Publié le: 3 novembre 2023

Du solaire aux couleurs changeantes

romont– Produire des panneaux solaires en Suisse, est-ce réaliste, surtout dans un univers dominé par une production chinoise? Aussi surprenant que cela puisse paraître, la réponse est positive avec du haut de gamme utilisant la technologie de l’interférence. Comme certains papillons qui semblent bleus.

En route pour Romont (FR), où Hervé Peitrequin, responsable de la communication, nous accueille sur le site de Kromatix, une PME familiale lancée par Rafic Hanbali (74 ans) fondateur et CEO. À l’heure où nous mettons sous presse, nous apprenons que le fondateur est décédé le 8 octobre dernier – notre visite datant du 21 septembre.

Feu Rafi Hanbali a développé et industrialisé un panneau photovoltaïque doté d’un verre coloré – permettant d’équiper également des façades entières (et non plus seulement des toits), des balustrades, des parois anti-bruit, des abris ombragés pour des pistes cyclables. Le tout grâce à une palette d’une dizaine de couleurs variées.

L’effet d’une aile de papillon

Dans le monde naturel, les couleurs perçues ne sont pas toujours réelles. «Les ailes de certains papillons ne contiennent pas de pigments bleus, mais un revêtement qui réfléchit la lumière et produit une onde que nous percevons comme bleue», explique-t-il. C’est le phénomène bien connu de l’interférence, ou la capacité d’une surface à apparaître à nos yeux d’une couleur différente selon l’angle que forme la réfraction des rayons avec la surface. La lumière qui atteint le vitrage est en partie réfractée sous forme de reflet et de couleur. La majeure partie du rayonnement franchit cette première couche de verre pour atteindre les cellules solaires.

Architectes friands de couleurs

Le professeur Andreas Schuler, du Laboratoire d’énergie solaire (LESO) de l’EPFL a mis au point cette technologie basée sur le phénomène de l’interférence, c’est-à-dire la propriété de certains matériaux qui utilisent la réfraction pour nous apparaître de telle ou telle couleur. Et le grand avantage de cette solution, c’est que le panneau ne laisse pas paraître les cellules solaires, mais offre au regard une homogénéité parfaite. Selon la manière dont les panneaux sont posés, des couleurs différentes apparaissent. Les enjeux de propriété intellectuelle sont manifestes.

Parmi les prescripteurs, on trouve certains architectes friands de façades colorées et changeantes. Hervé Peitrequin nous montre quelques-uns des grands projets réalisés – à Copenhague, Singapour, Dubaï ou, plus proche de nous, le bâtiment administratif de la Pontaise (BAP). Le fondateur a très vite internationalisé la société et on peut dire que Kromatix est une PME born-global.

Créneau esthétique et durable

Kromatix est née dans la peau d’une spin off de l’EPFL. En 2022, le Matin Dimanche annonce que la société emménage dans les anciens locaux de Tetrapak à Romont rachetés par l’État de Fribourg en 2016, suite à la fermeture du site de production de ce spécialiste de l’emballage en 2015. Et qu’un apport de fond est attendu pour fin 2022 afin de financer la croissance et passer à 80 collaborateurs.

«Ce projet a pris un peu de retard en raison du contexte actuel, guerre en Ukraine, incertitudes diverses, mais Kromatix peut compter sur un actionnariat diversifié à l’international pour nourrir sa croissance», indique Hervé Peitrequin. Le plus important à ses yeux: le potentiel attisé par les besoins qui iront croissant en énergies renouvelables et la volonté de maintenir en Suisse une industrie innovante et compétitive.

«En pleine transition énergétique, ce marché est à saisir maintenant, en Suisse romande où nous sommes très actifs, mais aussi à l’international où nous disposons d’un très large potentiel avec nos produits, explique le chargé de communication, nous sommes situés sur le créneau des panneaux solaire haut de gamme. La dimension esthétique est importante et d’autres matériaux utilisés pour les revêtements de façade reviennent bien plus cher tout en n’offrant aucun retour sur investissement.»

Une Ă©quipe au travail

La visite se poursuit avec Constance Caruel, assistante de direction qui nous emmène dans les grandes halles. L’équipe de Kromatix comprend actuellement entre 35 et 40 personnes (en tout). À Romont, les cellules solaires sont assemblées sur place et nous pouvons observer la machine qui les lie avec une grande précision.

Certains collaborateurs sont chargés de positionner les cellules entre deux plaques de verre, dont l’une, traitée, rend possible le phénomène d’interférence. D’autres s’occupent ensuite du laminage à chaud. On les voit aussi déplacer, couper et traiter d’immenses plaques de verre. Ces dernières font l’objet d’un soin particulier et de divers traitements afin que le revêtement final, une fois posé sur la façade, soit impeccable.

Et, la visite terminée, un soleil éclatant pointe le bout de ses rayons dans le grand parking. Contre les parois de l’usine Tetrapak, les panneaux de Kromatix semblent réagir à nos mouvements en changeant de couleur. Le défi, c’est de trouver l’endroit précis où l’on perçoit une couleur identique pour deux plaques de verre.

François Othenin-Girard

* Kromatix est membre de Swiss Label et une solution labellisée par la Fondation Solar Impulse.

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