Publié le: 5 novembre 2021

Vu d’une PME, le marché du café

COMMERCE MONDIAL – Pour Marc Käppeli, à la tête de Blaser Café à Berne, une PME active dans le négoce, le transport, la torréfaction, la dis­tri­bution et la vente, la période est corsée en nouveaux défis: prix des containers volatiles, ruptures d’approvi­sionne­ment, hausse des tarifs de l’électricité et du prix du carton – tout semble s’emballer!

Les lignes d’approvisionnement des matières premières sont bousculées, interrompues. Comment se présente la situation dans la branche du café?

Nous avons connu depuis cet été une augmentation des prix du café vert à cause d’une gelée au Brésil, le plus grand producteur du café vert dans le monde. Une incertitude demeure concernant la hauteur de la perte pour la récolte de l’an prochain: nous tablons pour notre part sur une fourchette de perte comprise entre 10 et 15 %. Mais tant que les cerises de café poussent, la récolte effective n’est pas connue, et cette situation pousse les prix à la hausse.

Que constatez-vous dans votre activité de trader?

Que sur les deux marchés boursiers du café vert, l’Arabica à New York et le Robusta à Londres, les prix ont même augmenté de plus de 75 %! Aujourd’hui, nos mélanges de café nous coûtent environ deux francs par kilo de plus qu’il y a six mois. En outre, les problèmes de transport international avec les coûts élevés des conteneurs rendent les importations de café encore plus chères.

Dans votre cas, à quoi ces ruptures d’approvisionnement sont-elles dues et comment êtes-vous affectés?

Au début, ce sont les ports dont la capacité était réduite en raison du Covid-19, qui ont créé des retards. Actuellement, nous subissons un engorgement avec une disponibilité très réduite des conteneurs et des prix de transport qui explosent. Les compagnies maritimes n’honorent plus les contrats qu’elles ont conclus et ne mettent des conteneurs à disposition qu’à condition de payer cinq à dix fois plus qu’au début de l’année. De plus en plus de navires sont parqués en attendant d’entrer dans les principaux ports, les infrastructures portuaires ne sont pas à la hauteur – surtout aux États-Unis – et les conteneurs ne peuvent plus être déchargés, transportés et vidés en temps voulu. Nous connaissons des retards d’embarquement allant jusqu’à quatre ou cinq mois dans certains cas.

Quel est le problème particulier avec les containers?

Le café vert est toujours expédié dans des conteneurs depuis chaque pays d’origine. La répartition des conteneurs dans le monde a disfonctionné depuis le début de la pandémie et les prix de location des conteneurs se sont multipliés: par exemple, au Vietnam, un conteneur est aujourd’hui facturé jusqu’à 10 fois plus cher (de 700 à 7000 dollars US). Au Brésil, il est actuellement de deux à trois fois plus élevé, mais il est également question de nouvelles augmentations. Cela signifie que les nouveaux contrats de café vert sont conclus aux conditions d’achat suivantes: au prix du café vert «fob» (free on board) fixé au départ de la cargaison du lieu de production, il faut encore ajouter le prix du transport. Or le prix du conteneur est déjà trois à cinq fois plus élevé que d’habitude – et il peut encore varier. Donc le prix de départ, fixé par exemple à 3500 dollars US, peut continuer à fluctuer et passer à 5000 dollars US, lorsque les marchandises seront expédiées en mars 2022. Nous devrons payer un autre supplément de 1500 dollars US.

Certains analystes estiment que la Chine surconsomme. Est-ce le cas avec le café?

La Chine ne consomme pas plus de café qu’avant. Et elle n’est pas la seule responsable de l’embouteillage. Les États-Unis le sont au moins autant. En dehors de l’infrastructure vétuste de certains ports, le problème est que les conteneurs de café sont plus lourds et sont souvent plus pénalisés par les compagnies maritimes par rapport aux autres marchandises.

Quelles solutions concrètes avez-vous mises en place?

Nous essayons de travailler avec plusieurs sociétés de transport. Et, ce faisant, d’assurer un suivi quotidien des réservations tout en restant en contact plus régulièrement avec les agents de différentes compagnies. Pour le moment, le café n’est malheureusement transporté que dans des containers, mais nous faisons notre possible pour dénicher d’autres solutions. Nous œuvrons aussi à couvrir nos besoins en café vert en Europe tant qu’il y a encore des offres.

Depuis notre première visite en juillet 2019, comment le marché du café a-t-il évolué jusqu’au début de la pandémie?

