Publié le: 14 avril 2023

Intelligence artificielle pour le coach

DARTFISH – Une spin-off de l’EPFL imprime sa marque numérique aux vidéos utilisées dans divers sports. Les coachs en particulier accordent leur confiance à ses logiciels afin d’améliorer les mouvements via toutes sortes de paramètres complexes. Le CEO Jean-Sébastien Mérieux commente le développement de cette start-up depuis ses origines (dans le ski).

Les deux skieurs dont l’image se superpose et qui slaloment en décalage sur les mêmes bosses, cela nous a fait beaucoup rire la première fois qu’on les a vus à la TV. C’est comme cela et au tournant du millénaire que Dartfish s’est fait connaître – avec cette futuriste SimulCamTM et diverses applications d’imagerie numérique. À l’époque, Dartfish s’appelait InMotion Technologies. Presque un quart de siècle plus tard, on constate que cette PME fribourgeoise a résisté à toutes les crises, qu’elle s’est étendue dans de nombreux domaines sportifs et dans d’innombrables pays.

Loin de se reposer sur ses lauriers sportifs gagnés dans le ski, elle a développé des logiciels vidéo en ligne et hors ligne qui permettent aux utilisateurs de visualiser, d’éditer et d’analyser des vidéos. Pour de grandes comme pour de petites équipes, pour des passionnés de sport aussi. Ses couloirs sont ornés de belles photos parfois dédicacées par de grands sportifs.

Dans le labo de Martin Vetterli!

C’est Jean-Sébastien Mérieux, l’actuel CEO, qui nous reçoit à la rue de la Fonderie à Fribourg. Les locaux sont situés dans l’ancienne chocolaterie Villars. Après une école de commerce, il a travaillé dans le secteur des télécoms. Breton et Marseillais d’origine mais ayant grandi à Marseille, il découvre Dartfish sur les réseaux sociaux. Il gère la direction avec trois collègues (commercial, développement, finances).

Il nous raconte la naissance de Dartfish. À l’origine, cette spin-off de l’EPFL a été fondée en 1999 dans le laboratoire de Martin Vetterli (actuel président de l’EPFL). Parmi les cofondateurs, on trouvait Victor Bergenzoli (CCO puis CEO), Serge Ayer (CTO), Emmanuel Reusens (Ingénieur Développement Senior) et Jean-Marie Ayer (CEO). Daniel Morand (CFO) et Anton Affentranger (Executive Chairman) les ayant rejoints très peu de temps après. En 2001, la technologie SimulCamTM a été suivie par StroMotionTM.

Revenons aux deux skieurs dont l’image est superposée. «L’idée de base était la capacité à isoler les deux skieurs et à les fusionner dans une image commune avec un décor commun pour les deux personnages, explique Jean-Sébastien Mérieux. Pour comprendre d’où nous venons, il faut rappeler qu’à l’époque, les ordinateurs étaient encore de grosses machines, que nous utilisions des CD-ROM pour installer les logiciels et que parmi les cinq marques les plus connues ne figurait aucune valeur technologique. Dans le top 5, on trouvait Coca-Cola et Marlboro, les téléphones en vue s’appelaient Nokia et personne ne parlait de Google.»

Du broadcaster au coach

À cette époque, InMotion s’adressait aux diffuseurs TV, les broadcasters (entreprises de diffusion) utilisaient le logiciel pour les retransmissions télévisées, principalement dans le domaine du ski. En 2001, c’est le tournant. La crise des valeurs technologiques donne un coup de balai dans tout le secteur des techs. Et les broadcasters perdent d’importants volumes.

«D’où l’idée de mettre cette technologie au service des coachs, rappelle notre interlocuteur. Assez rapidement, des équipes sont venues nous voir. Elles nous ont dit qu’elles avaient envie de comparer des mouvements, des trajectoires. Le ski d’abord, puis d’autres sports en font la demande, comme l’athlétisme, les courses de voiture en circuit. Donc nous avons pris progressivement la direction du coaching.»

Au fait, pourquoi «Dartfish»? Le fruit d’un bel exercice de remue-méninges. «Quand vous parlez de Dartfish, la moitié des gens ignorent qu’il s’agit d’un poisson doté de gros yeux et d’une grosse nageoire. Comme pour Salt, ce terme n’avait à l’origine aucune connotation, la marque absorbe les valeurs que vous apportez.»

À l’époque, les données étaient enregistrées par des équipes de la start-up suisse qui se déplaçaient sur le terrain. «Elles étaient ensuite traitées en postproduction puis renvoyées à l’utilisateur via des cassettes, des VHS et d’autres formats qui se développaient peu à peu, des DVD enfin.»

Assister les arbitres

«Aujourd’hui, par contraste, les logiciels et les données sont stockées dans le cloud, ajoute Jean-Sébastien Mérieux. Toutes les mises à jour se font à distance. Dartfish s’adresse principalement aux sports indoor, hockey sur glace, handball, mais aussi équipes nationales de ski (en France et en Suisse), softball (aux États-Unis). Nous sommes actifs sur tous les continents et nos logiciels permettent de capter toujours plus de données. Les coachs peuvent sélectionner parmi les très nombreux paramètres (plus d’une centaine) ceux qui sont pertinents pour leurs analyses. Nous nous occupons aussi des formations données pour utiliser ce matériel.»

Dartfish travaille aussi pour les arbitres, pour lesquels elle développe un système d’assistance vidéo. Nos solutions sont très utilisées dans les sports de combat (karaté, judo, taekwondo) et nous avons un projet de formation des arbitres pour les sports d’équipe.»

Fidélisation des clients

La pandémie et la guerre en Ukraine, la pression sur les monnaies sont des facteurs avec lesquels il faut batailler. La concurrence existe aussi même si ce marché se répartit entre une poignée d’acteurs haut de gamme. «Nous avons répercuté une hausse de prix de 10 %, mais comme nous sommes en ‹B to B›, on ne peut pas vraiment jouer sur les prix. Notre stratégie passe donc plutôt par la fidélisation des clients, en nous engageant sur des projets avec eux et en faisant la preuve de notre valeur ajoutée sur le long terme.»

En plus du sport en tant que tel, les développements de Dartfish concernent aussi le monde de la santé avec des programmes et des applis permettant l’analyse de la performance et de la rééducation des athlètes. Mais aussi le monde de l’éducation: «Nous aidons les étudiants, conférenciers et enseignants à bénéficier de normes internationales dans les domaines de l’entraînement sportif, l’analyse de la performance, la kinésiologie, la biomécanique, l’analyse de la marche, l’éducation physique et la kinésithérapie.»

L’avenir passe par encore plus de coaching basé sur l’intelligence artificielle. «En anticipant d’une dizaine d’années, nous allons voir comment les outils de coaching vont faire de plus en plus de recommandations en fonction de l’expérience. L’identification de structures («patterns») ou de traits récurrents permettra de réaliser des progrès – ou d’éviter des erreurs, ce qui laisse tout son rôle au coach humain. Ce chapitre sera passionnant, se réjouit Jean-Sébastien Mérieux. On verra si c’est pour le bien du sport.»

François Othenin-Girard

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