Publié le: 1 septembre 2023

Forte rancĹ“ur face à la bureaucratie

POLITIQUE ÉNERGETIQUE – Vincent Volet, directeur général du Groupe Volet SA, n’en revient pas. Pour la construction d’une grande halle de production au standard Minergie-P, label obtenu, l’État de Vaud a refusé le paiement d’une subvention parce que le matériel d’isolation avait été livré trop tôt. Sans recours possible!

Vincent Volet, ses frères et ses cousins ont pris la plume pour partager leur ressentiment face à l’intransigeance bureaucratique de l’administration vaudoise. Dans un courrier adressé le 10 août dernier à la rédaction du JAM et à d’autres médias, l’entrepreneur vaudois déplore le «formalisme excessif de l’administration vaudoise».

«Nous sommes conscients de ne pas avoir fait tout juste, mais en choisissant de construire notre halle au standard Minergie-P, notre envie était d’être exemplaire», nous expliquera plus tard Vincent Volet. «Nous voulions faire un geste pour la planète et montrer la bonne direction.»

Mais que s’est-il passé? «Pour une ligne qui nous a échappée, nous nous sommes fait sanctionner et punir par l’État de Vaud, qui a refusé d’entrer en matière sur une subvention de 282 000 francs à laquelle nous avions droit. Le résultat est une grande frustration – même si nous avons eu l’autorisation de construire cette halle, que le label Minergie-P nous a été accordé et que le bâtiment fonctionne parfaitement. Cela nous aura coûté en tout 370 000 francs de plus sur un budget total de 10,5 millions.»

Vincent Volet est à la tête d’une grande entreprise de charpenterie et de construction basée à Saint-Légier, 210 collaborateurs, reprise depuis quelques années à la génération précédente et dont l’emblème n’est autre que ce gigantesque Pinocchio visible depuis l’autoroute. Lui, ses frères et ses cousins ont dû s’endetter pour financer le rachat. Le Groupe Volet SA se composait alors de cinq entreprises, une sixième a été reprise depuis dans le canton de Fribourg.

Affronter la concurrence,

«Notre idée était de construire une grande halle de production dans le Chablais vaudois pour nous permettre de regrouper une activité dispersée sur plusieurs sites. Et ainsi de pouvoir faire face à une concurrence venue de Suisse alémanique, pour des grandes constructions en bois. Un marché qui jusqu’ici avait tendance à nous filer sous le nez.»

Nous sommes début 2020. Les frères Volet et leurs cousins sont décidés à se lancer. Les discussions avec l’ingénieur thermique sont concluantes. «En mettant une isolation sous radier et en augmentant l’isolation prévue pour les façades et la toiture, sans oublier quelques panneaux solaires de plus que le minimum prévu initialement lors de la mise à l’enquête, nous pouvions atteindre les exigence pour l’obtention du label.»

Par ailleurs, le timing ne pouvait pas être meilleur: «Les bâtiments représentent en Suisse la deuxième source d’émissions de CO2, avec près de 12 millions de tonnes. Agir sur le parc immobilier vaudois est donc indispensable pour répondre à l’urgence climatique autour de laquelle tout le monde s’accorde», résume Vincent Volet. «Le Canton de Vaud accorde des subventions aux propriétaires désirant construire ou rénover un bâtiment répondant aux normes Minergie, parmi lesquelles la certification Minergie-P, désignant une construction à très basse consommation d’énergie et répondant aux exigences maximales.»

Tout est prêt pour commencer la construction de cette halle de 4400 m2 à Aigle. Mais tout à coup, les nuages s’accumulent. La pandémie monte en force, comme le raconte l’entrepreneur: «Le Covid menaçant, l’entreprise se renseigne rapidement et confirme à l’entreprise de maçonnerie la commande des premiers matériaux, soit l’isolation sous radier. La première commande de celle-ci est livrée dès le 5 mars, soit onze jours avant que le Conseil fédéral ne décrète l’état d’urgence et toutes les restrictions relatives.»

La question de la subvention est aussi soigneusement étudiée. Pas assez, peut-être, comme le montrera la suite de cette aventure au pays de la bureaucratie stérile. «Parallèlement, nous nous renseignons sur les subventions accordées et déposons une demande et tous les documents réclamés le 20 avril auprès de la direction générale de l’environnement du Canton de Vaud. Celle-ci accuse réception en promettant une décision finale ultérieurement et en précisant que les travaux peuvent d’ores et déjà commencer conformément au planning de l’entreprise.»

C’est là que les choses se gâtent. Alors que l’autorisation de construire a été accordée, la procédure pour la subvention mentionne que les matériaux de construction ne doivent pas être livrés avant que la demande de subvention soit traitée. Ces onze jours d’avance pris par une entreprise qui a livré un chouïa trop tôt, vont au final coûter la subvention à Volprod SA, l’entité du Groupe Volet dédiée à la production dans cette halle à Aigle.

