Publié le: 8 décembre 2023

Jobs étatiques bien trop attractifs

Christoph A. Schaltegger – Le professeur d’économie politique a comparé les salaires de l’État avec ceux de postes similaires dans le secteur privé. Conclusion: dans l’administration fédérale, les salaires sont en moyenne 11,6 % plus élevés. «Il faut s’en tenir au frein à l’endettement.»

Journal des arts et métiers: «D’ici 2030, il manquera plus de 130 000 spécialistes dans le secteur public.» pouvait-on lire il y a peu dans la «SonntagsZeitung». Les responsables RH critiquent l’État dans son rôle d’employeur, notamment en raison de modèles salariaux inflexibles. Que pensez-vous de cette déclaration?

Christoph A. Schaltegger: Examinons les faits: selon l’Office fédéral de la statistique, le taux de postes vacants est actuellement de 2,1 % dans les services et de 2,8 % dans l’industrie et la construction. Dans l’administration publique, le taux est de 1,8 %. La pression n’est pas particulièrement forte au sein de l’État.

Il ne faut pas non plus oublier que la pénurie générale de main-d’œuvre qualifiée résulte aussi de la croissance de l’État. L’État est un employeur attractif: il verse des salaires relativement avantageux et offre des conditions de travail très acceptables. Un peu de retenue dans les exigences envers l’État atténuerait davantage la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qu’une augmentation mutuelle des salaires.

Cet article questionne la notion de «service public», cela évoque un service noble, volontaire, presque sacrificiel, pour la collectivité. Comment interprétez-vous cette expression? Que faut-il entendre par «service public»?

Au-delà de toute la sémantique étatique, seules deux choses comptent au plan économique. À mon avis, l’État se charge aujourd’hui de tout. Il s’approprie des tâches et régule des choses qu’il aurait mieux fait de laisser au marché. Il suffit de penser à toutes les entreprises proches de l’État qui sont aujourd’hui actives bien en dehors de leur mission principale, des BKW (compagnie électrique) aux CFF en passant par la Poste et Postfinance. Deuxièmement, il utilise pour cela une main-d’œuvre qu’il soustrait au secteur privé. C’est précisément parce que nombre de ces employés sont bien formés qu’il s’agit d’une perte nette pour l’économie.

On exige aussi de meilleures conditions de travail dans la fonction publique. Diverses études ont montré que les salaires y sont systématiquement meilleurs que dans le secteur privé. Et de votre côté, que constatez-vous?

Que le revenu professionnel brut moyen pour un poste à temps plein entre 2018 et 2020 s’élevait à 88 896 francs dans le secteur privé. Dans l’administration fédérale, il est de 117 176 francs, soit 30 %de plus. C’est ce qu’indiquent les données de l’Office fédéral de la statistique.Il est désormais clair que la Confédération, mais aussi les cantons et les communes, ont besoin de nombreux spécialistes hautement qualifiés. Avec Frederik Blümel et Marco Portmann, j’ai donc comparé les salaires des collaborateurs de l’administration avec ceux de ce que l’on appelle les jumeaux statistiques de l’économie privée. Cela signifie que notre groupe de comparaison issu de l’économie privée présente le même mélange de formation, d’expérience professionnelle, d’âge et de sexe que les collaborateurs de l’administration. Par rapport au secteur privé, la prime salariale s’élève en moyenne à 11,6 % pour l’administration fédérale, à 4,3 % dans les administrations cantonales et à 3,4 % dans les administrations communales.

Qu’est-ce que cela implique si nous nous concentrons sur la Confédération?

La différence de salaire de 30 % mentionnée plus haut ne peut pas être expliquée par le fait que la Confédération emploie comparativement beaucoup d’universitaires hautement qualifiés. Des employés comparables gagnent plus à la Confédération. La prime salariale augmente jusqu’à 16 % pour les salaires les plus bas et s’élève encore à 5 % pour les hauts salaires de l’administration. La prime salariale augmente en outre avec l’âge et la durée d’engagement.

Une analyse des salaires laisse toujours de côté des aspects essentiels d’une relation d’emploi. Les données ne nous permettent pas de savoir si les employés fédéraux sont 11,6 % plus motivés et plus productifs que dans le secteur privé. Les avantages tels que la sécurité de l’emploi, l’ambiance de travail, le sens de l’activité, le stress au travail et les prestations sociales rendent les administrations attractives au-delà du salaire de base.

«si l’état est systématiquement plus attractif en matière de politique salariale, la compétitivité de l’économie en souffre.»

Quelles sont les conséquences de ce déséquilibre et quel est son impact sur les entreprises privées, en particulier les PME?

