Publié le: 2 juin 2023

Christian sous les arcades

flânerie – Il porte bien son patronyme, Christian Soler, le libraire qui propose ses coups de cœur.

Il lit tout ce qui passe à sa portée, ne choisit que les opus qui lui plaisent. Il adore les voyages qui commencent juste à côté. Sculpteur et photographe, il avoue son faible pour les petites fleurs.

Il nous invite à entrer dès qu’on passe devant sa boutique. Il faut dire qu’elle attire le regard – idéalement située sous les arcades en vieille ville de Bienne, sur cette petite place qu’on appelle le Ring. Vite inondée de soleil, comme le patron de la librairie, Christian Soler le bien nommé. Sa lumière est intérieure, à la manière d’un voyageur qui peut se transposer n’importe où. Sa curiosité nourrit une discussion sans cesse renouvelée.

Ring non wagnérien

Inévitablement ou presque, il va sortir LE livre dont vous ne soupçonniez pas l’existence et qui va bouleverser votre bibliothèque personnelle. Dans notre cas, ce sera «La Pochette du Maître à danser», par l’illustrissime luthier chaux-de-fonnier Claude Lebet. Ma grand-mère institutrice l’avait eu comme élève et longtemps, le maître lui écrivait un mot chaque année. Avec les années, le luthier était devenu un membre (absent) du panthéon familial.

Le panthéon du livre, Christian Soler y a ses entrées. Né il y a bientôt 67 ans dans la Forêt-Noire, dans un village censé donner sa source au beau Danube. Cela commence de manière très romantique. «Mon père était militaire de carrière et nous ne sommes jamais restés longtemps en garnison au même endroit. D’Allemagne en Bretagne, nous sommes passés par Toulouse, Tarbes, Aix et j’en oublie, sourit-il. Par contraste, le fait d’habiter Bienne depuis plus de trente ans me semble toujours inconcevable.»

Elle et lui, Soleure et Paris

Et pourtant, tout lui plaît par ici, à commencer par la vie avec sa compagne, une Soleuroise rencontrée à Paris alors qu’elle était jeune fille au pair. «Cela fait 37 ans que nous sommes ensemble. C’est dire si nous vivons quelque chose d’extraordinaire.» Lui et Paris, ça remontait à ses 18 ans. On disait: «Je monte à Paris.» Il a osé le faire. Et comme beaucoup, il a finalement survécu grâce à de petits boulots. A aussi passé beaucoup de temps dans les musées et travaillé dans une librairie à Saint-Germain-des-Prés. À Paris, au casting des rencontres, on trouve une poignée d’écrivains brésiliens en exil. Dont le monument Jorge Amado, qu’il a bien connu.

Suit un épisode important dans la trajectoire de Christian. Il s’expatrie à Rio pour lancer une nouvelle librairie. «En 1986, la situation politique était compliquée. Je suis resté quelques mois et puis je suis rentré à Paris.»

Euphémismes et petites fleurs

Le nombre de célébrités que Christian Soler a rencontrées (Vladimir Horowitz, Catherine Deneuve...) dépasse l’entendement. Mais le personnage reste discret. Savoir qui aime quel livre constitue déjà un lourd bagage, qu’il emporte avec lui – sous forme de listes rédigées à partir des préférences de certains clients. Il fait sa tournée des libraires, des brocanteurs, furète, déniche. Et dans la foulée, ça fait pas mal de rencontres au compteur.

Dans la discussion sur le canal de vente, on le situe à des années de lecture du tout-au-smartphone. C’est un choix. Les sites internet n’intéressent selon lui que d’autres vendeurs et revendeurs – et dont la valeur ajoutée se limite à pousser un livre plus loin, vers des institutions, des musées. «Ce qui me touche, c’est le passionné du livre.» Un livre au centre de la rencontre, parfois du troc. Il s’explique. «L’un de mes amis, l’écrivain Jean-Pierre Rochat, vient vendre ses produits fermiers en ville. Durant de nombreuses années, je lui ai apporté un sac de livres en échange de quelques-uns de ses délices. D’autres fois, j’ai troqué un sac de livre contre un autre.»

En plus de développer un goût certain pour les euphémismes, il aime la photo. Mais pas n’importe quoi. «Je fais des photos de fleurs et des choses très petites et détaillées.» Les talents de Christian se découvrent peu à peu au cours de la conversation. Il a fait de la sculpture, mais uniquement sur bois. Il a pris des cours à Paris quand il était jeune. On lui a dit que point n’était besoin de suivre des cours et que le travail suffisait. Il dit qu’il va s’y remettre, même s’il n’a jamais vraiment arrêté. «Je fais de petites choses, des rouages, des petits animaux, là, un petit éléphant que j’aimerais vous montrer.» Qu’il s’agisse de voyages, de livres d’art ou de sculptures africaines, c’est sur un mode électif que tout en lui et autour de lui semble se construire.

Antre aux trésors

La librairie, il faut en dire un mot. Nichée dans une maison construite au 17e siècle, des fondations plus anciennes, voire antiques, autre euphémisme. La pièce unique est louée au voisin antiquaire, devenu un ami. Avec Christian Soler, il n’y a pas que les livres qui circulent. Une dame très aimable lui donne un coup de main quand il n’est pas là et fait passer le message.

Ah! et puis dans cette petite antre aux trésors, il y a des cadres, des caisses pleines de cadres, dont il tire une ou deux très belles aquarelles, une huile, une jolie gravure. Dernière chose à savoir, Christian ouvre le jeudi et le vendredi après-midi, le samedi toute la journée. Ou sur demande, il habite juste à côté!

François Othenin-Girard

Pour une visite:

ch.soler@bluewin.ch

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