Publié le: 10 décembre 2021

Échanges ralentis, le monde à l’envers

commerce international – C’est au moment où le cargo «Ever Given» s’est retrouvé bloqué dans le canal de Suez en mars dernier que le flux mondial de marchandises s’est désynchronisé. Des entreprises actives sur le plan mondial comme Kühne + Nagel ou Ikea sont touchées, ainsi que de nombreuses PME suisses. Rien ne donne à penser que cela va s’améliorer.

Le monde se débat avec les conséquences de la pandémie de corona- virus depuis une bonne vingtaine de mois maintenant. Au cours de cette année et demie, rien n’a été négligé, tant au niveau privé qu’à l’international. Toute notre capacité d’adaptation a été et est encore mise à l’épreuve au quotidien, en particulier pour de nombreuses entreprises – des grandes structures aux entreprises individuelles.

Artères bloquées

Les images de Suez en mars 2021 sont inoubliables: l’immense cargo «Ever Given» échoué en travers du fameux canal, un mahousse de 400 mètres de long et de 59 mètres de large, chargé de plus de 18 000 conteneurs, totalement coincé. Et au final, le blocage de l’une des autoroutes du commerce maritime entre l’Asie et l’Europe avec des centaines de navires à l’arrêt. Une fois «libéré», le «Ever Given» a été bloqué sur un lac entre deux sections du canal en raison d’une décision de justice égyptienne. Après une pause forcée de 100 jours, le cargo a poursuivi sa route vers Rotterdam, sa destination initiale, où de nombreux autres problèmes avec d’autres cargos ont mis un grand coup de frein au commerce mondial.

Le blocage de Suez a encore exacerbé les problèmes existants dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les rapports se succèdent dans les différents secteurs, qu’il s’agisse des matières premières ou d’autres produits, avec pour corollaire inévitable les augmentations des coûts de production, voire parfois un arrêt complet de la production.

Les grands acteurs également touchés...

Et cela concerne aussi les grands acteurs: Apple doit revoir à la baisse ses objectifs pour le nouvel iPhone 13 en raison de la pénurie mondiale de puces. Le géant américain revoit sa cible, qui passe de 90 à 80 millions d’unités, selon Bloomberg. La raison: les fournisseurs Broadcom et Texas Instruments n’ont pas pu livrer suffisamment de semi-conducteurs.

Le fabricant de meubles suédois Ikea est également touché et retire carrément certains produits de sa gamme en raison du manque de capacité de transport. «Les chaînes d’approvisionnement mondiales subissent une pression énorme», relève Peter Langskov, responsable de la logistique d’Ikea Danemark, à la chaîne d’information «Euronews». Apparemment, la société cherche des alternatives au trafic de porte-conteneurs. «Nous avons essayé de mettre en place une liaison ferroviaire entre l’Asie et l’Europe afin de pouvoir utiliser les trains, explique Peter Langskov. Nous avons aussi essayé de louer des porte-conteneurs et d’acheter des navires vides. Mais il faut aussi les ramener, et c’est un problème.»

La Suisse impactée

Les PME suisses souffrent aussi. Ainsi, Fabio Regazzi, entrepreneur, conseiller national et président de l’Union suisse des arts et métiers (usam), dont le groupe d’entreprises tessinoises produit notamment des systèmes de stores, fenêtres et façades en aluminium, portes de garage et boîtes aux lettres, est impacté par la hausse du prix des matières premières: «Le prix de l’aluminium a pratiquement doublé en l’espace d’un an et cette hausse sans précédent nous place devant de sérieux défis.» Les clients ne sont souvent pas prêts à payer les suppléments correspondants «à moins que cela ne soit prévu dans les devis et les contrats». Mais le pire – et le plus difficile à justifier auprès des clients – ce sont les délais de livraison prolongés.

