Publié le: 2 février 2024

Au chevet du patient allemand

invité macro – Dans cette Allemagne de début 2024, les multiples grèves et chocs sociaux jettent une lumière crue sur un pays qui vacille après avoir trop longtemps opté pour la stratégie du cavalier seul.

La plus grave erreur économique de l’Allemagne de ces 20 dernières années. Célébrée à l’époque comme la victoire de la rigueur fiscale et budgétaire rompant avec l’insouciance reprochée à l’immense majorité des membres de l’Union, vivement exhortés à lui emboîter le pas. Inscrite dans le marbre de la Constitution. Aujourd’hui, les politiques allemands ne savent plus comment s’en débarrasser.

Le frein à l’endettement est devenu cette équation impossible à résoudre contraignant les dirigeants du pays à trouver toutes sortes d’artifices comptables ou de parades afin de le contourner. Bref, cet encadrement strict et non négociable des déficits publics est une très mauvaise nouvelle pour Olaf Scholz et son gouvernement. Et pour cause: comment diable pouvoir gérer dans la conjoncture actuelle un pays contraint de limiter son déficit structurel à 0,35% du P.I.B. fédéral, et imposant de surcroît l’équilibre budgétaire à ses 16 États?

Non content de cette orthodoxie intransigeante, Wolfgang Schäuble, Ministre des Finances de Merkel décédé il y a peu prenait un malin plaisir à martyriser celles que l’on qualifiait à l’époque de «nations européennes périphériques» comme l’Italie ou l’Espagne. Il imposa même le fameux «Schwarze Null», prohibant tout nouvel endettement public.

Au final, l’Allemagne risque de déstabiliser les finances de l’Union Européenne, et les siennes aussi, pour avoir traversé tout récemment une crise budgétaire à la longueur inédite. Ses responsables politiques sont d’ores et déjà démonétisés pour avoir vertement été remis sur le droit chemin de la rigueur par la plus haute cour constitutionnelle de la nation, qui a révélé une créativité déplacée du Gouvernement allemand dans ses montages spéciaux afin de colmater les trous. Cette ingéniosité de l’exécutif dans la création de fonds ou de véhicules spéciaux, ou pour tenter de déclarer des urgences qui n’en sont pas, dans l’objectif de contourner ce frein à l’endettement constitutionnel achève de décrédibiliser un Chancelier vacillant, érode considérablement le peu de confiance lui étant encore accordé ainsi qu’à son Gouvernement par un peuple allemand en pleins questionnements et doutes.

Crise de confiance des Ă©lites allemandes

Dans cette Allemagne de début 2024, les multiples grèves toutes récentes et celles immanquablement à venir sont loin d’être anodines. Le coup de grâce des augmentations d’impôts pourrait bien être assené au peuple allemand par ses dirigeants acculés par ce frein à l’endettement qui paralyse et fige tout sur son passage: soutien à l’Ukraine, aides sociales, remise en état des infrastructures…

Le coup de grâce des augmentations d’impôts pourrait bien être assené au peuple allemand

Bref, la crise de confiance envers les élites allemandes se révèle désormais d’une acuité sans précédent, tant et si bien que l’ancien ministre des finances à la longue carrière politique, Peer Steinbrück, qui en fut l’un des ardents défenseurs, a reconnu que le frein à l’endettement n’est plus dans l’air du temps.

Cette limite à l’endettement en Allemagne fait fi de la dimension globale, affaiblit considérablement et sa propre économie et la puissance de projection européenne. Comment l’Allemagne serait-elle en mesure de révolutionner son modèle mercantiliste à l’exportation si ses pouvoirs publics ne sont même pas capables de subventionner ses entreprises – actuelles et futures – actives dans les dernières technologies, comme n’hésitent évidemment pas à le faire très généreusement les États-Unis et la Chine. Une nouvelle fois, l’entêtement et la stratégie du cavalier seul pratiquée par l’Allemagne sapent les ambitions européennes.

Michel Santi,

Gestion Suisse

(*) Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que l’auteur.

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