Comme le rappelle Vincent Volet, «Volprod SA a décidé volontairement de dépenser 370 000 francs supplémentaires pour construire de manière réfléchie et durable. Selon les barèmes, l’État devrait subventionner la construction à hauteur de 282 000 francs pour l’obtention de la certification Minergie-P, un coup de pouce bienvenu et encourageant à l’effort commun.»

Et donc aux frères et aux cousins de s’endetter un peu plus pour faire face à cette plus-value salutaire vu l’état d’urgence climatique.

Formalisme décevant

La suite est des plus décevantes. «Le 21 septembre 2021, la direction générale de l’environnement annonce refuser la demande de subvention», raconte-t-il. Le prétexte? «Une petite partie du matériel a été acquise et livrée sur place en amont de la demande de subvention, soit le 5 mars 2020, alors que selon la procédure, rien n’aurait dû être livré avant le 20 avril 2020.»

Avec un côté arbitraire. «Si cela s’était joué en Valais et non sur Vaud, les choses se seraient passées différemment, puisque c’est la date de pose de l’isolation qui est pertinente», constate-t-il amèrement.

Existait-il des voies de recours? Le contact est pris avec la conseillère d’État responsable du service de l’environnement, Béatrice Métraux. Mais c’est peine perdue. «Le recours dans ce genre de cas étant débouté, Volprod SA se voit contraint d’y renoncer», soupire Vincent Volet. Selon lui, d’autres entrepreneurs ou particuliers sont dans le même cas. «Ils ont eux aussi voulu contribuer à l’effort collectif, mais ne sont pas soutenus par l’État pour cause de formalisme.»

Une victoire tout de mĂŞme

Un épilogue sous une forme positive. La grande halle fonctionne bien: «Aujourd’hui, le bâtiment en question produit onze fois plus d’électricité qu’il n’en consomme et n’utilise quasiment pas celle du réseau», se réjouit l’intéressé. «Il produit l’équivalent d’une consommation de 111 ménages, qu’il rejette ensuite dans le réseau. Le bâtiment se chauffe avec une pompe à chaleur Air Air, n’utilisant ainsi que l’électricité produite sur site tout comme l’éclairage naturel suffisant et des toilettes fonctionnant à l’eau de pluie. En définitif, la seule ressource qu’il utilise de l’extérieur est l’eau potable pour la consommation du personnel.» En soi, voilà déjà une belle victoire!

Que retient Vincent Volet de ce triste épisode qui illustre de manière flagrante le manque de reconnaissance de l’État face aux PME qui se donnent tant de peine pour changer la donne? «Alors que l’urgence climatique est sur toutes les lèvres, que les États se doivent d’encourager les citoyens à viser une efficience énergétique, la rigidité et la lourdeur administratives mettent des bâtons dans les roues des entrepreneurs et des particuliers. Est-ce une véritable politique incitant au bien commun?

Et si c’était à refaire?

«Bien sûr, il aurait été très facile de produire un faux bulletin de livraison et la demande de subvention serait passée comme une lettre à la poste», relève Vincent Volet. Mais ce n’est pas le style de la maison, nous ne nous amusons pas à faire ce genre de choses. Ce que nous aurions voulu en revanche, c’est d’avoir face à nous un peu plus de pragmatisme, de souplesse et d’intelligence. Alors que tout le monde se gargarise avec le changement climatique, l’État a tout simplement manqué de bon sens.» Courageux, Vincent Volet tenait à ce que cela se sache.

Réponse de l’Etat de Vaud

Nous avons sollicité la réponse de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud, que nous publions telle quelle. «Tout requérant d’une subvention est soumis à l’Art. 24, al. 3 de la loi sur les subventions qui prévoit que “Les travaux ou acquisitions antérieurs à la demande de subvention, ou en cours lors du dépôt de cette dernière, ne peuvent donner droit à une subvention”. Cette exigence a été mise en place notamment dans l’intérêt des requérants: vu les montants en jeu, nous devons nous assurer que nous disposons des fonds nécessaires avant d’accorder des subventions. Par ailleurs, des dizaines de projets présentés pour une demande de subvention font l’objet de plusieurs demandes de compléments et de modifications de notre service afin de les rendre conformes aux critères d’octroi et éviter ainsi qu’ils ne soient refusés. Le processus d’examen préalable des dossiers avant travaux permet de baisser drastiquement le nombre de dossiers qui pourraient être refusés pour d’autres raison que le non-respect de l’exigence d’entamer les travaux uniquement une fois la demande de subvention dûment acceptée par les autorités cantonales. Le fait de se faire livrer des matériaux avant cette échéance justifie le refus de la subvention.»

François Othenin-Girard

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