Même son de cloche chez Jakob Stark, conseiller aux États (UDC/TH) et président depuis mai de Lignum, l’organisation faîtière de l’industrie suisse du bois, livre un constat similaire. «Le bois est très demandé, non seulement en Suisse, mais dans toute l’Europe et surtout aux États-Unis», déclare-t-il à la Gewerbezeitung en juillet. «Avec la Chine, les États-Unis achètent actuellement le marché mondial.»

D’où les ralentissements actuels: «Le bois et de nombreux autres matériaux comme l’acier ou l’aluminium, les matières plastiques – sous forme de tuyaux, de feuilles ou d’isolants ou même le verre – se font rares sur les chantiers suisses depuis le premier trimestre 2021, dans certains cas.» C’est aussi une conséquence des lacunes causées par le stop-and-go des années pandémiques 2020 et 2021. «En ce moment, il est important de bien planifier la construction. Les usines suisses tournent à plein régime, mais sans les importations – environ 70 % des produits utilisés dans la construction sont importés – cela ne fonctionne tout simplement pas comme ça dans la construction en bois.»

«Plus serré que jamais»

Le commerce spécialisé est également touché. L’entreprise familiale Tomwood AG basée à Wiedlisbach en Haute-Argovie vend notamment des maisons et des pavillons de jardin, des abris pour voitures ou des équipements de jeux pour enfants. Elle signale fin septembre à ses clients via son site internet, que les prix augmentent et qu’il y a des ruptures dans l’approvisionnement en bois et en matériaux de construction. La situation du marché est «actuellement difficile pour tous les fabricants» et les conditions générales sont «plus serrées que jamais». Certaines marchandises peuvent ne pas être disponibles pendant une certaine période. «La réalisation de projets immobiliers et de construction risque d’être retardée en conséquence».

Pour expliquer ces augmentations de prix – des surtaxes de 5 à 45 % sont attendues – l’entrepreneur mentionne que «de nombreuses grandes entreprises ont considérablement réduit leur production par crainte d’une baisse des ventes due à la pandémie. Comme l’ensemble de la demande dans le secteur de la construction et de la rénovation a augmenté – ce qui veut dire que l’offre et la demande ont rapidement divergé. Cela a encore des conséquences aujourd’hui, car l’industrie n’a pas été en mesure de développer des capacités de stockage.»

L’entreprise recommande donc de passer commande le plus tôt possible. Elle promet de rechercher des produits de substitution pour les marchandises qui ne sont pas disponibles. Et il souligne qu’en raison de la situation d’approvisionnement tendue, il faut s’attendre à un délai de planification plus long.

Attention aux PME!

Les peintres et les plâtriers souffrent également de la rupture des chaînes d’approvisionnement et de l’augmentation des prix liés à la pandémie. Ils ont décidé de jouer la carte politique. La conseillère nationale Sandra Sollberger (UDC/BL), maître peintre et membre du comité central de l’Association suisse des entrepreneurs plâtriers-peintres (ASEPP), a attiré l’attention de ses collègues du National sur la «pénurie de matériaux aux dépens des PME» lors d’une séance parlementaire en septembre. Elle a lancé une motion à ce sujet lors de la session d’automne dans laquelle elle demande au Conseil fédéral de faire preuve de «plus de bonne volonté et de conciliation» dans le domaine des marchés publics tout en «sensibilisant les services d’achat à tous les niveaux – fédéral, cantonal et communal – aux conséquences des défis liés à la pandémie, «afin que les PME ne soit pas laissées pour compte». Dans le cas des bâtiments publics, l’ASEPP exige en particulier que les plâtriers-peintres ne soient pas obligés d’être les seuls à subir les hausses de prix des matériaux.

Planification Ă©pineuse

La pandémie touche non seulement la construction, mais aussi le commerce et la production de denrées alimentaires. L’Union Suisse des producteurs de champignons (USPC) demande une augmentation des prix à la production. «Après de très bonnes ventes au premier semestre 2021, les producteurs sont confrontés à des défis majeurs en raison de la forte hausse des coûts», a annoncé l’association en septembre.

