Publié le: 14 août 2020

Un automne plombé à Genève

HÔTELLERIE – Marc Fassbind et son épouse Claudia gèrent quatre établissements hôteliers à Genève: l’Hôtel Cornavin, le Cristal Design, Les Nations et le Strasbourg. Le constat est dur, mais réaliste. L’hôtellerie genevoise est durement frappée et le tourisme du bout du lac devra se repenser en profondeur.

Nous avons contacté Marc Fassbind début juillet et une deuxième fois début août – afin de suivre l’évolution d’une saison qui reste difficile à Genève, où le marché hôtelier s’est effondré. Frappé de plein fouet par la fermeture, puis la reprise à un rythme réduit, des vols à l’aéroport. Mais ce n’est pas tout, comme le montre son témoignage, la Cité de Calvin a surtout perdu dans la foulée ses principaux segments de clientèle. Et les perspectives pour l’automne s’avèrent tout sauf réjouissantes.

Disparition de segments entiers

«Nos hôtels sont ouverts à 50%, mais il n’y a pas de business. La situation est générale: Genève avait jusqu’ici ciblé des marchés prometteurs, mais plusieurs segments ont disparu, notamment les salons et les congrès, ainsi que les nuitées générées par les grandes banques et les entreprises. Autre disparition, celle des City Breakers en provenance d’Amsterdam, de Berlin et de Londres. Ces trois segments sont totalement ou méchamment à l’arrêt.»

«Je ne vois pas de stratégie possible!»

«Actuellement, nous sommes en mode survie avec deux hôtels fermés sur quatre et des prix de très basse saison. Les taux d’occupation sont bien en dessous de 20% et nous ne voyons rien de positif pour fin juillet et août. Et rien ne semble s’amé­liorer non plus pour septembre. Je ne vois pas de stratégie possible, à part de baisser les prix et les coûts. Nos employés travaillent un jour par semaine. En juin, nous avons réalisé en un mois le chiffre d’affaires que nous aurions normalement bouclé en une journée.»

Augmentation de l’offre

«Plus généralement, le marché hôtelier représente environ 10 000 chambres à Genève. Le tourisme interne ne pourra compenser ce recul. Car même si une centaine de familles viennent de Zurich pour passer quelques jours, cela représentera au mieux 200 chambres occupées. Cette surcapacité est d’autant plus problématique que l’offre pourrait même augmenter à terme de 20%, des projets de construction ayant en effet été déposés pour 2000 chambres supplémentaires au cours des quatre prochaines années.»

Le mal genevois

«Nous avons un problème d’image à Genève. Notre destination n’est pas perçue comme très bucolique. Nous avons par exemple lancé un nouveau site Internet (www.decouvreta suisse.ch) pour la clientèle jeune de Suisse, ou encore des forfaits avec locations de voiliers Surprise sur le Léman. Mais l’attrait de ces offres semble quasi nul. Le déficit d’image de Genève est profond.»

«dans les entreprises, les budgets de voyage se sont évaporés.»

«Du côté des entreprises, ce n’est guère mieux. Dans les multina­tionales, les banques, les entreprises horlogères, les budgets de voyages se sont évaporés. Leurs procédures pour se déplacer se sont tellement complexifiées que le collaborateur doit souvent obtenir l’autorisation expresse de sa hiérarchie à l’interne dans le pays de départ et dans celui de sa destination. Les séjours liés aux organisations internationales sont pour leur part totalement inexistants.»

Moyen-Orient: la fin d’une ère

«Quant aux grands événements sur lesquels Genève a beaucoup misé, le Salon de l’Auto était déjà en perte de vitesse avant la crise sanitaire. Et avant sa disparition, tout le monde attendait de voir ce qui allait se passer. Il était évident que les bonnes années étaient derrière nous. La situation semble similaire pour les salons horlogers en Suisse. Genève a beaucoup misé – et avec succès – sur l’horlogerie pour attirer une clientèle étrangère aisée. En revanche, cet attrait ne fonctionne pas pour la clientèle suisse. On ne vient pas de Lucerne pour contempler des vitrines de magasins de montre.»

«Le Salon de l’Auto était déjà en perte de vitesse avant la crise sanitaire.»

«A cela s’ajoute le fait que cette année, la clientèle du Moyen-Orient ne pourra pas venir. Genève a beaucoup investi sur ce segment. Mais cette clientèle devenait chaque année un peu moins fidèle et elle était petit à petit remplacée. On est en présence d’un changement de génération et de valeurs.»

Un aéroport en péril?

«En analysant, on comprend qu’il s’agit d’un phénomène de fond. Dans tous ces segments de clientèle, on pressent que c’est la fin des grands volumes. C’est le constat général qui s’impose, à l’image de ce samedi de début juillet où il n’y a eu aucun vol d’EasyJet entre Londres et Genève. C’était simplement du jamais vu.»

«dans tous ces segments de clientèle, on pressent que c’est la fin des grands volumes.»

«L’aéroport de Genève Cointrin redémarrera-t-il comme en 2019? On peut se poser la question, ce d’autant que le vote populaire cantonal de 2019 a légitimé la mise en place d’un ‹pilotage démocratique› de l’aéroport de Genève qui limitera sans doute le nombre de vols.»

Genève doit se repenser

«Cette crise a débuté il y a six mois et il est évident qu’elle va durer encore très longtemps. Le tourisme genevois devra se réinventer en profondeur pour limiter les pertes d’emploi et de retombées économiques.»

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

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