Publié le: 6 octobre 2023

Carlo – vous êtes très attendu à Berne!

CHARLES PONCET – Le vieux renard libéral s’offre une «encore-campagne». Doyen du Grand Conseil genevois, il n’a jamais validé la fusion avec les radicaux et s’estime flatté que l’UDC soit venu le chercher à son âge (76 ans). Dans son viseur, rétablir la sécurité, éviter le matraquage de la classe moyenne et la liberté d’expression!

Ainsi à bientôt 77 ans – les fêterez-vous à Berne? – vous osez vous relancer dans la Berne fédérale. «Chimène, qui l’eût dit? Rodrigue, qui l’eût cru?» Car oui, cher Carlo, on trouve encore des gens qui lisent Pierre Corneille. Grand acteur de théâtre et amateur d’opéra, homme de culture, vous avez au moins le mérite de ne point l’étaler, vous qui fûtes député au Grand Conseil (1989-1993), conseiller national libéral (PLS/GE) entre 1991 et 1995. Bouillonnant avocat actif (à Genève, Zurich, Londres et Washington), on se pousse du coude dans le microcosme bourgeois romand. Il n’a pas pris une ride ou presque. Votre proverbiale éloquence, plus transalpine et moins sulfureuse que celle de votre collègue Marc Bonnant (78 ans), continue de faire mouche. À tous les coups.

Formé aux États-Unis (à l’Université de Georgetown), comme spécialiste du droit de la presse, vous avez contaminé des générations d’apprentis journalistes avec vos idées libertaires, dont le soussigné. Par exemple, sur ce qu’il convenait de faire quand la liberté de la presse était menacée par les pandores et les juges. Et qu’il valait mieux dans ce cas planquer ses notes compromettantes chez une vieille tante – de préférence à la campagne.

On vous dit «caustique» et c’est bien réducteur. Vous riez à gorge déployée. On vous imagine moins dans le ricanement sous cape contemporain. Vos textes parus dans «L’Hebdo» frappaient très juste. Certains se souviennent avec nostalgie d’une série de vos billets parus dans «Dimanche.ch» il y a vingt ans. Toute la Suisse romande se pliait en quatre de rire en lisant Carlo clouer au pilori Nelly Wenger et sa joyeuse équipe d’Expo.02 dont plus personne n’osait rien dire, de peur que ne s’écroule un si fragile édifice.

Vous riez à gorge déployée. On vous imagine moins dans le ricanement sous cape contemporain

Ne nous privons donc pas du plaisir de vous citer: «Vous vendez en effet, Madame, de la salade insipide entourée d’un emballage ampoulé, prétentieux et infatué (…). Vous êtes le produit emblématique et malencontreux d’une époque où il fut de bon ton d’aller clamant que ‹l’art c’est con›. Cramponnée à cette prémisse absurde, jetant le classicisme à la rivière au nom de l’idéologie, sans pourtant savoir que proposer en lieu et place, vous faites métier d’une originalité fallacieuse, tout au plus capable de mettre une forme médiocre au service de rien. Vos pavillons, Madame, et leurs fanfreluches nébuleuses sont à nos deux mille ans de culture comme des tags au Parthénon.» (in «Dimanche.ch», édition papier, 01.09.2002). Dame, quel morceau – il fallait oser!

De votre jeu à fleurets parfois non mouchetés, vous n’avez pas perdu le piquant. Tout récemment, vous brocardiez (sans avoir besoin de le détruire) l’utilisation à tout crin du drapeau arc-en-ciel: «Cher Damien Cottier. Vous êtes, permettez-moi de vous le marquer, l’exemple parfait de ces hommes et de ces femmes politiques sans colonne vertébrale, adeptes de l’adage selon lequel ce n’est pas la girouette qui tourne, mais bien le vent qui change.» (cité par «Le Matin», 31.07.2023).

Opposé à la fusion entre libéraux et radicaux, vous avez finalement rejoint les rangs de l’UDC fin 2021. Élu au parlement genevois dont vous êtes le doyen sans en avoir la sénilité, vous jouez au passage les locomotives électorales. Des critiques, bien sûr qu’il y en a. Et ce n’est jamais fini. Comme ceux qui aimeraient vous reprocher sur le tard vos piques contre une paysannerie à l’époque sursubventionnée.

Ceux qui raffolent des débats parlementaires se réjouiront de vous voir revenir à Berne: «Ce parlement doit être le lieu des débats les plus passionnés, le lieu où on s’invective, où on rend la vie impossible au pouvoir exécutif», disiez-vous dans l’un de vos discours. «Derrière les idées, il y a toujours un homme ou une femme dont la conviction, la sincérité, le dévouement doivent être en toutes circonstances respectés.»

C’est dire s’ils vous attendent à Berne. À Genève, ils finiront par vous laisser partir. «Va, je ne te hais point», lui chuchotera (dans les urnes) cette République du bout du lac, un peu drapée dans le rôle d’une Chimère – de lui tant aimée et aussi ma foi bien châtiée. En attendant, Carlo continuez à faire vos gammes sur les réseaux sociaux. Et à nous faire hurler de rire!

François Othenin-Girard

Interview à bâtons rompus et à la troisième personne

JAM: Maître, qu’allait-il faire en cette galère (fédérale)?

Charles Poncet: J’ai été honoré qu’à mon âge, le premier parti de Suisse me demande d’être parmi ses candidats.

