Publié le: 14 avril 2023

«UBS aura tendance à s’embourber»

MICHEL SANTI – Notre chroniqueur publie un livre à charge sur la BNS. Il analyse pour les lecteurs du JAM le séisme qui a frappé le monde bancaire suisse suite à la reprise de Credit Suisse par UBS. Avec des chiffres qui laissent sans voix et de nombreuses questions ouvertes sur les responsabilités des régulateurs et de la banque centrale. (Partie I)

Journal des arts et métiers: Michel Santi, vous venez de publier un nouvel ouvrage intitulé «BNS: rien ne va plus», dans lequel vous dénoncez les dérives qui ont conduit notre banque nationale à la situation actuelle. Or votre livre sort juste avant la reprise de CS par UBS. Quelle lecture faites-vous de ce séisme?

Michel Santi: Ce sauvetage du Credit Suisse a été organisé à la hâte par une sorte de triumvirat ou de directoire à la transparence fort douteuse dans le but de renflouer une banque qui avait commis toutes sortes d’abus dans le passé et qui s’était impliquée dans des opérations spéculatives à outrance. Pour mémoire, voilà une quinzaine d’années que le Credit Suisse paie des centaines de millions d’euros et de dollars d’amendes: depuis 2014 avec près de 3 milliards de dollars pour évasion fiscale aux États-Unis, 5,5 milliards en 2021 pour exposition trop risquée au fonds Archegos, 10 milliards en 2021 avec l’effondrement d’un autre produit appelé Greenville, non sans avoir plaidé coupable en 2022 pour avoir fraudé des investisseurs sur un prêt de 850 millions de dollars. Bref, il est incompréhensible que la Confédération helvétique ait mené une opération si délicate en vue de sauver une banque à la réputation sulfureuse, qui plus est à la hâte, car des erreurs graves dans leurs conséquences ont été commises dans le cadre de ce sauvetage.

De quelles erreurs parlez-vous?

Cela n’est qu’un exemple parmi d’autres: la mise à l’écart par la Confédération, par la BNS et par la Finma des porteurs d’obligations dites «CoCo» pour «contingent convertible bonds», qui sera lourde de conséquences. Il s’agit de titres hybrides entre capital et dette, de meilleure qualité et primant les actions: une sorte d’hypothèque en premier rang.

Ne voilà-t-il pas que les autorités helvétiques ont annulé pour 17 milliards de ces obligations devenues caduques et sans valeur et ce pendant que les actionnaires étaient privilégiés et conservaient encore 3 milliards en dépit du bon sens? Car, dans le monde réel qui semble échapper aux régulateurs suisses, c’est l’actionnaire qui est censé prendre tous les risques. Immédiatement, pour ne pas troubler les porteurs de ces obligations, les autorités européennes ont affirmé qu’elles considéraient toujours, contrairement à la Finma, les CoCo bonds comme des titres hybrides entre capital et dette. En toute logique et selon la règle: prioritaires par rapport aux actions en cas de liquidation.

Comment voyez-vous la suite?

Cette opération de sauvetage de Credit Suisse aura des répercussions à n’en pas douter sur le pays et sur les citoyens – ne serait-ce que du fait des multiples actions en justice («class actions») qui auront immanquablement lieu par les porteurs de ces obligations CoCo, contraints par cette absorption hâtive du Credit Suisse de perdre 100 % alors que ce sont plutôt les actionnaires qui doivent en tout premier lieu assumer les risques inhérents à leurs prises de positions.

«la mise à l’écart par la confédération, la bns et la finma des porteurs d’obligations dites ‹coco› sera lourde de conséquences.»

Que nous apprend la chute de Credit Suisse?

La débâcle du Credit Suisse est riche d’enseignements sur la manière dont la solidité des banques est évaluée. Cette banque dépassait largement tous les ratios prudentiels exigés. En premier lieu, le ratio de solvabilité Common Equity 1: c’est le rapport pondéré des risques entre les fonds propres (capital + réserves) et les actifs de la banque (position de marché, crédits aux entreprises...). Ce ratio – qui s’est durci entre les réglementations bancaires de Bâle I et Bâle III – fixe désormais le seuil limite à 10,6 % en Europe. Or, le Credit Suisse affichait un ratio bien supérieur de 14,1 %.

Le second critère étant le ratio de liquidité à court terme qui veille à ce qu’une banque dispose d’un niveau adéquat d’actifs liquides de haute qualité à même d’être convertis en liquidité pour couvrir ses besoins sur une période de 30 jours en cas de graves difficultés de financement. Ce ratio – qui doit être supérieur ou égal à 100 % – était de 150 % pour le CS!

