Publié le: 3 mai 2019

Un restaurateur lutte à Lausanne

terrasses – A la tête du Vaudois et du Bruxelles Café à Lausanne, une brasserie et un bar, le restaurateur Richard Balsamo s’estime attaqué par la Ville de Lausanne. Cette dernière, par l’entremise de Pierre-Antoine Hildbrand, nous donne également son point de vue sur cette épineuse situation.

Le printemps arrive, les marronniers refleurissent, comme les histoires de bureaucratie et de terrasses. Une guerre perpétuelle, semble-t-il, depuis que les restaurateurs ont inventé le farniente et que les fonctionnaires ont mis au point la notion d’espace public protégé.

Les temps semblent difficiles pour la restauration, qui peine à dégager les moyens de rénover ses installations. A Lausanne, la situation vécue par la Brasserie Le Vaudois l’illustre parfaitement.

Il faut tout détruire!

Gérant de cet établissement, ainsi que du Bruxelles Café, le bar voisin, Richard Balsamo n’en revient pas. Les services de la Ville de Lausanne lui demandent de supprimer une grande véranda avec son estrade et les infrastructures qui y sont installées depuis les années 2000. Cette installation permet aux clients de consommer «à plat», car le trottoir est en forte pente (photo). De l’autre côté, la terrasse jouxte la place de la Riponne et protège les clients dans une zone de grand trafic et de transports publics.

Que s’est-il passé? Le 11 juin 2018, cet établissement familial – Richard Balsamo s’y activait autrefois avec son père – adresse à la municipalité de Lausanne un dossier préparé avec l’aide d’un géomètre et d’un architecte. Il pose une simple question: serait-il possible d’installer une série de tables le long de la partie sud-ouest de la terrasse?

Mais voilà! La réponse de la Ville le renverse. «La Municipalité est soucieuse de l’esthétique et de l’aménagement des terrasses, afin que celles-ci s’intègrent de manière harmonieuse au domaine public et contribuent, dans la mesure du possible, à embellir la Ville», raconte le restaurateur.

C’est le point de vue de la municipalité de Lausanne (lire l’encadré). La loi est en train de changer et la politique sera plus restrictive. Les terrasses seront désormais des espaces à ciel ouvert, où seules des tables et des chaises sobres et uniformes pourront être disposées pour servir la clientèle.

Autorisation d’exploiter retirée

Et voici la conséquence qui affecte directement Le Vaudois. «Tout type de podium, surélévation, barrière, séparation verticale ou relais de service n’est plus admis.» Le couperet est tombé, d’une simple question, on est passé au stade de la décision et il semble impossible de revenir en arrière. «La Ville me prie de lui faire parvenir, d’ici au 31 décembre 2019 un projet d’aménagement des terrasses sans podium ni véranda, explique-t-il. Au-delà de cette date, les autorisations d’exploiter les terrasses pourraient être, à défaut d’un aménagement sobre et sans podium ou véranda, retirées.» En perspective, la fermeture de la terrasse dans sa configuration actuelle est programmée.

Ce qui déplaît au gérant, c’est que la destruction exigée par les services lausannois est totale. Les volumineuses infrastructures métalliques, le plancher en bois adapté à la forte déclivité du trottoir, les parois vitrées et antibruit, les stores et les parasols, les meubles de service: tout devrait avoir disparu avant la fin de l’année.

Or personne ne parle des coûts d’une telle destruction. « L’administration ne me fournit même pas la base légale sur laquelle on me condamne à rendre mon entreprise inexploitable, déplore-t-il. Sans véranda, sans terrasse dans cette zone, le manque à gagner n’est pas jouable. Cette décision met en jeu la survie de mon établissement.»

Inexploitable sans sa terrasse

A commencer par une perte colossale de chiffre d’affaires durant toute l’année. Il s’agit en effet d’une terrasse très fréquentée, le seul coin d’ombre sur cette place qui est parfois écrasante de chaleur. Du point de vue pratique, il ne serait plus possible d’exploiter la terrasse durant les périodes de froid, de pluie et de vent. Cela se traduira par une adaptation des effectifs. «Des gens seront mis au chômage, c’est inévitable!» Richard Balsamo rappelle la fonction de départ de la véranda: «Comme le trottoir est en pente, il n’y a aucune possibilité de servir les clients sans la véranda, regrette-t-il. J’ai fait le test avec un verre de bière sur une table. Sans podium, la pente est telle que le verre glisse et se renverse en un clin d’œil.»

