Publié le: 1 septembre 2023

Obliger, quelle perte d’énergie!

ÉLECTIONS FÉDÉRALES – Philipp Matthias Bregy, conseiller national (Le Centre/VS) et président de ce groupe, réaffirme l’appartenance du Centre au camp bourgeois. La gauche et les Verts ont tort sur le salaire minimal pour les apprentis et la pose obligatoire de panneaux solaires.

Journal des arts et métiers: Fixer un salaire minimal pour les apprentis, est-ce une bonne idée? ?

Philipp Matthias Bregy: C’est manifestement une fausse bonne idée! Pour les PME, la situation actuelle est déjà des plus difficiles. À cela s’ajoute le temps que les apprentis passent aux cours. Tout cela ne facilite pas les choses. En matière d’apprentissage, il faut raisonner sur le fait qu’il s’agit avant tout d’une formation professionnelle.

Que révèle la revendication des jeunes socialistes sur leur attitude vis-à-vis de la formation professionnelle?

La gauche oublie que nous avons d’abord affaire à une formation de base – et non un emploi normal. À force de porter son attention sur la question des salaires, on finit par oublier que l’essentiel, dans un apprentissage, est d’apprendre un métier. Nous ne devons pas nous arrêter en chemin, il faut poursuivre la valorisation de la formation duale. Un très grand effort est plus que jamais nécessaire.

Comment stopper la tendance à l’académisation des formations?

Lutter contre l’académisation des formations ne sera possible que par un travail sur l’image des métiers. Je prendrai l’exemple des soins infirmiers qui à mon sens n’exige pas à tout prix un Bachelor. Idem pour les enseignants de l’école primaire. Le moyen d’y arriver, c’est de renforcer les campagnes de sensibilisation dans les écoles, en analysant les besoins réels de l’économie. Et aussi, en impliquant davantage le corps enseignant qui n’est pas toujours à la page. C’est vrai qu’en l’état actuel, tout pousse dans le sens des Hautes écoles et des universités. Il faut inverser la vapeur en développant des coopérations entre les associations professionnelles et les écoles, en impliquant tout le paysage de la formation.

Que penser de l’idée des Verts de rendre obligatoire la pose de panneaux solaires sur tous les toits?

Très clairement, il s’agit d’une attaque insupportable contre les propriétaires. Je comprends bien la préoccupation liée au solaire et la valorise. En revanche, l’obligation de poser des panneaux partout sera d’emblée contre-productive. Le délai souhaité de quinze ans me semble des plus irréalistes, car le matériel manque, le personnel manque. Par contre, valoriser la pose de panneaux en montagne me semble être une bonne idée, facilement réalisable – et je le dis comme Haut-Valaisan. En plaine en revanche, les possibilités s’avèrent plus minces sur des bâtiments déjà construits, dont l’exposition au soleil n’est pas évidente, voire souvent impossible. En imposant une obligation, on risque de perdre beaucoup de temps et surtout… d’énergie!

Qu’en est-il de Grengiols?

Nous sommes en pleine phase test. On peut dire que les premiers résultats sont positifs, car, comme à Gondo ou à Vispertal, l’efficacité y est optimale et la planification avance. Au départ, une installation encore plus grande était prévue à Grengiols, mais il faut impérativement procéder par étapes. Les communes sont partantes, les entreprises électriques se sont mises au travail. Reste le délai d’ici à 2025 qui sera plus difficile à tenir, mais j’espère que le pouvoir législatif examinera si les délais ne sont pas trop courts.

Ce qui compte, c’est le développement rapide des énergies renouvelables. Les questions de réseaux électriques viennent souvent parasiter la discussion et doivent être résolues en amont. C’est parfois difficile. C’est comme pour d’autres projets énergétiques, il faudrait pouvoir diminuer drastiquement les barrières et les procédures. À cet égard, le droit de recours des associations environnementales constitue un frein terrible pour les projets hydroélectriques dont nous aurions tant besoin d’accélérer le développement.

Comment – en tant que président de groupe – pensez-vous trouver des majorités pour un approvisionnement énergétique durable?

En argumentant bien! Il est à mon avis important de faire passer le message suivant, à savoir qu’en politique suisse, cette majorité existe déjà et elle a réalisé de grands progrès pour l’environnement et le climat. Mais aujourd’hui, il est vraiment nécessaire d’augmenter notre capacité en énergies durables. La prise de conscience est générale et la droite comme la gauche peuvent et doivent s’en accommoder. Et trouver des solutions. Vous ne trouverez de majorité ni pour la construction de nouvelles centrales nucléaires, ni pour l’obligation d’installer des panneaux solaires sur tous les toits.

Le retour au nucléaire?

