Publié le: 2 juin 2023

À la grande roue de la transmission

interview – Bahaa Roustom, vice-président pour le marketing et le business development du CSEM,adore démontrer «comment la Suisse peut transformer une crise en opportunité. Chimiste de formation

d’origine libanaise, il s’est activé chez Belenos Clean Power (pour Nicolas Hayek Senior) après une thèse à l’EPFL.

JAM: Bahaa Roustom, par quel truchement êtes-vous devenu vice-président du CSEM?

Bahaa Roustom: Je suis né en 1980 au nord du Liban, pas très loin de la frontière syrienne et dans une famille modeste, nous étions quatre frères et ma sœur. Chez mes parents, la valeur éducative était très forte, surtout chez ma mère qui nous poussait toujours vers l’excellence dans nos études.

En 2001, j’ai obtenu un bachelor en chimie à l’Université Libanaise à Beyrouth. Mon grand rêve était d’approfondir mes connaissances dans les développements de procédés de production et d’industrialisation en poursuivant mes études de master et de doctorat au Canada. Il fallait que je m’inscrive à l’ambassade de ce pays pour obtenir le visa et je suis reparti de mon village pour aller à Beyrouth la veille du rendez-vous.

C’était un certain 11 septembre 2001 et quand je suis arrivé, tout le monde était derrière la télé. J’ai vite compris que c’était mort pour le lendemain, tout était bloqué et mon rêve canadien s’est évaporé dans ma tête. Je suis parti à Strasbourg pour continuer mes études de master à l’École européenne de chimie, polymères et matériaux (ECPM).

La découverte de la Suisse?

J’avais à peine terminé à Strasbourg que mon oncle qui habite à Lausanne m’appelle pour me parler de l’EPFL. Je ne savais même pas ce que c’était. J’ai consulté le site web, j’étais fasciné par les possibilités de recherche de cette institution et spécialement par les travaux de recherche du professeur Christos Comninellis concernant les traitements des eaux usées et le développement des batteries et des piles à combustible.

J’ai manifesté mon intérêt à rejoindre le laboratoire du professeur Christos Comninellis et celui-ci m’a invité pour un entretien. Comme je vivais avec 190 euros par mois, et le billet Strasbourg–Lausanne–Strasbourg coûtait plus de 90 euros, j’ai hésité. Heureusement que mon ami Georges Aouad – aujourd’hui professeur à l’École de mines de Douai – m’a offert le billet de train en me disant: «S’ils te prennent, tu me paies le double et sinon tu oublies.» La Suisse a toujours fait rêver les Libanais et cela a certainement joué un rôle dans mon cas.

Le professeur Comninellis vous a engagé. Sur quoi avez-vous ensuite planché à l’EPFL?

J’ai travaillé avec le professeur Comninellis en génie électrochimique de janvier 2003 à 2006 – sur les électrodes en diamant dopé au bore. Ces électrodes ont été développées au CSEM qui a financé une partie de ma thèse. On parle de diamants synthétiques, très inertes, qui convenaient hyper bien au traitement électrochimique des eaux usées. On applique une différence de potentiel entre les deux électrodes et on génère des radicaux hydroxyles qui sont de très forts oxydants – ce qui permet d’attaquer les composants organiques dans les eaux usées.

Nous avons aussi utilisé ces électrodes pour le développement de nouveaux catalyseurs, sous forme de nanoparticules. On a vu à cette époque par exemple que l’or, dont on dit qu’il est très inerte, devient un très bon catalyseur sous forme de nanoparticules, donc d’une taille inférieure à 10 nm. Et qu’il pourrait être appliqué spécialement pour les piles à combustible. Et nous nous sommes concentrés sur le développement de procédés de synthèse de nanoparticules d’or ou d’alliage de nanoparticules d’or et de platine – afin de développer de nouvelles familles de catalyseurs dans les piles à combustible.

Nous étions plusieurs chercheurs – Lassiné, Guillaume et Alain – à travailler simultanément sur l’optimisation des processus de dépôt avec des cadres de recherche fixés et une vision sur le long terme grâce aux travaux des anciens doctorants et à la vision du professeur Comninellis, un grand spécialiste du domaine. Nos recherches ont été financées par le Fonds national suisse ainsi que par des mandats privés.

Que devez-vous au professeur Comninellis ?

Les années passées sous la tutelle de Christos Comninellis à l’EPFL m’ont permis d’acquérir une expertise technique solide. Mais surtout, j’ai appris l’importance de la créativité et de la persévérance pour relever les défis scientifiques les plus complexes en maintenant une rigueur inébranlable. Christos m’a aussi initié avec passion aux domaines fascinants et en constante évolution des énergies renouvelables, élargissant ainsi mon champ de connaissances et ma perspective en tant que chercheur. J’ai aussi appris grâce à lui à repousser les limites de ma compréhension et à explorer de nouvelles voies de recherche.

