Publié le: 6 octobre 2023

S’approvisionner en temps de crise

Énergie – Être préparé aux pénuries fait partie de l’ADN de l’industrie pétrolière. Elle peut servir de modèle pour la gestion des risques découlant de la dépendance de notre approvisionnement énergétique face à l’étranger.

Cet automne marque le 50e anniversaire de l’une des plus graves pénurie énergétique de notre pays. Certains se souviennent encore des fameux dimanches sans voiture. En octobre 1973, la guerre du Yom Kippour entre Israël et ses voisins arabes déclenche une crise pétrolière avec une offre limitée et une explosion des prix. Le Conseil fédéral suggère à l’industrie pétrolière d’importer autant de produits que possible dans le pays, indépendamment du prix.

La branche elle-même, avec une pointe d’autocritique, voyait les causes des crises dans le manque de capacités de raffinage et le développement insuffisant des infrastructures. Elle en a tiré des leçons qui, 50 ans plus tard, sont toujours d’actualité: la gestion de crise doit être développée, le rationnement et les mesures d’accompagnement prévus, les possibilités de stockage étendues et le flux d’informations entre les autorités et l’économie amélioré. On se croirait à l’époque actuelle en lisant ces recommandations tirées du rapport annuel 1973 de l’Union pétrolière de l’époque.

Un air de déjà-vu en matière de politique énergétique

Au cours des années précédentes, le secteur de l’énergie avait été confronté à un autre défi: les besoins énergétiques toujours croissants d’une économie en plein essor. Au début des années 1970, on parlait pour la première fois d’une demande excédentaire dans les pays industrialisés, ce qui favorisait entre autres l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L’utilisation annoncée de l’énergie nucléaire fut retardée, ce qui augmenta la demande de pétrole. En 1972, pour la première fois, la production nationale ne suffisait plus à couvrir les besoins en électricité. L’industrie pétrolière s’est inquiétée de la dépendance croissante face à l’étranger. On pourrait en fait «assister avec un sourire malicieux à l’interminable débat public sur la construction de centrales nucléaires», lit-on dans ces rapports.

«il y a un demi-siècle, l’industrie pétrolière comblait déjà les vides.»

Mais cela n’est pas approprié au vu des besoins énergétiques futurs de l’économie et de la population. Les parallèles avec la situation actuelle devraient en fait servir de leçon pour la politique énergétique. Quoi qu’il en soit, c’est au secteur pétrolier qu’incombait déjà, il y a un demi-siècle, la tâche de combler les vides, c’est-à-dire d’assurer l’énergie et l’infrastructure d’approvisionnement nécessaires. Tout comme à l’automne 2023, lorsque les générateurs de la centrale d’urgence de Birr seront (espérons-le) mis en service à titre d’essai.

La résilience du marché pétrolier

Ce souvenir montre que la dépendance de notre approvisionnement énergétique vis-à-vis de l’étranger constitue un défi récurrent que l’industrie pétrolière a toujours su relever. Les recettes sont les suivantes: constitution de réserves dans le pays, canaux d’importation redondants et indépendants les uns des autres par la route, le rail et l’eau, approvisionnement supplémentaire par pipelines, capacités de production dans les raffineries nationales, large éventail de fournisseurs étrangers tant pour le pétrole brut que pour ses produits. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avons cru un moment nous retrouver à nouveau dans une situation de crise profonde. En mars 2022, en effet le Conseil fédéral n’excluait pas une hausse du prix du carburant à la pompe de près de 4 francs par litre. Comme on le sait, les choses ne se sont pas aussi mal passées et les prix des carburants sont depuis plusieurs mois à nouveau comparables à ceux d’avant la guerre en Ukraine. C’est précisément ce qui caractérise un système résilient: sa capacité à retrouver rapidement sa situation initiale après une perturbation. De même, l’approvisionnement local en produits pétroliers n’a jamais été sérieusement menacé au cours des dix-huit derniers mois.

Dépendance face à l’étranger et énergies alternatives

Le concept de transition énergétique est aussi largement associé à l’idée que l’approvisionnement énergétique futur de notre pays devrait être moins dépendant face à l’étranger. Si nous misons sur le soleil, le vent et l’eau plutôt que sur le gaz naturel et le pétrole, notre énergie devrait être «indigène». Or, à y regarder de plus près, on se berce d’illusions. Le Parlement a reconnu très tôt que les énergies alternatives comme les biocarburants ou l’hydrogène devaient être en grande partie importées. Il a donc légiféré sur leur importation – ou le fera bientôt, espérons-le, avec une stratégie pour l’hydrogène. Quant à l’augmentation de la production d’électricité renouvelable en Suisse, visée par les projets Solar-indexpress et Windexpress, elle ne résout en rien le problème de la dépendance vis-à-vis de l’étranger.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il existe une concentration inquiétante du marché dans le domaine des technologies dites propres, comme on a pu l’apprendre l’autre jour à Berne lors de la présentation du rapport national. L’UE définit cette année la situation d’approvisionnement comme «critique» pour 20 matières premières nécessaires aux énergies renouvelables. En mars 2023, la Commission européenne a présenté une proposition relative à un nouveau paquet de règlements visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques – le Critical Raw Materials Act. Dans le traitement des matières premières critiques et dans le développement de batteries, de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes, la Chine a atteint une position sur le marché tout à fait comparable à celle de la Russie en tant que fournisseur de gaz pour l’Europe occidentale. L’ignorer serait inconscient.

Des prix de l’énergie stables et une sécurité d’approvisionnement non menacée sont les preuves récentes que l’on peut compter sur le pétrole même en temps de crise. Il est urgent d’en tenir compte lors de la planification et de la mise en œuvre d’une transition énergétique ambitieuse qui devrait nous permettre de nous passer complètement du pétrole dans 25 ans déjà.

Roland Bilang, directeur, Avenergy Suisse

Sur l’importance du pétrole pour l’approvisionnement énergétique, consultez le dernier numéro du magazine «Avenue» de l’hiver 2022/2023:

https://avenergy.ch/images/pdf/Avenue/Avenue_2022_2023_Winter_fr_web.pdf

Succès mitigé des sanctions contre la Russie

Souvenez-vous: en décembre dernier, les pays du G7 et les membres de l’UE ont décidé de plafonner le prix du pétrole brut russe transporté par voie maritime. L’intention était de limiter les revenus de la Russie et de l’inciter ainsi à renoncer à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.

Qu’est devenu cet embargo? Concrètement, il s’agit encore aujourd’hui de ne pas payer plus de 60 dollars par baril de pétrole brut russe, lorsque des transporteurs et des assureurs du G7 ou de l’UE sont impliqués. Comme l’UE avait déjà interdit l’importation de pétrole brut russe par voie maritime en mai 2022, le plafond de prix ne s’applique qu’au commerce avec des pays tiers. Les transporteurs et les prestataires de services financiers extérieurs aux pays du G7/UE en sont également exclus.

Comme on pouvait s’y attendre, ce système a entraîné une fragmentation du commerce mondial du pétrole et donc, dans un premier temps, un allongement des voies d’approvisionnement. Sur le «marché parallèle», qui n’est pas soumis aux prix imposés, le pétrole brut russe a effectivement été négocié au début de la mesure avec une nette décote, ce dont ont pu profiter notamment les pays importateurs que sont la Chine et l’Inde.

Depuis, les revenus russes issus du gaz et du pétrole sont à nouveau plus élevés qu’il y a un an. Cela est notamment lié aux réductions de production du groupe OPEP+, auquel la Russie appartient, et à ses efforts pour maintenir le prix du baril de pétrole brut au-dessus de la barre des 80 dollars.

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