Je discerne plusieurs problèmes sur ce thème. D’abord, le fait que le peuple suisse a décidé de ne pas construire de nouvelles centrales. Pour inverser ce choix, il faut envisager une nouvelle votation. Deuxièmement, la question des déchets nucléaires n’est toujours pas résolue. Le troisième problème est financier. Il faut trouver des investisseurs capables de mener ces projets à bien. Or mes échanges avec des professionnels de l’énergie au plan européen, en Allemagne notamment, m’ont montré que de tels investisseurs dans le nucléaire n’existent pas à l’heure actuelle. Tout cela ne nous aide pas et au final, s’il fallait faire revoter la population, il faudrait entre 25 et 35 ans entre la première décision et le début de la mise en fonction de nouvelles centrales.

Sécheresse et sécurité alimentaire: vous avez proposé des solutions au Parlement, de quoi s’agit-il?

Mon point est le suivant. Il est juste que la Suisse s’engage dans la lutte contre le changement climatique. Mais il est également clair que le changement climatique ne peut pas être complètement arrêté. C’est pourquoi la politique doit créer un cadre qui permette à l’économie et à l’agriculture de s’adapter au changement climatique. Et pour l’agriculture, la question de la sécheresse est bien réelle. Et les moyens de lutte contre ce fléau passent par une gestion bien comprise des ressources disponibles, donc de l’eau.

Que pensez-vous de la campagne Perspective Suisse?

Que les perspectives pour les PME et l’agriculture sont, selon le point de vue, bien identiques. Dans tous les cas, il faut lutter contre les interdictions et la bureaucratie rampante. La capacité politique à débloquer des situations est souhaitée à la fois par les uns et les autres. Donc je valorise beaucoup cette approche transversale de l’action permettant d’améliorer la société dans son ensemble.

Les axes de transport sont mis Ă  mal et les embouteillages empoisonnent la vie des PME Quelles sont les solutions?

Nous avons besoin de bonnes voies de communication et d’une stratégie de politique des transports qui englobe aussi bien les transports publics que la route. On est priés de ne pas perdre de vue les intérêts de l’ensemble de la population. Le 2e tube au Lötschberg participe aussi de cette vision. Quant à l’épisode du Gothard, il montre que cela ne sert à rien d’avoir deux tubes si on n’arrive pas à les faire fonctionner de manière individuelle. Sinon, on arrive vite – et ce fut le cas cet été – à une catastrophe, tant pour le tourisme que les transports.

Comment depuis Berne donner un nouveau souffle à l’esprit d’entreprise?

Je ne vois pas que la capacité à entreprendre ait été mise sérieusement à mal dans ce pays. Je vois au contraire une population dotée d’un état d’esprit innovant et plutôt prête à prendre des risques. La pandémie a toutefois créé un profond bouleversement, dont le télétravail n’est qu’un aspect, toutes choses qui prennent du temps à mettre en place. Je dirais que l’esprit d’entreprise a tout au plus subi un petit coup de frein, temporaire, espérons-le! La pénurie des RH et le manque de relève en revanche me semble être un sérieux problème. Nous devons tout mettre en œuvre pour trouver des solutions durables pour le marché du travail, y compris la main-d’œuvre étrangère. Malheureusement, on a tendance à l’oublier dans le débat sur la migration. Sans cela, la progression de la Suisse serait sérieusement remise en question.

Le Centre actuel est-il un parti bourgeois ou de gauche?

Le Centre appartient résolument au camp bourgeois, même s’il faut souvent le réaffirmer. Nous sommes au Centre et plutôt à droite, comme les Verts Libéraux sont au centre et plutôt à gauche. Nos éléments de politique sociale nous différencie du PLR et de l’UDC, cela fait partie de notre ADN politique depuis toujours. Prenez le thème de l’AVS, c’est grâce au Centre que des éléments sociaux concernant les générations futures ont pu être intégrés. Sans cet élément social à laquelle la population tenait très forte, la réforme de l’AVS n’aurait aucune chance de passer la rampe.

Quelles sont vos attentes concernant les Ă©lections du 22 octobre?

Après la fusion avec le PBD, je pense que nous sommes en mesure de profiter des effets de cette nouvelle force et peut-être même de progresser par le biais du bénéfice de la fusion. Mais le maintien du bénéfice de la fusion serait déjà un succès. On a tendance à l’oublier. Cela dit, c’est un peu difficile de donner une évaluation sur la situation d’ensemble, qui dépend de ce qui se passe dans chaque canton. En Valais, les rapports au sein des blocs semblent assez stables, alors que Genève est toujours prête à surprendre. Nous verrons bien le 22 octobre.

Interview: François Othenin-Girard

Articles approfondis

Les plus consultés