Publié le: 6 juillet 2018

Une montagne d’argent

MARCHÉS PUBLICS – Au cours de la session d’été, le Conseil national a adopté la Loi fédérale sur les marchés publics (LMP). Le climat est à l’optimisme.

Il y a beaucoup d’argent en jeu. L’administration fédérale centrale fournit à elle seule des services, des biens et des services de construction d’une valeur de plus de 5 milliards de francs par an. Actuellement, le montant total des paiements liés aux marchés publics en Suisse – fédéral, cantonal et communal – est estimé à environ 41 milliards de francs par an. La révision totale de la loi sur les marchés publics est nécessaire en raison d’un amendement à l’Accord sur les marchés publics de l’OMC. En même temps, les lois sur les marchés publics de la Confédération et des cantons seront harmonisées.

«LA PERFORMANCE ET LE PRIX VONT DE PAIR.»

Les critères de qualité devraient être pondérés plus fortement et le critère de prix plus faiblement. Il faut s’en féliciter, car il sera plus facile pour les entreprises nationales de jouer à armes égales face à leurs concurrents étrangers. Aujourd’hui, ce n’est plus l’offre la moins chère qui doit se voir attribuer le contrat, mais la plus avantageuse.

Selon la volonté du Conseil national, la qualité, les conditions de livraison, la valeur technique, la créativité ou la durabilité doivent également être prises en compte – en plus du prix.

L’offre la plus avantageuse doit être déterminée sur la base de tous les critères. Les clients peuvent avoir des exigences supplémentaires que le fournisseur doit satisfaire à l’étranger. Il s’agit d’éviter qu’un prestataire suisse ne soit privé d’une chance simplement parce qu’il respecte le droit suisse.

 

Examen impartial de l’offre

Afin d’éviter les offres de dumping, dans le cas d’offres anormalement basses, il convient de préciser si les conditions de participation ont été respectées. Le modèle à deux couvertures proposé par l’usam a également obtenu la majorité au Conseil national. Les fournisseurs peuvent maintenant être obligés de soumettre la performance et le prix dans deux enveloppes séparées – avec l’objectif que la qualité de l’offre puisse être vérifiée de manière impartiale.

L’usam a également soutenu l’exigence que les appels d’offres pour les contrats de construction soient rédigés au moins dans la langue officielle du site. Deux langues officielles sont requises pour les marchés de fournitures et de services. Les inscrip­tions peuvent être faites dans n’importe quelle langue officielle.

 

Observer le niveau des prix

Le Conseil national a également approuvé à une majorité claire une proposition minoritaire qui a pour effet que les entreprises nationales «ne sont plus discriminées dans la concurrence pour les marchés publics», comme l’affirme l’initiative «Fair Play Public Procurement». La comparaison des prix des offres ne devrait donc plus être nominale, mais basée sur des valeurs ajustées en fonction du niveau des prix.

En tant que représentante des entrepreneurs, Sylvia Flückiger, conseillère nationale (UDC/AG), est convaincue que de nombreuses PME bénéficieront de ce change­ment. «Il est frustrant pour elles de voir que les commandes les plus adaptées sont attribuées à l’étranger en raison des différences de prix nominaux, estime-t-elle. Nos PME paient des impôts en Suisse, respectent des normes élevées en matière de sécurité au travail ou d’environnement, versent des salaires minimums locaux.»

«LA CONFÉDÉRATION, LES CANTONS ET LES COMMUNES COMMANDENT DES MARCHANDISES POUR ENVIRON 41 MILLIONS DE FRANCS PAR AN.»

Et selon la conseillère nationale, elles seraient punies si l’on comparait les prix sur une base purement nominale. «Cela ne peut pas être et ne devrait pas être le cas à l’avenir, selon Mme Flückiger. Et avec cela, nous renforçons la production nationale pour l’avenir, ce qui est d’une grande importance.»

 

Concurrence étatique

Sur un point essentiel, cependant, l’industrie est confrontée à une nouvelle concurrence. Le Conseil national a également décidé d’exempter de la loi les «organisations d’insertion professionnelle». Il était prévu de n’accorder cet avantage qu’aux institutions pour handicapés. «Cependant, le «travail d’organisation sur l’intégration professionnelle» concurrencera directement les entreprises commer­ciales, raison pour laquelle l’usam s’est opposée à la proposition des Verts. A notre avis, la non-souscription des organisations d’insertion professionnelle dans le cadre des marchés publics créerait une fois de plus des inégalités de traitement pré­ju­diciables aux PME (lire l’encadré).

Dieter Klay, usam

le point de vue de benoît genecand (plr/ge)

Les PME face à la concurrence de l’Etat sur le marché de la réinseration

C’est exactement ce que craint Benoît Genecand, conseiller national (PLR/GE). En tant qu’administrateur actif dans le secteur du nettoyage et du recyclage, le Genevois emploie également d’anciens détenus pour les remettre sur pied. «Nous courons le risque de nous retrouver dans une situation où finalement il n’y aura plus que ces organismes sur le marché de la réinsertion socioprofessionnelle et où l’on interdira progressivement aux PME de s’y faire aussi une place ou, du moins, de pouvoir offrir une chance aux personnes qui sont en difficulté.»

Joint par téléphone, il précise sa pensée: «Je suis administrateur du groupe Serbeco, entreprise de recyclage, qui est active également dans le nettoyage au travers de la société Prop. Ces deux activités offrent des postes de travail à des personnes faiblement qualifiées alors même que ces métiers se spécialisent. Serbeco engage aussi des gens qui sortent de prison pour leur remettre le pied à l’étrier. Nos marchés (nettoyage, collecte et tri des déchets) ont souvent été vus par les organismes d’insertion socio-professionelle comme des métiers ‹faciles›, avec un temps de formation réduit et donc une possibilité pour ces entités d’accéder aisément à des tâches rémunératrices, à une époque où les subventions directes ont tendance à diminuer. Le problème, c’est que ces organisme devraient se contenter de faire un travail de transition. Leur but étant une réinsertion dans le monde réel du travail. Or, à ma connaissance, leurs taux de réinsertion sont très bas − proche de zéro!»

Un triangle infernal

Aux yeux du conseiller national, la question fondamentale est la suivante: si tous les travaux de ce type sont effectués par des entreprises sociales, quelles entreprises seront encore en mesure d’employer et de salarier convenablement et durablement des personnes pour lesquelles un accès au marché du travail classique est rendu de plus en plus difficile?

«A cela s’ajoute le fait que si Serbeco et Prop respectent évidemment la législation sur le travail, tel n’est pas le cas de toutes les entreprises qui nous livrent une forte concurrence au travers des prix, constate le parlementaire radical. Mon message politique, c’est de dire que nous n’avons pas intérêt à affaiblir les PME qui respectent la loi. Ce projet de loi nous fait entrer dans une spirale qui n’est pas vertueuse. Au final, les PME se retrouvent ‹squeezées› au centre d’un triangle infernal, entre une concurrence étatique, une concurrence des entreprises grises et une pression supplémentaire exercées via les prix.»

Selon Benoît Genecand, une piste pour sortir de ce cercle vicieux consiste à minimiser le critère prix dans les appels d’offre et de mieux pondérer des critères sociaux.

Propos recueillis par François Othenin-Girard

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