Publié le: 2 octobre 2020

Savoir se faire entendre

JEAN-FRANçOIS RIME – Après huit ans et quatre mandats, le premier Romand élu à la présidence de l’usam passe le relais au Tessinois Fabio Regazzi. Ce dernier sera élu lors du Congrès de l’usam, le 28 octobre prochain à Fribourg.

Journal des arts et métiers: Fin octobre, après un peu plus de huit ans, vous passerez le relais lors du Congrès de l’usam – si la situation sanitaire le permet! Qu’avez-vous réalisé pour les PME au cours de votre mandat?

Jean-François Rime: Nous – c’est-à-dire le bureau, le Comité directeur et moi-même en tant que président – avons fait en sorte les PME se fassent mieux entendre dans la politique suisse. Pour que cela reste le cas, il est important que le chef de l’usam soit représenté au Parlement. Avec mon successeur désigné Fabio Regazzi, cela sera le cas. Une ligne directe vers l’administration et la politique, jusqu’au Conseil fédéral, est indispensable. De nombreux problèmes peuvent souvent être résolus plus rapidement par ces contacts que par des avancées politiques.

Les points forts des huit dernières années dont vous vous souviendrez avec plaisir?

L’usam a beaucoup fait pour que les revendications de la gauche, comme l’initiative 1:12, le salaire minimum ou les droits de succession, soient rejetées par le peuple. En politique sociale, nous nous sommes défendus avec succès contre la proposition AVS 2020 qui a été rejetée, et en politique économique, nous avons contribué au succès de la proposition fiscale RFFA après l’échec de la RIE III. C’est maintenant aux cantons de s’en charger. Enfin, nous avons fermement soutenu le rejet de l’initiative contre le mitage.

Quels sont les échecs qui vous ennuient jusqu’à aujourd’hui?

Contrairement à l’initiative sur le mitage, nous n’avons pas réussi à faire passer l’idée que la loi sur l’aménagement du territoire était préjudiciable aux PME. Bien sûr, nous devons être parcimonieux avec les terrains. Mais avec cette nouvelle loi, la Confédération est désormais seule à fixer le cap, même si la situation dans les cantons est différente. Dans le Jura, la population diminue, tandis qu’à Fribourg, elle augmente massivement: les défis ne sont pas les mêmes. De plus, le prix des terrains augmente, alors qu’ils sont massivement moins chers dans les pays voisins. Tout cela nuit à notre économie et c’est un tort que nous nous sommes infligés tout seuls. Cela me dérange vraiment.

Notre défaite très mince au référendum de Billag me dérange encore aujourd’hui. La loi bâclée par la conseillère fédérale Doris Leuthard cause des dommages considérables aux entreprises. Non seulement les propriétaires de PME se font arnaquer à deux reprises – eux et leurs employés paient déjà en tant que particuliers. S’ajoutent les problèmes des consortiums ou groupe d’entreprises qui doivent payer plusieurs fois pour la radio et la TV. C’est inacceptable. La proposition de financement des médias d’Etat a totalement tourné au vinaigre; les grands matchs de football ou de hockey sur glace, par exemple, sont toujours retransmis par la télévision privée… Je suis sûr que le dernier mot de cette discussion n’a pas encore été dit!

Comment avez-vous vécu le partenariat social en tant que président de l’usam?

Nous avons naturellement des points de vue différents sur certains sujets, mais en principe, la coopération avec les syndicats fonctionne relativement bien. La crise sanitaire l’a également prouvé. Nous nous sommes associés à Pierre-Yves Maillard de l’Union syndicale suisse et à Adrian Wüthrich de TravailSuisse. Malheureusement, avec Unia, c’est une toute autre histoire, si l’on considère son attitude de blocus dans la crise Covid… Au Parlement, cependant, la coopération avec Corrado Pardini a bien fonctionné, par exemple dans les discussions sur les marchés publics.

Ces derniers temps, nous avons entendu de nombreuses dissonances: Quel est l’état actuel de la coopération entre les grandes associations économiques?

Sur de nombreuses questions, nos avis ne divergent guère. En revan-che, la pesée d’intérêt est différente: Economiesuisse attend de l’usam un soutien sans réserve et très rapide à l’initiative de responsabilité des entreprises – ceci après que nous n’ayons pu compter sur aucun soutien de leur part sur Billag ou le droit des sociétés. Bien sûr, ce n’est pas la voie à suivre! Nous avons besoin d’une meilleure coordination des positions. Peut-être que les nouveaux dirigeants des deux associations y parviendront – nous verrons…

Que faut-il faire pour que l’Union patronale et Economiesuisse – comme l’usam aujourd’hui – puissent à nouveau avoir une influence plus fructueuse sur la politique?