Il y a aussi la foule, dense dans cette partie de la ville. Une partie de la terrasse se situe en effet juste devant l’arrêt de bus desservant des centaines de personnes qui montent et descendent des véhicules. Conséquence, les clients et les piétons se mélangeraient. De plus, les clients se retrouveraient dans la pollution et la poussière directe des voitures, bus, camions, motos – sans aucune protection.

L’attractivité d’une ville

A ses yeux, une telle décision est difficile à avaler. «Nous ne comprenons pas qu’une petite poignée de fonctionnaires puisse imposer une telle décision à toute une ville, une décision assortie de menaces et sans aucune forme de consultation au préalable, écrit le patron du Vaudois. La Ville souhaite rendre l’espace publique aux citoyens, mais se rend-elle compte que sans les commerçants, il n’y a pas d’attractivité. Lausanne ne devrait-elle pas plutôt soutenir les commerçants?»

Il y a autre chose. Richard Balsamo ne comprend pas pourquoi la municipalité veut lui supprimer sa terrasse tout en créant une autre terrasse pour les marginaux et drogués qui s’ébattent sur la place de la Riponne – à quelques mètres de son établissement?

Richard Balsamo rappelle que le but du commerçant est de rendre son établissement attractif en utilisant sa créativité, son engagement, son service, son confort, son offre spécifique en tenant compte bien évidement des lois. «Si certains commerçants ne respectent pas les lois, je ne vois pas pourquoi tout un corps de métier devrait en payer les conséquences. Il y a beaucoup de commerçants qui respectent et appliquent les législations.» Il invite donc ses collègues, tous les restaurateurs, tenanciers de bar et autres à s’informer auprès de GastroLausanne, membre ou pas, afin de partager leurs contraintes et se faire aider.»

L’heure du débat

Une entrevue entre les restaurateurs lausannois et les services de la Ville était prévue pour le mardi 29 avril – alors que nous bouclions cette édition. Nous reviendrons sur ces discussions dans une édition ultérieure.

François Othenin-Girard

un autre point de vue: pierre-antoine hildbrand, ville de lausanne

«Alléger l’emprise sur le trottoir et préserver les intérêts d’un repreneur»

«Lausanne souhaite le meilleur pour ses habitants, ses visiteurs et ses commerces. La politique de la Ville de Lausanne est de favoriser l’implantation de terrasses. Les chiffres récents le démontrent. En 2014, 5304 m2 étaient dévolus à ce type d’exploitation et 477 autorisations étaient délivrées. En 2018, ces chiffres s’élèvent à 6618 m2 de domaine public attribués à l’exploitation de terrasses et 500 autorisations.

Durant la même période le nombre d’établissements de jour est passé de 617 à 632. La hausse de la surface s’élève ainsi de presque 25%. La création et l’extension de terrasses impliquent une pesée des intérêts. Il y a ceux du demandeur et de ses clients actuels et potentiels ainsi que ceux du voisinage, des habitants et des autres usagers.

C’est principalement à l’occasion des modifications intervenant dans l’exploitation de l’établissement ou lorsque des demandes supplémentaires lui sont présentées, que l’autorité fait état de ses exigences techniques et esthétiques. Tel a été le cas pour l’établissement Le Vaudois. Dans le cadre de la demande d’agrandissement de la terrasse et d’une remise potentielle de l’exploitation, l’autorité a communiqué les futures conditions d’exploitation de la terrasse comprenant en particulier le retrait de la véranda et du podium qui sont à bien plaire sur le domaine public. Il est en effet souhaité d’alléger l’emprise sur le trottoir. Pour préserver aussi les intérêts d’un repreneur potentiel, l’autorité a annoncé directement les conditions à respecter, à savoir la mise en place d’une terrasse de plein pied, ouverte, avec une compensation de la pente par une structure légère, contrairement à celle actuellement posée. La volonté politique est aussi de limiter le recours au mobilier en plastique et aux parasols publicitaires pour tiers sur le domaine public.

Comme toute décision, elle est sujette à recours ou à reconsidération en fonction d’éléments nouveaux.»

Pierre-Antoine Hildbrand 
Conseiller municipal (PLR)
Directeur de la sécurité et de l’économie

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