Publié le: 1 septembre 2023

Bienvenue sur la planète Rickli

RICKLI MICROMÉCANIQUE – À Vauffelin (Jura bernois), Pascal Rickli nous accueille dans un monde d’innovations permanentes où l’ultrahaute précision est une réalité. Médical, dentaire, spatial, l’excellence loge à tous les étages. Pour cet entrepreneur quis’exprime sans filtre, «échanger en toute transparence est capital pour promouvoir l’innovation et le savoir-faire de l’arc jurassien».

Dans le microcosme biennois du décolletage de haute précision (médical, spatial, dentaire et industriel) «et tout spécialement dans l’usinage de métaux précieux avec des outils en diamant naturels», on nous a vivement recommandé Rickli Micromécanique SA comme un acteur incontournable. Il faut monter à Vauffelin, à vingt minutes au nord de Bienne. On serpente dans un vallon à mi-pente au bout duquel se trouve un minuscule village et, en contrebas d’un Temple à clocheton (1715) – la voici! Une PME familiale nichée là depuis sa fondation, il y a plus de quarante ans.

De l’extérieur, rien ne laisse deviner une quadragénaire: avec son toit solaire qui lui assure une autonomie énergétique à 80 % du total annuel et des parois en plaques Eternit isolantes qui n’ont pas pris une ride. Le tout a été conçu par le chef d’entreprise qui a participé lui-même aux plans de construction du bâtiment. À l’intérieur, on entrevoit déjà deux rangées de machines redoutables.

Sur le site, nous étions pourtant prévenus: «Nous usinons différents matériaux comme l’or, le platine, le palladium, l’argent, le titane, l’inox et les plastiques médicaux biocompatibles (PES, PSU, POM, PEEK). Nous relevons tous vos défis, d’un simple prototype aux séries de 30 000 pièces, pour un diamètre de 0,5 à 20 mm.» Et quels défis, la vache!

La troisième génération se lance

Au fait, des bovidés paissent tranquillement aux alentours, un mirabellier connaît une année d’abondance. La deuxième génération, Eliane et Pascal Rickli récoltent les fruits de leurs travaux de longue haleine et développent leurs talents dans le monde entier. À côté des drapeaux suisse et européen, un flag américain flotte dans le léger thermique qui ondule dans le paysage, une région que cet ancien amateur de vol delta connaît comme sa poche. De là et volant à des hauteurs stratosphériques grâce à ses marchés de niche, Rickli Micromécanique SA est en lien avec la terre entière, à l’image des certificats d’enregistrement auprès de la FDA américaine et de la JAMEE japonaise qui impliquent de possibles audits de contrôles inopinés des autorités et administrations internationales du secteur médical.

Quinze collaborateurs s’activent dans cette PME familiale. Certains depuis plus de vingt ans – une majorité. Parmi eux, un représentant de la troisième génération est déjà en partie à pied d’œuvre: «Mon fils a commencé il y a deux semaines et sa sœur se montre intéressée», raconte Pascal Rickli en nous accueillant sur place. Son père fonda l’entreprise dans le rez-de-chaussée de la maison familiale. «Il avait fait son apprentissage de mécanique sur machine-outil chez Bechler SA à Moutier, puis il avait travaillé chez Omega. C’est ce qui lui a donné un côté propre et organisé quand il s’est lancé à son compte en 1980, suite à la crise horlogère de 1975.»

Quant à Pascal, il a trois ans en 1964 quand la famille s’installe à Vauffelin et il approche de la vingtaine quand la PME familiale sort des fonds baptismaux. Il raconte son parcours, dessinateur en génie civil qui plonge dans l’informatique très jeune. «J’ai découvert l’univers du dessin assisté par ordinateur, puis j’ai plongé dans la programmation pendant dix ans, j’ai pondu du code et créé des applications pour un bureau d’ingénieur en génie civil», sourit-il.

Données et guerre des nerfs

Depuis deux semaines, le fils de Pascal se familiarise avec le système informatique. Autant dire que c’est le cœur de cette guerre des nerfs qui le mobilise depuis quatre décennies. Quand un passionné d’informatique se met à penser très fort et avec une grande cohérence à la construction d’une autoroute de données entre les machines et le bureau situé au premier étage, cela donne le système Rickli.

«Au début, nous étions tout petits, mais nous avons osé penser que nous pouvions réaliser ce que seuls les plus grands parvenaient à achever.» Pour simplifier, on parle de l’extraction de données extraites de seize machines, de leur réutilisation pour d’autres projets, ce qui permet d’alimenter la gestion du système qualité, du respect des normes et autres référentiels, en plus de la gestion de tous les paramètres de l’entreprise, heures de travail, comptabilité analytique et tout le reste.

Voire au-delà, comme le montre cet exemple fiscal. Le canton de Berne propose – sous la forme d’une baisse de l’impôt sur les bénéfices nets – un encouragement à l’innovation aux entreprises qui investissent dans la R&D. Encore faut-il pouvoir le démontrer aux responsables des impôts. «Il m’a quand même fallu quelques semaines pour concocter une routine spéciale afin d’extraire directement des machines les données liées aux R&D. Mais ça a fini par marcher», se réjouit l’intéressé.

