Publié le: 6 octobre 2023

Présomption d’innocence

CARTELS – Le Conseil fédéral a ourdi une «petite» révision de la loi sur les cartels (LCart)et un message au Parlement. Il entend aussi renforcer la notion de matérialité – ce quine manque pas de susciter quelques controverses dans la foulée.

La Suisse connaît le modèle d’un contrôle des abus par le droit des cartels. En d’autres termes, les cartels, c’est-à-dire les accords, sont en principe autorisés, sauf s’ils nuisent à l’économie nationale. L’instrument juridique qui permet de vérifier le caractère nuisible est l’importance.Or, les autorités de la concurrence l’ont largement mis de côté en inventant de leur propre chef l’importance per se. Elles ont ainsi introduit – contre la base légale – une interdiction des cartels et ont en outre inversé la charge de la preuve. Il s’agit maintenant de corriger tout cela. Voici quelques points à traiter.

Quel est le problème dans la situtation et la pratique juridique?

Contrairement à la volonté du législateur et à la logique économique, les coopérations entre entreprises sont aujourd’hui condamnées en bloc. En particulier, les coopérations qui permettent d’améliorer la situation des clients, de faire baisser les prix ou de promouvoir l’innovation sont fortement découragées ou rendues plus difficiles par la pratique des autorités de la concurrence et des tribunaux.

Pourquoi l’évaluation de la pertinence est-elle importante?

Il y a différentes formes de coopération entre les entreprises, qui sont utiles à l’économie du pays. Les coopérations peuvent par exemple déboucher sur des prix plus bas, un meilleur approvisionnement, une diversité de l’offre, l’innovation, la formation, etc. Conformément à la Constitution fédérale et à la loi sur les cartels, l’autorité de la concurrence n’intervient que dans les cas où des entreprises coopèrent et restreignent ainsi la concurrence de manière importante et préjudiciable. Dans ce cas, des amendes élevées doivent toujours être prononcées. Or, la pratique actuelle place toutes les coopérations sous le signe de la suspicion générale. C’est dommageable pour l’économie, car en cas de doute, les entreprises ne coopèrent pas et laissent ainsi des potentiels économiques inexploités.

Le Conseil fédéral veut désormais prévoir un examen de la pertinence dans tous les cas à l’article 5. Quels sont les dangers qui en découlent?Il n’y en a aucun. L’examen de la matérialité fait partie de la preuve complète de la LCart. Les cartels importants continueront à être amendés. Toutefois, en vertu de la présomption d’innocence, c’est aux autorités de la concurrence d’apporter la preuve complète qu’elles doivent infliger des sanctions, le cas échéant.

Les nouvelles dispositions de l’article 5 entraînent-elles un allongement des procédures? Là encore, la réponse est non: les procédures ne sont pas devenues plus courtes après l’introduction de la pratique Elmex/Gaba. Les procédures s’éternisent surtout en raison des longs délais de traitement au sein du Tribunal administratif fédéral. Cela est lié à la surcharge du tribunal, et non à celle de la Commission de la concurrence (Comco) ou du secrétariat. Un examen quantitatif de la matérialité implique un léger surcroît de travail pour le secrétariat et la Comco. De plus, dans un État de droit, l’efficacité du traitement des dossiers ne doit jamais faire fi de la présomption d’innocence. Avec le nouvel article 5, la Suisse sera-t-elle moins stricte en matière d’accords, par exemple d’importations parallèles ou d’achats directs à l’étranger? Là encore, il n’y a pas de raison d’établir une telle présomption. En cas de restrictions importantes, la LCart interviendra. De plus, les importations directes et parallèles ne posent déjà pas de problème aujourd’hui.

Contraire au droit de l’UE?

Non. La Suisse a la pratique la plus stricte au monde en matière de droit des cartels. Elle dispose d’une législation contre les abus. L’UE, en revanche, travaille avec une législation d’interdiction. Mais même dans ce cas, la Cour européenne de justice est claire: elle exige une preuve complète, au cas par cas, qu’un préjudice a été subi et que ce préjudice est important. En conséquence, l’UE mène aussi une analyse correspondante, très proche du test de matérialité suisse qui existait jusqu’à Gaba/Elmex.

La pratique actuelle en Suisse, sans preuve de la matérialité, s’est donc détachée du droit de l’UE. Par exemple dans l’affaire «Super Bock» (C-211/22, décision en 2023), la Cour a retenu qu’un accord vertical sur les prix ne peut être sanctionné qu’après avoir examiné l’ensemble de l’économie du cas d’espèce – y compris le caractère nuisible.

Henrique Schneider, usam

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