nale du marché de l’art et de la finance, est la ville où se déroulent 
les plus grandes ventes de bijoux au monde.

La Suisse domine en effet le marché de la haute joaillerie, ayant entraîné une augmentation de 54% de l’ensemble du marché européen des 
enchères pour ce segment en 2016 selon le dernier rapport Tefaf. En 
effet, les ventes en Suisse ont triplé au cours de l’an dernier avec un 
résultat de 322 millions de francs, soit 50% de parts du marché européen qui totalise 663 millions de francs.

La particularité du marché suisse réside également dans les ventes d’art helvétique qui attirent un public certes niche, mais fidèle. La chose vaut tant pour Sotheby’s, Christie’s ou encore Koller qui engendrent des produits de plusieurs millions, dont un record en novembre 2016 chez Sotheby’s pour une toile de Félix 
Vallotton pour un montant de 
3,49 millions de francs.

Que trouve-t-on dans le paysage?

n Structurellement, à l’exception des deux géants Christie’s et Sotheby’s, une quinzaine de maisons de vente aux enchères se partage le mar-
ché suisse, la majorité étant spécialisées dans l’horlogerie, le vin ou 
encore l’art d’après-guerre. Il faut 
noter qu’un certain nombre d’entre elles se sont lancées dans les ven-
tes généralistes sur le modèle des deux premières. Additionnellement, les Ports Francs jouent un rôle ma-jeur de gigantesque garde-meubles du marché en Suisse, simplifiant les 
expertises sans devoir importer les objets et promettant discrétion et confidentialité, deux qualités recherchées par les collectionneurs.

Comment voyez-vous ce marché évoluer et vers quoi se dirige-t-on?

n Les changements économiques, politiques et sécuritaires de ces deux dernières années ont eu des répercussions mondiales dans tous les 
secteurs économiques. Cependant 
le marché suisse de la vente aux enchères a bien résisté et devrait se maintenir. Le volume de ventes des 
maisons de ventes aux enchères en Suisse a augmenté de 35% par 
rapport à 2015 en comparaison avec une progression moyenne de 3,6% en Europe, toujours selon le rapport Tefaf.

Quel est l’état d’esprit qui prévaut par rapport à l’argent liquide?

n Il faut noter que même si les ven-tes attirent toujours plus d’acheteurs, les vendeurs sont de moins en 
moins enclins à vendre leurs ob-
jets de valeur, ne préférant pas 
débloquer de la liquidité qui leur coûterait trop cher dans la situa-
tion économique actuelle. Il s’agit d‘un état général qui va sans doute permettre un réajustement à plus juste titre et un retour à l’équilibre dans les prochaines années en 
Suisse.

Par comparaison, comment les marchés français et européen évoluent-ils?

n De même que la Suisse, la France a connu en 2016 une augmentation globale de ses ventes aux enchères d’œuvres d’art, contrairement au 
reste du marché européen qui est 
en baisse. Avec près de 1,7 milliard d’euros d’«art et objets de collection» vendus aux enchères en 2016, soit une progression de 3,6% par rapport à l’année précédente, la France 
est l’un des rares pays à avoir réussi à se dégager de cette situation. Le Royaume-Uni, la grande place européenne, est quant à elle en net recul avec -28,4%, désavantagée par la baisse de la livre sterling, mais conservant sa 3e position. Ce résultat s’opère dans les réajustements de prix déraisonnables et par une année forte d’événements majeurs, tels que le Brexit, les élections présidentielles américaines et une répétition d’attentats. La France s’en sort, car son marché repose davantage sur l’art ancien et les objets de collection, dont les voitures de collection.