En route pour l’espace

Après toutes ces années, on a envie de demander si le responsable qualité, Alain Ramseyer, est encore vivant. Il l’est, nous l’avons même croisé. Comme le système Rickli fonctionne, il n’intervient plus désormais qu’en indépendant (autre bonne nouvelle pour un responsable qualité) et donne même des cours à l’école d’ingénieur d’Yverdon qu’il a mis sur pied.

Pascal Rickli parle de lui, de ses vastes connaissances dans le monde des normes médicales, dentaires, aérospatiales. S’ensuit une discussion sur le fait que la nouvelle réglementation des normes européennes du domaine médical sera bien plus exigeante que les normes US correspondantes. Les certificats sont accrochés aux murs.

Et c’est là qu’il sort son fameux classeur noir. «Là-dedans, on trouve trois systèmes de normes combinés en un. Car au final, il faut répondre grosso modo aux mêmes questions. Nous sommes certifiés ISO 9001 et 13485 pour la fabrication de dispositifs médicaux et depuis décembre 2021, nous sommes également certifiés EN-AS-JISQ 9100 Aéronautique et Aérospatial. C’est très long, cela prend beaucoup, beaucoup de temps, mais c’est un investissement qui permet d’entrer dans de nouveaux marchés très exigeants qui valent vraiment la peine parce que cela vous permet d’atteindre une qualité que vous n’auriez pas pu atteindre. C’est ce qui nous permet de nous lancer de nouveaux défis.»

Des maîtres mécaniciens responsables de A à Z

La liste des avantages pour l’entreprise est trop longue. Au bas mot, une vingtaine de satellites équipés de pièces produites à Vauffelin voyagent dans l’espace. De nouveaux composants de dispositifs transcathéter vont permettre de soigner les arythmies cardiaques en chauffant les tissus au lieu de les brûler au laser. Pour la néonatologie, un minuscule capteur posé sur le torse des prématurés permet en 8 secondes de définir la nature des échanges gazeux.

Le catalogue nous en apprendrait-il d’avantage? «Nous réalisons 130 à 150 nouvelles pièces par année, mais sur ce nombre, une dizaine seulement continueront à être produites en série», détaille Pascal Rickli. La R&D représente 15 % à 20 % de tout notre travail et nos séries comptent en général une moyenne de 500 pièces. Beaucoup de projets, dans l’aérospatial en particulier, relève de l’hyper-spécifique et donc de l’éphémère.»

Diamonds are forever

Il faut voir les seize machines et, ce jour-là, Renzo Pagliari, responsable de production, regarde dans son binoculaire et surveille la progression de la matière qui entre dans la machine. En moyenne, vingt pièces sont produites par heure. Le dentaire représente 20 %, le médical 70 %.

«Chaque maître mécanicien fait lui-même ses achats d’outillage. Il suit de A à Z la production des pièces. Le contrôle visuel permanent permet de gagner beaucoup en qualité. Par expérience, un micromécanicien diplômé a besoin de deux à cinq ans pour maîtriser nos spécialités, en plus de la formation de base et de l’expérience préalable. En revanche, nos polymécaniciens sont loyaux et le turnover est des plus réduits, nos employés restent souvent plus de vingt ans.»

Une autre machine se dévoile, son capot ouvert, on voit de l’huile végétale. Un peu plus loin, la Rolls de la précision qui mesure au dixième de micromètre. Sans oublier cet équipement de nettoyage des pièces qui consomme à peine 3-4 litres d’alcool annuellement. «Une vraie distillerie, celle-ci», s’amuse Pascal Rickli en démontant le panneau d’accès.

Les machines CNC sont toutes équipées d’outils de coupe de très haute qualité. «Pour usiner les métaux précieux, l’aluminium, le bronze, le cuivre et les plastiques médicaux, nous utilisons des outils en diamant naturel. Pour les titanes et les matériaux en inox, nos outils sont en métal dur revêtu.

Or, platine, iridium et Cie

«En 1985, nous avons installé notre première machine CNC. C’était une STAR Micronics VNC 12 d’une entreprise japonaise qui selon moi a été précurseur en matière de machine à commande numérique, nous leur sommes fidèles aujourd’hui encore», relève celui qui évite les grands salons de la machine-outil parce que cela lui «fiche un coup de blues» de voir tant de merveilles inaccessibles.

On file dans le stock de matières premières qui fait l’objet d’une très haute protection sur laquelle nous ne nous étendrons pas – pas plus que sur la sécurité informatique des plus perfectionnées et digne de Fort Knox. Pascal Rickli nous tend une barre en or pur à 99,999 %, on peut voir de près de l’iridium, le métal le plus lourd qui existe sur Terre et dont l’utilisation est le plus souvent réservée à l’espace et au médical. De petits morceaux d’iridium volent quelque part dans le système solaire. Ou dans le corps humain.

François Othenin-Girard

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