Outre l’augmentation des frais de personnel et des salaires, le recrutement plus difficile de travailleurs qualifiés – «une évolution qui a maintenant été exacerbée par la pandémie» – la hausse des prix des matières premières, la pénurie de paille de substrat liée aux conditions météorologiques, l’augmentation des coûts énergétiques et la pénurie de divers matériaux de construction sont des problèmes qui «rendent actuellement presque impossible une planification fiable des coûts d’investissement».

Conteneurs en eaux troubles

Un problème majeur qui ne sera pas résolu trop rapidement: Kühne + Nagel, le groupe logistique international dont le siège est en Suisse, s’attend à une pénurie persistante de conteneurs de fret. Après que les ventes et aussi le commerce mondial aient chuté drastiquement en raison des blocages, les volumes de fret mondiaux ont bondi en juin 2020. D’abord entre l’Asie et les États-Unis, puis entre l’Asie et l’Amérique du Sud et entre l’Asie et l’Océanie. Pour répondre à la forte augmentation de la demande, les transitaires ont rapidement rétabli la capacité de certaines voies commerciales, a-t-il indiqué. «Cependant, comme de plus en plus de voies commerciales se sont rapidement rétablies, la situation s’est débloquée.»

Kühne+Nagel cite comme causes de la pénurie de conteneurs un nombre réduit de conteneurs disponibles, des ports surchargés – au large de Los Angeles, un cargo a dû attendre jusqu’à douze jours en octobre - un nombre réduit de navires opérationnels et des flux de marchandises modifiés.

Marc Käppeli, directeur de la quatrième génération de l’entreprise familiale bernoise Blaser Café, fondée en 1922, abonde dans le même sens.

La rupture des chaînes et les augmentations de prix se font aussi sentir dans le café. «Au début, ce sont les ports qui ont réduit leurs capacités à cause de la pandémie, ce qui a créé des retards. Maintenant, le trafic est congestionné avec une très faible disponibilité des conteneurs et des prix de transport qui montent en flèche.» Les compagnies maritimes n’honorent plus leurs contrats et ne fournissent des conteneurs qu’à condition que les clients paient cinq à dix fois ce qu’ils auraient payé au début de l’année. «De plus en plus de navires attendent d’entrer dans les grands ports, les infrastructures portuaires ne sont pas à la hauteur – surtout aux États-Unis – et les conteneurs ne peuvent pas être déchargés, transportés et vidés à temps. Dans certains cas, il y a des retards de livraison allant jusqu’à cinq mois.» (lire l’interview complète dans le JAM 11, p.19).

Enfin, la pandémie produit d’au-tres effets indésirables. La «SonntagsZeitung» a rapporté qu’en raison du manque de pièces de rechange, certaines pièces pour les vélos sont de plus en plus souvent volées – en particulier celles qu’il est difficile de se procurer actuellement. En résumé, le retour à la normale n’est pas pour bientôt. La question qui se pose pour de nombreuses PME suisses, c’est de savoir si leurs produits pourront être présents sous le sapin de Noël.

Gerhard Enggist

augmentation de prix

Conseils aux PME

À la mi-septembre, l’association de branches et d’employeurs de la technique et de l’enveloppe du bâtiment Suissetec a publié des conseils pour faire face aux augmentations de prix, dans un contexte de hausse des prix des matières premières et de leur influence sur les prix des matériaux – dans le but d’aider les entreprises à mieux affronter cette situation difficile.

Entre autres choses, les experts conseillent:

• d’établir un devis séparé pour la main-d’œuvre et les matériaux.

• de présenter des offres courtes, du moins en ce qui concerne les matériaux.

• de se réserver le droit d’ajuster les prix des matériaux (si nécessaire, vous pouvez vous référer à un indice des prix des matériaux).

• de se méfier des contrats à prix fixes: souvent, ils ne prévoient pas d’ajustement au coût de la vie.

• de rester en contact étroit avec votre fabricant ou fournisseur.

• de réserver le matériel rapidement dès que vous recevez la commande.

• d’utiliser les remboursements d’achats pour améliorer les marges, en utilisant les offres et les structures existantes.

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