Publié le: 7 juillet 2023

Politique énergétique, l’échec

THIERRY BURKART – Le conseiller aux États argovien et président du PRD suisse veut développer les énergies renouvelables, poursuivre l’exploitation des centrales nucléaires existantes et en construire de nouvelles. Une interview accordée avant le vote sur la loi climat.

Journal des arts et métiers: En matière de protection du climat, notre pays doit réduire ses émissions de CO2. Parallèlement, nous avons besoin de plus d’énergie. Comment concilier les deux?

Thierry Burkart: La politique énergétique suisse a trop longtemps été guidée par l’idéologie et des scénarios trop optimistes. Si nous voulons poursuivre sur la voie de la décarbonisation et de l’électrification empruntée par la politique climatique, nous aurons besoin, selon l’EPFZ, d’environ 90 térawattheures d’électricité par an d’ici à 2050. Aujourd’hui, nous en consommons 60. Les centrales nucléaires existantes devront un jour être déconnectées du réseau. Le pays a donc besoin d’une offensive en matière d’électricité si nous ne voulons pas de black-out en hiver. En plus de l’offensive en faveur des énergies renouvelables, des capacités de stockage et de nouvelles grandes centrales sont indispensables de toute urgence. L’incertitude quant à l’approvisionnement en électricité peut déjà entraîner une désindustrialisation dans notre pays. La politique doit aménager les conditions-cadres correspondantes, rapidement, à long terme et de manière fiable. C’est dans l’intérêt du commerce et de l’industrie.

Selon un sondage du Forum nucléaire de 2022, une majorité se dessine en faveur de nouvelles centrales nucléaires. Selon un sondage plus récent des entreprises d’électricité, une majorité s’y oppose. Qu’en pensez-vous?

Il faut d’abord poursuivre l’exploitation des centrales existantes. Mais la question de leur remplacement se pose, car le développement des nouvelles énergies renouvelables est loin d’être suffisant. Même dans la Stratégie énergétique 2050, qui partait à tort du principe que nous n’aurions pas besoin de plus d’électricité, les grandes centrales sont prévues comme indispensables. Il s’agit toutefois de centrales à gaz. Mais cela ne nous permettrait pas d’atteindre les objectifs climatiques. Je suis certain que si la population suisse doit choisir entre le gaz et l’énergie nucléaire, elle optera pour la variante clairement préférable du point de vue de la politique climatique et de la souveraineté.

Vous vous êtes prononcé pour le développement des énergies renouvelables. Seront-elles suffisantes pour atteindre les objectifs climatiques?

Nous avons besoin de beaucoup plus d’électricité. Pour cela, un développement massif des énergies renouvelables est également nécessaire. Mais si j’analyse le potentiel des projets législatifs actuels dans l’éolien, le solaire et le Mantelerlass (acte modificateur unique, ndlr), et que j’y ajoute les attentes de l’Office fédéral de l’énergie en matière de développement de l’énergie hydraulique et solaire, nous n’arriverons même pas à remplacer les centrales nucléaires de Beznau, qui seront mises hors service en 2035. Si nous considérons en plus que de nombreux projets sont retardés de plusieurs années, voire de plusieurs décennies, en raison d’oppositions et de recours, cela devient encore plus illusoire. Les investissements dans les nouvelles technologies renouvelables sont certes une étape juste et importante, notamment du point de vue de la réduction des émissions de CO2. Mais cela ne suffira pas. Nous avons besoin d’assez d’énergie en ruban pour l’hiver.

La Suisse se maintient Ă  flot via une centrale de secours au gaz. Est-ce durable?

Pour rappel, à Birr (AG), huit turbines sont prêtes après moins de six mois de planification et une procédure d’urgence. La centrale mobile de réserve bi-énergie doit protéger la Suisse d’une panne de courant. Louée pour 470 millions de francs, la centrale consomme 70 000 litres de mazout par heure lorsqu’elle fonctionne à plein régime. Le fonctionnement est si bruyant que la Confédération ne peut faire tourner les turbines que pendant la journée. Dans trois ans, la centrale devra être démontée. Les turbines de Birr démontrent de manière flagrante l’échec de la politique énergétique suisse.

Début juin, vous vous êtes prononcés clairement en faveur de la construction de nouvelles centrales nucléaires. Est-ce plus qu’une simple rhétorique électorale en vue des élections cet automne?

Le PLR a déjà adopté une résolution à ce sujet lors de l’Assemblée des délégués de février 2022, avec notamment des exigences telles que le développement des capacités de stockage, de nouvelles grandes centrales et le retour à l’ouverture technologique.

Le photovoltaïque et l’éolien ne suffisent-ils pas à combler la pénurie d’électricité en hiver?