Une idée à laquelle il tient absolument et qu’il souhaite réaliser le plus vite possible à Berne?

Rétablir la sécurité dans les rues de nos villes et ramener notre armée au niveau qui doit être le sien.

En campagne, les sujets dont il aime (encore) parler?

Le matraquage de la classe moyenne me désole dans un pays qui, jadis, était le pays de la classe moyenne par excellence. Aujourd’hui, avec l’assurance maladie, les impôts, les taxes de toutes sortes, l’électricité, le loyer et les carburants, les prix qui augmentent et ne baissent jamais dans les magasins, un couple suisse avec deux enfants est raide à la fin du mois. C’est une honte!

Que préconise-t-il face à ces hausses de prix – en particulier de l’électricité – qui frappent durement nos PME?

S’assurer que le nucléaire produise le maximum jusqu’à ce que l’inventivité de l’espèce humaine nous donne une meilleure solution. L’énergie doit être abondante, facile à utiliser et bon marché.

En campagne, les sujets oĂą il est attendu?

À part le pouvoir d’achat et le niveau de vie, mes sujets sont d’abord la sécurité: il faut réapprendre à punir – en mettant l’accent sur la protection des victimes – et en particulier des femmes. Deuxièmement, l’immigration, qui est hors de contrôle et enfin la défense nationale, que nous devons reconstruire dans une Europe qui se liquéfie alors qu’il y a une guerre en cours. Sur ces sujets et d’autres, le PLR – auquel je n’avais jamais adhéré soit dit en passant – fait preuve d’une veulerie et d’une lâcheté indicibles.

Relations internationales: que préconise-t-il face à l’UE?

J’ai pour l’UE un respect qui m’en tient éloigné. Et comme disait Schiller dans Guillaume Tell: «Wir wollen uns nicht fürchten vor der Macht der Menschen». N’ayons pas peur du pouvoir des hommes.

Que fera-t-il pour les PME Ă  Berne?

De ma vie, je n’ai jamais voté une augmentation d’impôts ou de taxes. Je précise que j’avais même voté contre l’indexation au coût de la vie des amendes d’ordre. J’entends bien que les charges des PME baissent.

De ma vie, je n’ai jamais voté une augmentation d’impôts ou de taxes.

Et les sujets qui l’énervent?

Le «wokisme» en général, le massacre de la langue française dans les usines à illettrés que sont devenues nos écoles primaires et secondaires, sans oublier l’écriture inclusive: voilà trois thèmes qui déclenchent chez moi une réaction comparable à celle de Joe Dalton quand il voit Lucky Luke!

L’énergie doit être abondante, facileà utiliser et bon marché.

Les sujets qui le font rire?

Les Verts d’une façon générale: ces hurluberlus arrivent à vous expliquer qu’on peut à la fois militer pour des énergies renouvelables et s’opposer aux panneaux solaires en Valais. C’est fabuleux! Décidément, Gribouille n’a rien inventé.

On a raté un épisode, pourquoi l’UDC? Est-ce que les gens comprennent?

Les gens comprennent tout à fait et d’innombrables amis m’ont dit leur déception totale avec le PLR et leur conviction que l’UDC est le seul parti avec une politique cohérente en matière d’immigration et de sécurité dans nos villes, les deux thèmes étant indissolublement liés.

Que reste-t-il de libéral en votre être et animal politique?

La liberté d’expression pour tous!

Liberté et mots d’ordre des partis votant groupés. Seriez-vous toujours un véritable électron libre ou auriez-vous changé de ligne?

Je n’ai jamais été un électron libre. Après 1200 jours de service militaire, on sait ce que c’est que la discipline. Mais je suis un enragé de la liberté d’expression. Et pour tout le monde!

Bravo pour votre défense de «Vigousse»! Quelle place reste-t-il pour l’humour en politique? et quelle place pour la politique en humour?

Défendre Vigousse est un honneur, que je dois à mes amis Barrigue et Nordmann. L’équipe actuelle me fait le même honneur. Ils sont même capables d’accepter un avocat UDC! L’humour est aujourd’hui mal vu en politique, mais la place de la politique dans l’humour est trop importante. J’aimerais bien voir Vigousse assassiner la gauche ou les Verts de temps en temps. Ils le font, mais pas assez à mon goût. Cela dit, le numéro sur Versoix, par exemple, était un chef-d’œuvre et il y a des sorties dans chaque Vigousse qui me divertissent infiniment: qui d’autre par exemple, oserait balancer – comme dans le dernier numéro de Vigousse – que les œuvres complètes de C.-F. Ramuz ont été déposées dans une bibliothèque proche de la Clinique du sommeil?

«le massacre de la langue française dans les usines à illettrés que sont devenues nos écoles primaires et secondaires...»

Une fois à Berne, passerez-vous beaucoup de temps à expliquer à vos collègues alémaniques comment ça «fonctionne» à Genève?

Ils le comprennent très bien! Le problème est à Genève et pas en Suisse. Genève, c’est le village gaulois, mais sans la potion magique! Imaginez-vous un autre canton où le président du gouvernement – Antonio Hodgers – militerait pour interdire l’usage du Schwyzerdütsch? Monsieur le Président du gouvernement genevois, assis sur l’Olympe de la Treille, n’a vraiment rien, mais alors là rien compris du tout, à la façon dont ce pays fonctionne.

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

«Je n’ai jamais été un électron libre. Mais je suis un enragé de la liberté d’expression. Et pour tout le monde!»Photo: dr

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