Ce n’est pas notre problème et je ne peux pas répondre à cette question. Toutefois, ces deux associations ne sont pas suffisamment représentées politiquement et leurs représentants sont souvent plus des gestionnaires que des entrepreneurs. Aujourd’hui, seules quelques grandes entreprises sont en mesure de s’imposer, et les PME sont laissées pour compte!

En 2019, vous vous êtes présenté aux élections suisses avec la revendication que davantage d’entrepreneurs devraient être élus au Parlement. Au lieu de cela, la direction de l’usam n’a pas été réélue. Votre sentiment?

Les représentants de l’économie ont été emportés par la «vague verte» à l’automne 2019, tout comme ceux des syndicats. Je le répète: il est important que les entrepreneurs soient représentés en politique, car cela permet d’avoir une ligne directe avec l’exécutif et l’administration. Le directeur de l’usam, Hans-Ulrich Bigler, et moi-même valorisons toujours cette approche aujourd’hui.

En 2012, vous avez été le premier Romand à être élu président de l’usam. Qu’avez-vous réalisé pour la Suisse romande au sein de l’association?

J’ai naturellement voulu améliorer et approfondir les relations avec les grandes cantons romands – Genève et Vaud. Mes prédécesseurs en Suisse alémanique ont naturellement eu un peu moins de contacts avec nous autres Romands. De plus, les Genevois en particulier fonctionnent souvent de manière très indépendante par rapport à Berne. Néanmoins, nous avons aujourd’hui de meilleurs contacts que ceux que nous avions auparavant. En tant que Romand, j’en suis très heureux!

Avec Fabio Regazzi, un Tessinois vous succédera. Quels sont les plus grands chantiers que vous lui laissez?

Certainement les assurances sociales, où des solutions sont nécessaires pour l’AVS, mais aussi pour la LPP. Ensuite, la stratégie énergétique et la loi sur le CO2. Nous pouvons voir ici que les grands consommateurs ont déjà accompli beaucoup de choses. Je peux le confirmer d’après ma propre expérience avec notre scierie. A Bulle, nous avons l’un des plus grands réseaux de chauffage urbain de Suisse, exploité avec du bois «propre». Il n’y a donc ici aucune raison de surcharger l’économie avec la stratégie énergétique.

Et puis je remettrai à Fabio Regazzi la charte de numérisation récemment achevée. Elle a été rédigée à la demande de nos membres et doit maintenant être adoptée au congrès de Fribourg. La charte est destinée à soutenir les PME dans leurs activités de numérisation. Elle sera donc mise en œuvre par mon successeur.

Quand verrons-nous la première femme à la tête de la plus grande organisation faîtière de l’économie suisse?

Avec Kathrin Anderegg, nous avions déjà une vice-présidente par intérim. Et il y a peu, nous avons eu avec Diana Gutjahr une candidate qui a fait ses preuves. Cette dernière l’a ensuite retirée. Je suis convaincu que nous verrons un jour la première femme à la tête de l’usam. Mais cela dépend aussi en fin de compte de la représentation des femmes entrepreneures au Parlement…

Vous avez été un politicien convaincu, mais à plusieurs reprises, cela n’a suffi ni au Conseil des Etats ni au Conseil fédéral. Avez-vous des regrets?

Les deux fois, il s’agissait de candidatures de combat, ce qui a notamment valu à mon parti, l’UDC, une augmentation de son électorat à Fribourg. Et je doute que, sans ces candidatures, je serais devenu président de la plus grande organisation faîtière de l’économie suisse pendant huit ans. Avant, je n’étais pas connu du plus grand nombre en Suisse alémanique. Bref, je ne regrette absolument pas ces occasions qui ne sont manquées qu’en apparence.

En politique et dans votre entreprise, vous vous êtes engagé à fond. A quoi ressemble votre avenir? Il ne sera pas possible de chasser toute l’année…

Je vais maintenant transmettre officiellement mes trois entreprises – la scierie, l’entreprise de sécurité routière et l’entreprise horticole – à mes trois fils. Ce problème devrait être résolu d’ici l’été prochain. Je suis également grand-père depuis 14 mois. Et dès que la crise sanitaire le permettra, j’aimerais emmener à nouveau ma femme pour des voyages plus longs, par exemple en train entre la Tanzanie et le Cap. Une chose est sûre: je ne risque pas de m’ennuyer!

Interview: Gerhard Enggist

passage du témoin

Après le retrait de Bruno Zuppiger, Jean-François Rime avait pris la tête de l’usam en 2012. Le Gruérien fête cette année ses 70 ans. De 2003 à 2019, l’entrepreneur de Bulle a représenté l’UDC au Conseil national.

Lors du Congrès de l’usam à Fribourg le 28 octobre prochain c’est Fabio Regazzi, entrepreneur tessinois et conseiller national (PDC/TI), qui lui succédera.

www.sgv-usam.ch

Les plus consultés