Comment les maisons de vente passent-elles au numérique?

n Les maisons se démocratisent. Avec l’arrivée de sites tels qu’eBay ou Ricardo.ch qui ont permis une certaine habitude d’achat tout en misant sur une démocratisation de leur image, les maisons suisses ont été forcées d’accélérer leur transformation numérique et devoir simplifier l’accès en ligne des objets mis en vente, offrant une description et une estimation très détaillées. Ce créneau des ventes organisées sur Internet proposant des lots à petits prix 
attirent de plus en plus. Les maisons suisses orchestrent donc des ventes en ligne comprenant des lots à des prix abordables pour le grand public.

Quels sont à cet égard les défis actuels de votre secteur?

n Le plus gros défi des ventes en ligne et de la transparence de l’information, c’est en premier de convertir les acheteurs potentiels qui restent réticents. Il s’agit d’arriver à convaincre les acheteurs en ligne hésitants et freinés par l’absence de vérification visuelle de l’état des œuvres. En effet, les acheteurs ont besoin d’être rassurés, d’où le besoin indispensable de rapport d’état de conservation et certificats d’authenticité. Également, les problèmes logistiques peuvent encore être simplifiés.

Un autre défi reste l’opacité du marché de l’art en général, dernier grand marché financier à ne pas être régulé. La Suisse est d’ailleurs particulièrement active sur cette question, soucieuse de la transparence des rôles et des intérêts de chacun, exhortant à plus de contrôle des entrées et sorties des objets dans les Ports Francs.

Quels sont les professionnels suisses incontournables?

n Christie’s s’est implantée à Genève dès 1968, s’installant dans le cœur historique de la ville. Comme sa con-currente, Sotheby’s a investi la scène suisse en s’installant elle aussi à Genève, huit ans plus tard. C’est un terrain privilégié pour la haute joaillerie et la majorité des lots mis aux enchères dans la cité de Calvin relèvent de ces domaines. D’ailleurs, Sotheby’s Genève occupe la dixième place de la plus grande maison de vente aux enchères au monde, de par la valeur totale de ses ventes, et Christie’s Genève la quinzième place.

Et sur le reste du marché?

n De nombreuses maisons de vente 
locales se partagent le reste du marché en Suisse, en particulier la société Koller Auctions. Fondée à Zurich en 1958, Koller s’impose rapidement dans le panorama des maisons de ventes en Suisse et également très active au niveau international. Elle s’est implantée à Genève où elle 
organise deux séries de ventes par an et se spécialise en peintures, joaillerie, objets d’art, livres, estampes et photographies. A travers son entité Koller West, la maison zurichoise 
entend démocratiser les ventes aux enchères, gérant un certain nombre de successions et ayant récemment collaboré avec la start-up Artmyn – un exemple de leur ouverture sur les nouvelles technologies.

Genève compte l’Hôtel des Ventes, maison privée de vente aux enchères qui s’est imposé sur le marché 
suisse et étranger dès sa reprise en 2006 par Bernard Piguet et transforme alors cette maison de vente traditionnelle en une entreprise moderne.

Et qu’observe-t-on du côté du renouvellement de l’offre?

n En 2015, un nouvel acteur a vu le jour, Genève Enchères, dérobant la situation de petit monopole à l’Hôtel des Ventes Piguet et souhaitant dépoussiérer l’image des enchères traditionnelles. En effet, ils misent sur un nouveau public de jeunes collectionneurs qui s’intéressent aux objets accessibles et uniques.

Interview: 
François Othenin-Girard

trajectoire

Astrid Rosetti est directrice commerciale et du développement de Barnebys.fr. Diplomée d’un Master de l’Institute of Art de Sotheby’s, elle a développé un réseau de contacts internationaux en travaillant notamment à Genève pour la maison Sotheby’s, étant elle-même originaire de Genève. Avant de rejoindre l’équipe Barnebys, Astrid a travaillé à la Deutsche Bank à Londres dans le département d’art où elle s’est spécialisée dans l’organisation de projets culturels de la collection privée. Depuis début 2015, Astrid est en charge du marché francophone chez Barnebys où elle coordonne les relations avec les divers partenaires du monde de l’art.

Les plus consultés