Publié le: 8 décembre 2023

Partager l’écriture sans limites

Transmettre – À la tête d’une école de danse qu’elle a fondée, Sonia Molinari écrit des romans et organise des ateliers d’écriture pour les enfants, auxquels elle transmet ce mantra: «Ne vous laissez surtout pas coller une étiquette sur le dos!»

Elle nous reçoit dans son jardin à Bevaix. Le lac de Neuchâtel scintille plus bas. Dans l’arbre voisin, des centaines d’oiseaux ont déjà commencé à tisser le fil de mille récits. «J’ai de la chance, beaucoup de chance, de pouvoir faire ce que j’ai vraiment envie de faire, lance Sonia Molinari, écrire, danser et transmettre ces deux passions.»

Elle revient de son cours de flamenco – elle a créé sa propre école – et raconte l’irruption de cet art de vivre dans son être, «fascinée» au point d’en faire le noyau de sa nouvelle vie. Avant, elle se décrit dans le costume d’une hôtesse de l’air et celui d’une employée de commerce pour une marque horlogère. Elle a aussi travaillé dans une banque, un bureau d’architecte et même vendu des cigarettes.

Dans son premier livre, «Ne pas laisser le temps à la nuit» (Éditions Zoé, 2022), son héroïne est hôtesse de l’air. Maiko vole d’une ville à l’autre, d’un visage à l’autre, perruque à l’appui, infiltrations, enquêtes sous couverture, traquenards et planques en tous genres. Le tandem Sonia-Maiko à la recherche de la vérité sur la disparition du père scientifique, se déjoue des pièges tendus par la pègre globale, se tire des flûtes en cabriolant par-dessus les fuseaux horaires. Avec la grâce des agents de Sa plus gracieuse Majesté.

Sonia et ses cinq langues ne laissent pas de temps morts dans la discussion. Elle revendique des tares en orthographe. Qui oserait les lui reprocher? Apparemment pas les jeunes participants aux ateliers d’écriture qu’elle donne dans les écoles à Genève. On est là pour qu’elle nous en parle. Pas de l’orthographe, bien sûr.

Écrire pour raconter

Avant toute chose, où en est son prochain livre? Ce ne sera pas une suite du premier. Elle parle de son héritage culturel, une moitié espagnole, un bout d’Italie, un coin de Seeland. Y puise-t-elle son inspiration? «En fait, c’est plutôt l’acte d’écrire qui me passionne, me fait du bien. Un jour à Venise, j’ai flashé sur deux carnets, un rose et un bleu. C’est un peu cliché, mais je me suis dit que j’écrirai l’histoire de mes familles: un immense travail de documentation avec archives, interviews de témoins – suivi par la construction d’un récit imaginé à partir d’éléments tirés du réel. Pour l’instant, ce n’est qu’un gros point d’interrogation.»

Comment lui vient l’écriture? «Je suis dans mon jardin ou dans le train. Je me pose. Je regarde un paysage et ça se connecte à… je ne sais quoi. Bam! Tout à coup, un personnage apparaît. Et puis bing! Les scènes se déroulent. Souvent, la trame principale relève de la fiction totale, que je viens ensuite nourrir avec ce que j’ai vécu. C’est un peu le film que j’aimerais tellement voir.»

Tout à coup, les oiseaux se taisent. Un chat qui rode? Un avion qui se prépare à atterrir? Le cinéma n’est jamais très loin. Les élèves non plus. «Mon livre a été choisi comme livre de bac à Saint-Maurice où j’ai rencontré les élèves. Leurs questions m’ont fait prendre conscience de thèmes dont je ne me rendais pas compte. Entrent en jeu des choses qu’on ne soupçonne même pas. Notre inconscient nous guide plus qu’on ne le pense!»

Jacassement d’une pie irritée à l’autre bout du jardin. Elle se souvient d’avoir été «une pive» en orthographe. De l’imagination, certes, des mauvaises notes, surtout. «On me disait que ça partait dans tous les sens. Il fallait canaliser.» Cela la fait sourire d’avoir été perçue comme une scientifique. Ces profs n’avaient pas non plus tout faux: elle aime la logique et toutes ces choses où il faut démêler des pelotes.