Non. Plus la part des énergies renouvelables est élevée, plus le besoin de stockages coûteux est avéré, centrales de pompage-turbinage, lacs de retenue, installations pour la transformation de l’électricité en hydrogène, mise en place d’une infrastructure parallèle avec de grandes centrales électriques.

L’énergie nucléaire a le vent en poupe dans d’autres pays. Il y a peu, la Finlande a mis en service à Olkiluoto la première nouvelle centrale nucléaire de l’UE depuis des décennies. Pourquoi les politiques sont-ils si réticents à ce sujet dans notre pays?

À l’exception de l’Allemagne, de nombreux autres pays européens continuent de miser sur le nucléaire: la Suède, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Hongrie, la Bulgarie et la Slovénie. Ces pays s’engagent en raison de la sécurité d’approvisionnement et pour lutter contre le réchauffement climatique. En Suisse, l’idéologie pousse au retrait du nucléaire.

«les turbines de Birr démontrent l’échec dela politique énergétique suisse.»

Autre sujet: le projet de «péage» au Gothard suscite beaucoup d’émotions ces dernières semaines. Déposé entre autres par un conseiller national PLR, plusieurs parlementaires PLR – et pas seulement au Tessin – le jugent irréaliste. En tant que président du PRD, que pensez-vous de cette proposition?

Je suis contre cette proposition pour trois raisons. Premièrement, la mobilité est inélastique aux prix. Cela signifie que les changements de comportement n’interviennent qu’en cas de très fortes augmentations de prix. Il en résulte un effort énorme et coûteux, sans aucun bénéfice. Deuxièmement, le prélèvement d’un péage entraînerait un trafic d’évitement vers les villages uranais et tessinois. Pour éviter cela, il faudrait bloquer des sorties d’autoroute au détriment des Uranais et des Tessinois. Troisièmement, après l’introduction d’un péage au Gothard, cela risque de faire tache d’huile au Gubrist, au Baregg ou à Seelisberg? On aboutirait à un péage routier pénible pour les utilisateurs.

Et que pensez-vous de cette proposition en tant que président de l’Association suisse des transports routiers (Astag)?

Le trafic lourd doit déjà payer la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP). Une charge supplémentaire à la charge du trafic de marchandises serait injuste et entraînerait un renchérissement des marchandises dans notre pays. Or, en raison de l’accord sur les transports terrestres conclu avec l’UE, la charge fiscale à la charge du trafic lourd est déjà presque épuisée.

Cette discussion rouvre-t-elle le débat sur le péage routier?

Le road pricing fait l’objet de diverses interventions et débats depuis des années. On oublie souvent que les personnes qui se déplacent pour le travail et les pendulaires ne prennent pas la route pour le plaisir et qu’ils seraient ainsi considérablement pénalisés. Ceux qui se lèvent le matin pour aller travailler seraient ainsi pénalisés. J’attire simplement l’attention sur le fait que les transports publics atteignent eux aussi leurs limites de capacité. Nous ne résoudrons pas nos problèmes de mobilité en opposant le transport routier au transport ferroviaire. Il faut un système global qui fonctionne.

Le Parlement a rejeté l’initiative des jeunes PLR sur les retraites. Un contre-projet prévoyant un frein à l’endettement dans l’AVS est sur la table. Qu’en pensez-vous?

Le Conseil national veut un frein à l’endettement pour l’AVS. Je salue vivement cette approche. L’AVS est l’œuvre sociale suisse la plus importante, c’est pourquoi il est de notre devoir de la garantir pour la génération à venir. Un frein à l’endettement garantirait que les rentes AVS soient financées, même si nous sommes confrontés à un blocage politique des réformes. Nous devons aux citoyennes et aux citoyens des solutions dans ce dossier.

Interview: Gerhard Enggist

Adaptation: JAM

www.plr.ch

www.astag.ch

www.thierry-burkart.ch

plr suisse

Loi climat soutenue

Cette interview a été réalisée avant le vote du 18 juin sur le climat. Le 6 mai, le Parti libéral-radical approuvait la loi sur le climat et l’innovation, soumise au peuple et acceptée par ce dernier le 18 juin. Malgré des voix discordanes, les délégués du PLR ont soutenu le projet de loi par 234 voix contre 51. Ils ont suivi l’avis de la conférence des présidents des sections cantonales. Selon le compte rendu de l’ATS, la direction du parti a admis que le texte soumis en votation fédérale n’était pas parfait dans une perspective libérale en raison des subventions qu’il implique. Mais elle y voit la possibilité d’atteindre les objectifs climatiques à travers une mise en œuvre flexible, une sécurité de planification et une marge de manœuvre pour les entreprises. Selon la même source, le président du parti, Thierry Burkart, a plaidé pour le oui devant les délégués. Selon lui, il faut aussi être prêt à faire des compromis, dans l’intérêt du pays. Même si cela signifie «avaler des couleuvres de temps en temps».

Les plus consultés