Publié le: 8 avril 2016

Le phénomène «Big Mac» automobile

SUV – Hypertension, hyperglycémie, hypercholestérolémie, obésité... Le médecin somme une fois de plus son patient de changer 
de diète alimentaire. En attendant, le malade a faim: «Un Big Mac, une grosse frite et un milk-shake, s’il vous plaît!»

Faire l’exact opposé des recommandations médicales, cela semble absurde, voire suicidaire. C’est pourtant le comportement d’achat des automobilistes suisses, européens et mondiaux (cf. commentaire). Le SUV est à l’automobile ce que le Big Mac est à la diététique, un choix rarement judicieux. La faute aux constructeurs? En partie, mais l’industrie répond surtout à la demande. En Suisse en 2016, un acheteur sur quatre achète un SUV. Le propos n’est pas d’interdire, mais de responsabiliser.

Absurdité technique

En gros, un SUV pèse 300 kg de plus que la berline correspondante, ce qui représente déjà des tonnes de CO2 supplémentaires en énergie grise (depuis l’extraction des matériaux jusqu’au recyclage en passant par la fabrication). L’avènement du SUV a réduit à néant quarante ans d’efforts d’allégement. Prenons l’ABS de première génération qui pesait 6,3 kg contre 1,1 kg pour celui de 9e génération. Ou encore l’acier (une voiture est constituée à 60% de métaux ferreux) dont la limite élastique maximale des tôles est passée de 200 à 1400 méga Pascals, rendant les carrosseries beaucoup plus protectrices sans être plus lourdes.

Ces 300 kg représentent aussi une surconsommation de carburant. On admet généralement 0,3 à 0,5 l/100 km pour chaque 100 kg supplémentaires. Mais pour un SUV, c’est facilement le double, à cause de sa plus grande surface frontale (S×Cx) et des pneus à plus forte résistance au roulement. Ainsi, sur un cycle de vie automobile (200 000 km), l’automobiliste aura payé un supplément de 2000 à 3400 francs de carburant et chargé l’air de 3 à 5 tonnes de CO2 supplémentaires. Aux Etats-Unis où les SUV sont légion, la surconsommation de la flotte automobile (par rapport à la flotte plus légère possible du marché) coûterait 92,8 milliards de dollars de plus à la pompe. Chaque année!

Course aux armements

Même si les qualités routières (freinage, tenue de route, performances) sont forcément en retrait à cause du surpoids et du centre de gravité élevé, ces deux facteurs sont justement responsables de la dangerosité des SUV en collision. Une étude américaine de la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) a analysé en détail 4,8 millions de collisions entre deux véhicules dans huit Etats fédéraux, en ajoutant la masse des véhicules dans les critères. Surprise! Le poids s’est révélé le facteur central dans la gravité ou la mortalité des victimes: «Un poids supérieur de 1000 livres (454 kg) du véhicule percuteur augmente le risque de mortalité des occupants du véhicule percuté de 47%!» Autre facteur de mortalité, la différence de hauteur des pare-chocs et structures lors des impacts. Enfin, l’étude a calculé que le poids excessif dans la gravité des accidents et dans la mortalité se chiffre, pour les Etats-Unis, à 136 milliards de dollars par année! En ajoutant la surconsommation susmentionnée, la facture s’élève à près de 230 milliards de dollars…

Aberration technique

Avant de se lancer dans le créneau des SUV, certains ingénieurs Volvo connaissaient les risques pour la sécurité et refusaient de concevoir le futur XC90. Porsche, quant à elle, refusait même l’idée d’un SUV, espèce automobile incompatible avec l’esprit sportif de la marque de Zuffenhausen… Avant de connaître le succès sans précédent du Cayenne. «La raison commerciale est toujours la meilleure», dirait Jean de La Fontaine aujourd’hui.

En réalité, l’automobile n’a pas pris tellement de poids, la preuve chez Volkswagen: une Golf I (370 cm de long sur 164 cm de large) pèse 790 kg contre 929 kg pour une VW Up (354 cm×164 cm) à l’habitabilité comparable. La vérité, c’est une montée en gamme: la clientèle type d’une Golf 1 des années 70 n’est plus celle d’une Up en 2016, mais plutôt d’une Golf 7 (1205 kg) et de plus en plus d’un Tiguan II (1568 kg en version dépouillée, assez rare en Suisse). Du coup, le poids au mètre carré n’augmente pas seulement de 21% (132 kg à 160 kg pour la Up), mais de 47% avec le SUV! Quant au poids réel (Golf 1 à Tiguan II), il a plus que doublé…

Le SUViste abattra son dernier argument… Les qualités de franchissement. Là encore, la plupart des modèles sont au mieux des «tout chemin». Trop lourds, chaussés de pneus routiers, sans rampantes ni autoblocants, angles de franchissement peu engageants, ils se font moquer dans des comparatifs sur YouTube face à une simple Fiat Panda 4×4 ou même la Renault 4 de grand-papa, aidée par ses pneus étroits, un poids plume de 600 kg et une garde au sol de 17,5 cm. Au fait, la Renault 4 contemporaine s’appelle Kwid (678 kg, soit 115 kg/m2). Elle est malheureusement réservée au marché indien.

Jean-Luc Adam

commentaire, par jean-luc adam

La technologie sauvera le monde!

Le paradoxe de notre époque, c’est qu’au lieu de consommer mieux, on consomme davantage. Mais au fond, tout le monde sait qu’on se comporte en opposition avec les plus grands défis de l’humanité: la pollution et l’épuisement des ressources. Tout le monde sait pertinemment que notre civilisation court à sa perte si l’on refuse de prendre ce virage écologique. Alors pourquoi agit-on ainsi? La réponse tient en trois lettres: la foi!

Dans sa conviction profonde, le consommateur a foi en la technologie – je me souviens de mes collègues essayeurs de la «Revue Automobile» qui s’émerveillaient de voir la consommation baisser d’un litre aux 100 km à chaque nouvelle génération de modèle, oubliant au passage que nos voitures XXL nécessitent toujours plus d’énergie grise et que le parc automobile mondial croît dans ces proportions impressionnantes (plus de 1 milliard de voitures personnelles en 2016, 2,2 milliards en 2050). La foi en la technologie, on la palpe parfois sur le trottoir, par exemple à la sortie des nouveaux ­produits Apple où des milliers de disciples s’arrachent les pommes nouvelles de Californie.

Cette foi en la technologie qui sauvera le monde, un sociologue l’a illustrée d’une manière originale, mais sans équivoque: «C’est comme si nous étions à bord d’un avion au décollage, mais un avion sans ailes. Les passagers et l’équipage n’hésitent pas à accélérer encore et encore, persuadés qu’on aura construit les ailes avant d’arriver en bout de piste…»

JLA

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