«Je n’étais pas partie pour écrire un roman: ce moment de fuite me permettait dans le train de m’évader afin de regarder la suite du film – j’en étais presque la spectatrice.» Elle se souvient des ateliers d’écriture suivis à Neuchâtel, des rencontres importantes. Finit par prendre conscience qu’elle a de l’imagination et par choisir de mettre ses mots à elle sur ses récits.

Qu’ils découvrent qui ils sont!

«Ne vous laissez pas coller une étiquette sur le dos!» C’est ce qu’elle dit aux adolescents lors des ateliers d’écriture. «Je me présente comme l’exemple vivant de la personne qui n’était pas du tout prédestinée à cela. Le fait d’être mauvais en orthographe ne doit pas vous bloquer.»

Avec elle, l’écriture dévoile le «sans limites». «On peut s’inventer plein de chorégraphies dans nos têtes, mais on ne vole pas. Une articulation ne se plie que dans un sens! En revanche, l’écriture m’apporte une liberté totale. Elle permet de rendre le monde supportable. On crée autant de personnages qu’il faut pour leur faire dire tout ce que l’on souhaite, sans jamais heurter sa propre pudeur ou celle d’autrui. C’est magique!»

Notre inconscient nous guide plus qu’on ne le pense!»

La porte d’entrée est émotionnelle. «À l’école secondaire, les ados sont à fleur de peau. Le meilleur moyen de capter leur attention est de leur montrer qu’on les considère pour ce qu’ils sont. On leur demande trop souvent d’être ce qu’ils ne sont pas. Alors qu’ils n’ont envie que d’une chose: découvrir qui ils sont. Ils sont en plein dans l’expérimentation de l’être alors qu’on leur demande de faire.»

Leur apporter cette bouffée d’oxygène. Ils explorent une émotion forte, un souvenir précis, le moment présent, la dernière ambiance qui les a touchés. «Ils écrivent un texte qui parle d’une émotion sans la mentionner. Les autres participants arriveront-ils à la deviner? Ils ne recevront pas d’autres retours, car je ne porte pas de jugement de valeurs sur leurs textes.»

Autre exercice: écrire en se connectant aux sens, y compris au sixième. « Jouer avec les cinq sens comme avec une table de mixage sur laquelle on règle les potentiomètres en fonction de ce que l’on souhaite ressentir. Les dixièmes jouent bien le jeu. Au secondaire II aussi, il y a plein de questions.»

Avec Sandy Monnet, médiatrice culturelle avec le DIP à Genève et collaboratrice aux Éditions Zoé, elle participe à un atelier de carnets de lecture, quatre fois deux périodes. «Les élèves lisent le livre et prennent des notes. Ils peuvent aussi dessiner, préparer des collages quand une scène particulière évoque en eux quelque chose de précis, un lien avec leur vie, les sentiments qu’ils expérimentent. C’est une approche très riche.»

Les ateliers d’écriture permettent aussi d’apprendre à planter un décor, à filer une intrigue – à donner de la profondeur aux personnages et du tonus aux dialogues. Et le plaisir de lire? «Au départ, je leur demande qui aime lire. Cela varie beaucoup d’une classe à l’autre. Et qui aime écrire – là il s’en trouve encore moins. Un peu plus si on compte les chansons de rap. Mais à la fin de l’atelier, il y a souvent plus de mains qui se lèvent.»

Parfois, c’est aussi la rencontre avec de jeunes lecteurs. De quel genre de lecteurs parle-t-on? «Il faut dire qu’entre les jeux vidéo et les séries, ils aiment les scénarios touffus et complexes, quand les choses vont vite et que les images se multiplient. Ils ont un cerveau câblé différemment du nôtre. Je crois qu’ils aiment la densité, leur cerveau est très rapide. Comme s’ils étaient en train de muter.»

François Othenin-Girard

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