Notre argent est-il encore en sécurité dans une banque?

Selon moi, le problème crucial n’émane pas tant des banques qui doivent de toute façon être surveillées et canalisées. En effet, nous constatons aujourd’hui une perte de repères chez le régulateur comme de la part de la banque centrale, tous deux censés être les gendarmes. Au travers des agissements décrits ci-dessus, les autorités de régulation au plus haut niveau ont – sinon violé des lois – tout au moins perturbé de manière fort troublante la règle du jeu.

Une telle légèreté suscitera immanquablement des questionnements existentiels et légitimes parmi toute la chaîne, de l’investisseur à l’épargnant, car – après tout – si le phare ou le guide suprême que sont supposés être le régulateur et la banque centrale ne respectent eux-mêmes plus les règles du jeu, pourquoi être si exigeant envers le simple banquier à qui l’on demande juste de gagner de l’argent?

«Les autorités de régulation au plus haut niveau ont – sinon violé des lois – tout au moins perturbé de manière fort troublante la règle du jeu.»

UBS Ă©tait-il le bon repreneur?

Il allait de soi que l’UBS serait privilégiée car ainsi, les Suisses peuvent se targuer d’avoir créé un mastodonte bancaire et financier. Mais au-delà même de de cette mainmise de l’UBS sur le Credit Suisse, les conséquences du point de vue du «moral hazard» seront d’une portée massive. En effet, l’UBS – qui je le rappelle avait été sauvée elle aussi de la faillite il y a une quinzaine d’années suite à ses déboires avec les autorités américaines – aura naturellement tendance à s’embourber dans des opérations à risque, voire dans des opérations à caractère délictueux, et ce d’autant plus qu’elle saura qu’elle est désormais la seule grande banque helvétique.

Quelques chiffres ont de quoi laisser sans voix: après ingestion du Credit Suisse, le bilan du mammouth UBS sera de près de la moitié des bilans cumulés de toutes les autres banques suisses. Il atteindra en effet 1600 milliards de francs suisses, quand celui de la BNS fait 1000 milliards et que le PIB de notre pays – la Suisse – en fait... 700 milliards.

Quoi qu’il arrive, quoi qu’il en coûte, l’État suisse sera donc toujours derrière l’UBS car c’est désormais la Suisse qui coulera si l’UBS venait à tanguer.

Quelles sont les conséquences de la disparition de Credit Suisse pour la Suisse?

Pour le citoyen helvétique moyen n’ayant pas suffisamment de fortune pour être dans une banque privée, resteront sa banque cantonale et un établissement bien connu pour la cherté des services procurés, à savoir l’UBS.

Plus fondamentalement, la Suisse offre aujourd’hui un paysage bancaire bien triste car elle fut un pays qui permettait à son consommateur d’avoir le choix de ses établissements à une époque où existaient encore la Société de Banques Suisse, la Banque populaire suisse et d’autres banques nationales de première importance.

Après Swissair en 2001, c’est une autre institution qui disparaît, peut-on encore faire confiance aux Suisses?

Eh oui, hélas, le temps de la fiabilité indiscutable des Suisses est révolu. Vous prenez l’exemple de Swissair qui fut la société prestigieuse par excellence, symbole de l’excellence suisse qui a malheureusement fait faillite dans des conditions compliquées suite à une mauvaise gestion, avec comme coup de grâce, en 1998, l’accident du vol Swissair 111.

«Quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte, l’État suisse sera toujours derrière l’UBS. car c’est désormais la Suisse qui coulera si l’UBS venait à tanguer.»

Cependant, les déboires de la Confédération helvétique ne se sont pas arrêtés et l’image de marque du pays a été progressivement écornée par une série de maladresses et de banqueroutes. La dernière en date est le résultat calamiteux de la gestion désordonnée du franc suisse par sa banque centrale qui y a perdu plus de 130 milliards d’euros sur la seule année 2022 du fait de ces prises de position extraordinairement spéculatives et risquées.

«Peut-on donc toujours faire confiance à la Suisse?» est une question opportune. Une certitude: le peuple suisse est responsable et digne de confiance, même s’il est étrange que dans des circonstances telles que le sauvetage du Credit Suisse ou le peu de transparence de sa propre banque centrale, il ne soit aucunement consulté alors même que son pays se targue d’être celui de la démocratie directe. (Suite dans notre prochaine édition)

Interview: François Othenin-Girard

Lecture: Michel Santi: «BNS: rien ne va plus», Lausanne, Éditions Favre (2023). ISBN: 978-2-8289-2099-9.

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