Les PME des secteurs concurrentiels, en particulier, ne peuvent augmenter les salaires que dans le cadre de leur croissance de productivité. Si l’État est systématiquement plus attractif dans ce domaine, cela devient un problème. La compétitivité en pâtit lorsqu’il n’est pas possible de recourir à des immigrés ou que la production y est délocalisée.

Selon vous, le nombre d’emplois étatiques et paraétatiques, calculés en équivalents temps plein, augmente de manière disproportionnée par rapport au secteur privé?

Lorsque nous parlons du secteur public, nous faisons référence à l’État, aux entreprises publiques ainsi qu’aux instituts de droit public. En 2019, le secteur privé employait 3,5 millions d’équivalents temps plein. La même année, on estimait à 700 000 le nombre d’équivalents temps plein dans le secteur public. J’insiste sur le terme «estimé». Il n’existe pas de statistiques fiables sur les entreprises proches de l’État, y compris les filiales des communes, des cantons et de la Confédération. Selon notre propre estimation conservatrice, l’emploi dans le secteur public s’élève à 16,9 %. Nous estimons que le taux de croissance de l’emploi dans le secteur public depuis 2011 est supérieur d’environ un quart à celui du secteur privé.

En quoi cette croissance excessive des emplois publics pose problème?

Premièrement, il s’agit de l’argent des contribuables, deuxièmement d’un marché du travail fonctionnel et équitable et troisièmement d’un marché de la formation qui ne devrait pas s’orienter de plus en plus vers des profils de formation étatiques.

La pénurie de spécialistes et de main-d’œuvre bat son plein. Comment les entreprises peuvent-elles lutter contre cette discrimination?

Pour moi, c’est surtout la classe politique qui est responsable de cette situation. L’État devrait être limité aux tâches qu’il assume et dans la manière dont il intervient sur le marché du travail. La prospérité est générée par l’économie privée. Un État qui garantit de bonnes conditions-cadres permet aux entreprises de générer plus facilement de la prospérité pour tous. En revanche, un État envahissant n’y contribue pas.

Depuis peu, nous avons un nouveau parlement. Que devrait faire la classe politique pour endiguer cette croissance de l’État et aborder le problème des salaires privilégiés?

Premièrement, il est important de s’en tenir au frein à l’endettement. Il ne faut pas l’affaiblir, car ce mécanisme limite les dépenses publiques à peu près à la croissance économique. Deuxièmement, je pense qu’il serait important d’introduire un référendum financier au niveau fédéral. Il limiterait l’appétit du Parlement pour les dépenses, car il devrait être justifié directement auprès des citoyens et des contribuables. Troisièmement, tout homme politique devrait se souvenir du juriste de droit public Montesquieu – en substance: «S’il n’est pas nécessaire de faire une loi, il est nécessaire de ne pas faire de loi.»

Par ailleurs, pourquoi manque-t-il partout des spécialistes ou de la main-d’œuvre malgré une immigration record?

Tout simplement parce qu’il s’agit d’un processus d’autorenforcement. Une personne immigrée crée une demande pour d’autres immigrés. Il n’y a pas que les médecins, les infirmiers, les chauffeurs de bus et autres qui viennent combler les lacunes du marché du travail, mais aussi les assistants, les patients et les passagers qui font plus que combler ces lacunes.

Vous avez contribué à déve-lopper le frein à l’endettement. Les politiciens rouges et verts veulent régulièrement l’assouplir, par exemple avec des dépenses «extraordinaires». Pourquoi est-ce une mauvaise idée?

Il faut bien voir que c’est au frein à l’endettement que nous devons notre situation de base plutôt saine en matière de politique financière. Sans ce frein, nous aurions aujourd’hui un taux d’endettement plus de deux fois supérieur au niveau fédéral. Pendant la pandémie, cela nous a donné la capacité de verser des aides de plusieurs milliards en très peu de temps.

Le frein à l’endettement incite à fixer des priorités en politique. C’est justement en période d’incertitude, où nous voyons la nécessité pour l’État de se recentrer sur ses tâches fondamentales comme la défense et la sécurité, que le frein à l’endettement peut rendre de bons services. Dans le cas contraire, on risque d’assister à une «politique de l’addition», c’est-à-dire à une inflation des exigences selon la devise: «Je veux toujours tout, et tout de suite!»

Interview: Rolf Hug

Trajectoire – Professeur ordinaire d’économie politique depuis 2010, le professeur Christoph A. Schaltegger enseigne à l’Université de Saint-Gall sur le thème des finances publiques. Jusqu’en 2008, il a travaillé comme conseiller du conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz au Département fédéral des finances.

Étude (en allemand seulement):

www.iwp.swiss/staatliche-und-staatsnahe-beschaeftigung-in-der-schweiz-neu-verwaltungsloehne-unter-der-lupe

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