Publié le: 13 décembre 2019

Tristes tropismes et air du temps

PLACEMENTS FINANCIERS DURABLES – Derrière les jolies étiquettes d’investissements financiers «pour un monde meilleur», on trouve d’abord de coûteuses réglementations – et parfois une forte envie de succomber aux effets de la mode.

Dire que cela relèverait d’une mode serait un sale euphémisme: les place­ments durables, tout le monde en parle, y compris le Conseil fédéral (6.12.19). Il y a aussi un nouvel acronyme apprêté à toutes les sauces: ESG – les critères environne­mentaux et sociaux de gouvernance. Derrière ces trois lettres, beaucoup de morale et de réglementation. Sans oublier des coûts, car le fait d’être à la mode rend ce type d’investissement recherchés, donc encore plus onéreux.

Aucune idée contraignante

Dans le monde financier actuel, les investisseurs institutionnels attachent de plus en plus d’importance à ce que l’on appelle la durabilité et l’ESG. Ils s’imposent des lignes directrices en matière d’investissement avec leurs valeurs respectives sur ces questions. A première vue, rien de nouveau. Aujourd’hui déjà, divers investisseurs ont mis au point des lignes directrices sur des questions complexes comme la sécurité et la rentabilité. Alors, pourquoi ne pas ouvrir encore davantage le spectre des possibles?

L’un des problèmes de cet «ESG» et de la «durabilité», c’est qu’il n’existe pas d’idées vraiment précises à leur sujet. Contrairement à la liquidité, à la sécurité et à la rentabilité, qui peuvent être mesurées par des critères objectifs, l’ESG et la durabilité ne peuvent fournir au mieux qu’un reflet d’objectivité

Comment, par exemple, mesurer l’impact d’un titre coté en bourse sur le niveau d’éducation d’une population? Comment exprimer en chiffres la relation entre monnaie et biodiversité? Voilà qui est difficile, voire impossible.

Plein de contradictions

L’autre problème de cette ESG et de la durabilité, c’est que ces termes recèlent de multiples contradictions. Par exemple, l’électrification d’une société peut faire partie de l’aspect social de la durabilité ou même du «S» (social). Un investisse­ment dans l’électrification serait donc souhaitable. Mais que faire si cet investisse­ment implique la construction d’un barrage ou d’une éolienne? Un tel investissement peut conduire à la perte de biodiversité, ce qui pour beaucoup viole les principes de l’écologie de la durabilité ou le «E» (environnement). Alors qu’est-ce qui est préférable, «S» ou «E» ? Dans ces concepts, on ne trouve aucune réponse à ce type de questions.

La régulation avance masquée

La durabilité et l’ESG sont généralement réduites à des critères d’exclusion dans le choix d’une action – précisément parce qu’elles n’apportent aucune réponse. Par conséquent, les actions des compagnies de tabac et de pétrole ne sont pas choisies.

Cela peut se comprendre. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec la promesse à la mode de la durabilité. Ce que beaucoup ignorent, c’est que ces approches sont avant tout une forme cachée et nouvelle de réglementation. Parce que les marchés financiers devraient en fait soutenir l’économie réelle…

Mais avec les concepts mentionnés ci-dessus, ils agissent maintenant comme des moteurs. En revandiquant une supériorité morale pour laquelle ils n’ont aucune légitimité.

Couvrir ses arrières…

En réalité, le battage publicitaire évoqué n’est pas motivé par des convictions. C’est surtout une approche – pardon pour l’expression anglo-saxonne un peu brute – permettant de «cover my ass», de couvrir ses arrières. On espère que si l’on se contente de suivre ce qui est actuelle­ment à la mode, on pourra maintenir sa réputation et réduire son exposition au risque.

Or ce battage publicitaire est dangereux et coûteux parce qu’il ne permet pas de prendre les meilleures décisions d’investissement. Et le tout ne rend pas les investissements plus sûrs, ni plus liquides, ni plus rentables. Ils deviennent tout simplement plus coûteux.

On dirait que pour beaucoup, cela ne compte pas. Mais en fin de compte, ces coûts sont répercutés sur les clients, ce que personne ne peut ignorer!

Henrique Schneider, usam

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