Publié le: 3 novembre 2023

Titane: innovation maximale

del west – Basée dans le Chablais vaudois, la filiale de cette entreprise californienne souffle ses cinquante bougies. Née dans les services, elle a développé des soupapes en titane qui la rendent incontournable dans les écuries de Formule 1 et la moto GP. Un savoir-faire qui lui a aussi ouvert les portes de l’horlogerie.

JAM: Cette société n’est pas connue du grand public en Suisse romande. Où et dans quelles circonstances est-elle née?

Olivier Conne: Elle a été créée en 1973 à Los Angeles et dans les services aéronautiques. À cette époque, elle se consacrait aux analyses de défaillance de composants mécaniques. Lorsque l’un des deux cofondateurs est sorti, dans les années 1980, Al Sommer, également cofondateur, a repris la direction. Il a ensuite développé par étape la réalisation de produits. Comme il disposait d’une grande expertise dans les produits à base de titane, notamment due à son travail dans le programme du fameux B1-B dont les ailes pouvaient pivoter et pour lequel le titane entrait dans la composition, la transition d’une société de service vers les produits s’est réalisée naturellement. De fil en aiguille, il a compris que le marché des soupapes en titane représentait un enjeu, en particulier pour les voitures de courses du Nascar aux États-Unis. La mise au point devait respecter certains paramètres, comme la capacité de résister à de très hautes températures et à de fortes contraintes mécaniques.

Comment l’entreprise s’est-elle installée en Suisse?

L’univers de la course automobile en Californie est un tout petit monde et d’autres types de courses, y compris la moto, ont rapidement vu les atouts des soupapes en titane. Le règlement des courses de formule 1 ayant changé au début des années 1990, cela a impliqué la suppression des moteurs turbo compressés. Par conséquent, les températures étaient moins élevées et le besoin en pièces légères permettant de dégager de la puissance, donc de la vitesse, s’est confirmé. Nos soupapes et diverses pièces liées sont rapidement devenues incontournables dans les écuries de F1 et Del West a voulu se rapprocher de ses clients en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni et en France. Et elle s’est installée à Roche dans le Chablais vaudois, parce que cette région dispose d’un bon vivier en main-d’œuvre et que cette région est bien placée au centre de l’Europe.

L’arrivée dans l’horlogerie et le luxe faisait suite à quelles réflexions?

L’entreprise devait se diversifier et dans ces secteurs, la recherche de la perfection correspondait bien au savoir-faire de Del West. Alors que les soupapes sont faites aux États-Unis, nous réalisions d’autres composants à Roche. La dimension des pièces travaillées correspondait à celles que nous pouvions réaliser pour l’horlogerie et nous sommes depuis bien actifs dans ce domaine. À mon arrivée dans les années 2000, j’ai eu l’honneur de transférer dans le monde de l’horlogerie l’immense savoir-faire et réservoir d’innovations acquis dans le secteur de l’automobile. Entre 2010 et 2015, pas moins de cinq innovations majeures «made by Del West» sont lancées pour des marques horlogères suisses renommées.

Comment innove-t-on à partir d’une soupape?

À performance égale, nous cherchons à obtenir des pièces plus légères, par exemple en évidant l’intérieur. Nous avons développé de nombreuses recherches sur les matériaux et notamment sur le titane. Aujourd’hui, nous utilisons l’aluminure de titane pour les applications les plus sévères. Ce matériau est plus léger et résiste à des températures plus élevées. Du côté des traitements de surface également, nous avons réalisé des développements tout comme dans la manière de refroidir la soupape au mieux.

Avec quels instituts scientifiques développez-vous des projets?

Nous puisons dans les sciences les plus actuelles et nous avons surtout une centaine de personnes qui travaillent pour nous en Suisse, environ 15 à 20 % d’entre eux sont des ingénieurs dans le développement et l’industrialisation. Nous travaillons avec l’USC en Californie et, bien sûr, nous avons aussi quelques contacts avec l’EPFL.

Si toutes les soupapes sont produites aux États-Unis, que réalisez-vous à Roche?

À Roche, nous sommes le leader mondial du rappel pneumatique de soupape. Dans presque toutes les voitures à explosion, pour que la soupape se referme, on utilise un ressort. Sauf en F1 et la moto GP, où une petite chambre avec de l’air sous pression provoque le retrait de la soupape. Pour prendre une image, c’est comme si on presse un peu sur l’embouchure du tuyau d’une pompe à vélo et que soudain, le manche de la pompe revient en arrière. Le rappel pneumatique permet d’atteindre des régimes plus élevés et de réduire les masses en mouvement.

Dans le moteur thermique, comment voyez-vous la suite?

Prenons comme postulat, cela prendrait longtemps d’en discuter en profondeur, le fait que le moteur électrique ne répondra pas à 100 % des besoins dans la mobilité. Le manque d’infrastructure électrique sur de vastes continents, les difficultés sans fin pour électrifier l’aviation, le domaine maritime et, finalement, le fait que la densité d’énergie par kilo dans un moteur électrique s’avère sept fois inférieur au moteur thermique. Ce dernier a encore de beaux jours devant lui. En continuant à faire progresser les moteurs de F1, nous participons au développement d’une plateforme dotée d’une très grande visibilité, mais surtout sur laquelle se concentre les meilleurs cerveaux du domaine. Cette dynamique extrêmement forte permet de développer des moteurs avec de meilleurs rendements utiles et pertinents pour les défis climatiques actuels.

Comme quoi?

Les projets sont nombreux et pour n’en citer qu’un seul, figurez-vous que les moteurs de Formule 1 devront, dès 2026, fonctionner uniquement avec des carburants neutres en carbone. Cela signifie que le carbone utilisé existe déjà dans l’atmosphère. C’est donc une porte ouverte pour l’hydrogène et d’autres carburants, ce qui permettra au passage de prolonger la durée de vie des véhicules actuels, bref, de ne pas tout détruire. Nous nous engageons dans cette transition.

Transition, mais aussi succession dans cette PME familiale: comment les choses se présentent-elles à l’heure de souffler les cinquante premières bougies?

Alfred Sommer, son fondateur, est toujours actif dans l’entreprise. Il cède cependant petit à petit les rênes à ses enfants. Après avoir occupé de nombreux postes au sein du groupe durant vingt-cinq ans, son fils Mark a repris la direction du groupe en 2021. Sa fille Connie siège au Conseil d’administration depuis 2020. Récemment, Al Sommer nous a dit la chose suivante: «Del West compte aujourd’hui près de trois cents employées et employés qui travaillent dans trente corps de métier différents. Sans eux, leur dynamisme, leur créativité et leur envie, l’entreprise n’est pas grand-chose. Je leur en suis infiniment reconnaissant.»

Interview:

François Othenin-Girard

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