Au cours des deux à trois années qui ont précédé la pandémie, le marché du café n’a pas beaucoup évolué. Les prix d’approvisionnement sont restés stablement bas et ont entraîné des guerres de prix entre fournisseurs sur nos marchés de vente. En raison des prix avantageux, de nombreux torréfacteurs se sont «couverts» pour se protéger des hausses de prix sur le marché du café vert, en prenant des engagements sur le moyen ou le long terme et cela parfois pendant plus d’un an.

Quels ont été les effets de la pandémie sur les prix, les délais et les coûts en général pour un torréfacteur comme vous, également actif dans la distribution, le négoce?

Pour nous en particulier, la pandémie a entraîné une baisse des ventes. Nous vendons environ 50 % de notre café torréfié dans le secteur de la gastronomie. Et la fermeture des restaurants, des hôtels et des bars a eu des conséquences directes sur notre activité. Dans notre portefeuille, un grand nombre de clients que nous livrons sont actifs dans la distribution avec leurs propres marques. Une clientèle d’un autre type est quant à elle active à l’exportation. Or ces deux catégories fournissent également le secteur de la restauration. Autant dire que leur chiffre d’affaires a aussi diminué en 2020 et 2021. À cela s’ajoute le fait que certaines compagnies aériennes font également partie de nos clients – ces produits spéciaux n’étaient soudainement plus demandés.

Et dans la vente directe?

Notre boutique en ligne et le magasin de vente à emporter ainsi que la boutique de nos cafés Rösterei Kaffee und Bar ont très bien marché et ainsi un peu compensé ce déséquilibre. Il est devenu évident que nous devrons investir davantage dans le commerce de détail et le consommateur final (B2C) – afin d’être plus résistants face à de telles crises. Cela dit, l’approvisionnement en café vert a continué à fonctionner impeccablement, à tel point que nos entrepôts ont même par moment débordé.

Comment voyez-vous évoluer les prix de l’énergie (électrique notamment)?

Nous voyons émerger une forte augmentation des prix de l’électricité. Récemment, on a même pu lire dans la presse qu’un «black-out» était imminent en raison de l’absence d’accord entre la Suisse et l’UE. La demande d’électricité grimpe partout dans notre vie quotidienne: appareils électriques, dispositifs de communication, vélos électriques, voitures électriques, la liste est longue. Dans le même temps, le démantèlement des centrales nucléaires a été approuvé dans l’intérêt de la durabilité à long terme! Comment cela peut-il jouer à moyen terme si la majorité de nos besoins énergétiques suisses proviennent toujours de l’étranger? Le gaz, que nous utilisons pour faire fonctionner les torréfacteurs, devient aussi de plus en plus cher.

Comment faites-vous face à l’augmentation du prix du carton?

Nous étudions en effet la possibilité d’utiliser des emballages alternatifs au carton. Nous fournissons déjà à des clients individuels des boîtes d’échange, que nous reprenons immédiatement après la livraison sur le site.

Est-ce que vous pouvez répercuter toutes ces hausses de prix?

Non. Nous sommes bien sûr obligés de répercuter certaines augmentations de coûts sur les clients, sinon nous vendrions en dessous de notre prix de revient, ce qui menacerait à moyen et long terme notre existence et nos emplois. Cependant, la situation du marché ne permet pas une répercussion des coûts à l’identique, car il y a toujours un concurrent qui souhaite profiter d’une telle situation pour s’engouffrer dans la brèche.

Sur les risques de change, votre stratégie a-t-elle évolué?

Ce problème se pose constamment et il a souvent eu un effet surprenant sur le bilan. Depuis quelques années, nous disposons de deux collaborateurs qui travaillent exclusivement sur les couvertures en général et les couvertures de change.

Comment avez-vous géré les RH, les fournisseurs et les distributeurs?

Pendant la pandémie, nous avons également dû introduire le chômage partiel, mais nous avons payé à chaque employé son plein salaire à tout moment. Nous n’avons licencié personne. Nous avons tenu nos engagements et pris en stock les marchandises commandées, par exemple, le matériel d’emballage, malgré la baisse des ventes. De nombreux clients et distributeurs n’ont pas pu prendre les quantités convenues, mais nous avons tout de même maintenu le prix décidé. Nous sommes toujours soucieux des partenariats sur le long terme. C’est à la fois prendre et donner.

Qu’avez-vous appris finalement dans votre métier – et sur le plan humain?

D’une part, que les choses ne vont pas toujours en s’améliorant – comme dans les années qui ont précédé la pandémie. Et qu’il faut être prêt à tout, et vraiment à tout. Qui aurait pensé avant le Covid-19 que tout le secteur de la restauration puisse être un jour fermé par l’État? Et comme je l’ai déjà dit, dans la vie, il faut savoir prendre et donner, dans les relations avec les fournisseurs, les employés et la clientèle.

François Othenin-Girard

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