En collaborant avec diverses entreprises pour les conseiller dans le développement de nouveaux produits et procédés, Christos a suscité mon intérêt et a renforcé ma motivation pour orienter ma carrière vers l’industrie et le transfert de technologie. Son discours éclairant sur la vallée de la mort entre la recherche et l’industrialisation a alimenté ma curiosité et m’a incité à explorer davantage ces domaines passionnants.

Et après la thèse, la liberté?

En juillet 2006, je dépose ma thèse et pars en vacances trois semaines au Liban. Une semaine après, Israël attaque le Liban, on n’avait plus d’électricité, l’aéroport a fermé et il n’y avait plus aucun moyen de quitter le pays pour rentrer en Suisse. Après trois mois de misère, j’ai finalement pu rentrer pour soutenir ma thèse et poursuivre un postdoc sur un projet commun entre plusieurs laboratoires de l’EPFL avec l’EMPA et le PSI – dans le cadre d’un programme national qui s’appelait CCEM (Competence Center Energy and Mobility). J’ai géré un projet pour la mise au point de nouveaux catalyseurs insensibles notamment à la présence de soufre, ce qui est indispensable pour les piles à combustible SOFC (Solid Oxide Fuel Cell) alimentées par des combustibles différents de l’hydrogène (méthane, biogaz, gaz de synthèse).

Quelle était la finalité de ces développements ?

L’utilisation du méthane dans les piles à combustible SOFC offrait des avantages environnementaux considérables. En convertissant le méthane en électricité via des réactions électrochimiques, les émissions de polluants atmosphériques nocifs, tels que les oxydes d’azote (NOx) et les particules, sont considérablement réduites par rapport aux systèmes de combustion traditionnels.

Les piles à combustible SOFC alimentées au méthane peuvent être aussi configurées pour une production combinée de chaleur et d’électricité, ce qui permet une utilisation plus efficace de l’énergie primaire. La chaleur résiduelle générée par la pile à combustible peut être utilisée pour le chauffage des bâtiments ou d’autres applications thermiques, augmentant ainsi l’efficacité globale du système.

«Le discours éclairant du professeur Comninellis sur la vallée de la mort entre la recherche et l’industrialisation a alimenté ma curiosité.»

La suite de vos aventures vous mène notamment chez Swatch Group?

Je continuais à rêver du Canada et ce dès mon arrivée en Suisse. À la fin de mon doctorat, j’avais les visas pour émigrer au Québec. J’avais des contacts et plusieurs plans en préparation, je regardais aussi les opportunités en Suisse, mais c’était encore plus difficile qu’aujourd’hui. En principe, dès la fin de la thèse, on devait retourner dans son pays. Maintenant, on a six mois de battement pour trouver un job.

Un après-midi, j’étais au labo avec ma pile à combustible. C’est le même oncle Malek qui m’appelle: «Écoute, j’ai entendu à la radio que Nicolas Hayek Senior (décédé en 2010, n.d.l.r) lançait un vaste projet pour le développement des énergies renouvelables et des piles à hydrogène.» C’était le point de départ de la création de Belenos Clean Power et, pour moi, l’occasion idéale de faire la transition de la recherche à l’industrialisation. En novembre 2007, j’ai intégré Belenos en tant qu’ingénieur chef de projet, prenant en charge l’initiation et la gestion de multiples projets de développement dans le domaine des énergies renouvelables. Mon rôle englobait l’ensemble de la chaîne allant de la production d’électricité à la mobilité électrique, incluant aussi le stockage de l’énergie.

Que retenez-vous de cette période?

Pendant mes cinq années passées chez Belenos, j’ai été plongé dans un environnement stimulant et dynamique. Travailler au sein d’une telle entreprise innovante dans le domaine des énergies renouvelables a été une opportunité exceptionnelle qui a enrichi ma carrière de manière significative.

J’ai été constamment immergé dans des projets novateurs, collaborant avec des équipes talentueuses et passionnées dans plusieurs laboratoires et instituts de recherche (PSI, EPFL, ETHZ, CSEM). Chez Belenos, j’ai eu l’occasion d’appliquer mes connaissances académiques à des défis concrets de l’industrie. Cette expérience m’a permis d’acquérir une compréhension approfondie des aspects pratiques et des contraintes liées à la recherche et au développement industriel.

Le travail au sein de Belenos a été un catalyseur pour ma croissance professionnelle. Ça m’a permis de développer mes compétences en gestion de projet, en collaboration interdisciplinaire et en industrialisation. Avec ce bagage, je me suis dit que je pouvais aller plus loin. En 2011, le moment était choisi pour faire un EMBA, ce que j’ai effectué à HEC Lausanne. Puis j’ai rejoint l’entreprise ILFORD qui essayait de se diversifier en dehors de la photographie, en particulier dans les domaine de l’énergie et de l’agriculture. Ils cherchaient un responsable de développement pour ces nouveaux marchés. J’ai commencé en avril 2013. Et la première annonce de faillite est arrivée en mai-juin! Je ne m’en suis pas fait, et j’ai rapidement commencé à réfléchir à la suite de ma carrière.

Interview: François Othenin-Girard

(Suite dans une prochaine Ă©dition)

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