Publié le: 2 février 2024

De l’avantage d’être un bon élève

banque bonhôte – Cet établissement neuchâtelois de taille moyenne fondé en 1815 a connu un management buy-out en 1992. Il a étendu son activité internationale, tout en cultivant la proximité de Genève et Lausanne à Zurich en s’activant aussi à Bienne, Soleure et Berne. Interview de Yves de Montmollin, directeur général, sur la Finma, la BNS, l’OCDE et le Parlement.

JAM: En vingt ans, comment avez-vous réussi à développer la Banque Bonhôte au cours d’années mouvementées caractérisées par des très-hauts et des très-bas (2004-2024)?

Yves de Montmollin: Quand j’ai rejoint la Banque Bonhôte & Cie SA en 2004, notre établissement se situait à une étape charnière de son développement. Créée en 1815, elle avait fait l’objet en 1992 d’un management buy-out par Jean Berthoud – qui en est l’actuel président. La banque s’était patiemment développée sur son marché domestique, client après client et ne disposait alors que d’une vingtaine de collaborateurs. Par comparaison, notre masse sous gestion totale dépasse les 5 milliards et plus de cent collaborateurs travaillent à nos côtés.

Avec l’acquisition à Zurich en 2002 de Private Clients Partners – un «family office» doté d’un statut de banque qui administrait des trusts pour une clientèle dotée de larges patrimoines (UHNWI) – l’idée était d’augmenter notre activité sur ce segment. Notre clientèle internationale s’élève aujourd’hui à environ un quart de notre activité. Nos clients ont des liens avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et, de manière moins marquée, la France.

Nous avons aussi développé notre activité dans l’immobilier dès 2006 avec la création du fonds Bonhôte-Immobilier SICAV, puis en saisissant une occasion qui se présentait, de reprendre un fonds immobilier qui se trouvaient dans la nécessité, suite à la crise économique de 2008, de faire face à de nombreuses exigences de remboursements. Notre portefeuille dans l’immobilier s’élève actuellement à 1,3 milliard de francs.

L’épisode américain et les amendes que vous avez payées appartiennent-ils au passé?

Tout cela est loin derrière nous. Ce type d’événement est le lot de toute entreprise qui doit affronter les vents du large. J’ajoute que nous n’avons pas recherché activement des clients aux États-Unis. Il s’agissait de personnes installées en Suisse et qui avaient des liens divers avec leur pays, actionnaires, double-nationaux, expatriés. Cette affaire aura au final coûté beaucoup d’argent à la place financière suisse. Je précise que nous sommes l’un des établissements qui a le moins payé. Durant toutes ces années, nous sommes restés rentables avec une croissance annuelle moyenne de 7 % entre les années 2004 et 2023.

Quand vous scrutez les prévisions macro, que voyez-vous pour ces prochains semestre?

Nous sommes en ligne avec le consensus des analystes souvent cités. Nous estimons que les taux d’intérêts seront plutôt orientés à la baisse en 2024 et 2025, sans toutefois revenir à un taux zéro. Cette baisse des taux devrait soutenir les marchés, maintenant que l’inflation a déjà bien diminué. Cela étant, tout le monde n’en voit pas encore les effets positifs sur le pouvoir d’achat – en raison d’effets multiplicateurs, comme dans le domaine des assurances-maladie. Au cours des prochains semestres, nous aurons peut-être aussi des surprises, comme à Taïwan, ou en Ukraine. Et nous verrons quel sera l’impact réel des chocs sociaux auxquels nous assistons en ce moment, en France et en Allemagne.

Vous avez déclaré que Bonhôte était le médecin généraliste des PME. De quoi les PME sont-elles malades ces temps et que proposez-vous pour redynamiser les tissus économiques régionaux mis à mal par les crises et la pandémie?

Le tissu économique est vivace et les PME se portent très bien en faisant même parfois preuve d’un dynamisme étonnant. Je ne pense vraiment pas qu’on puisse dire qu’elles soient malades. Nous vivons dans un monde auquel il faut s’adapter en y consacrant une certaine dose d’énergie. Il y a des guerres, la concurrence venue d’Asie qui évolue, elle aussi, le ralentissement du trafic mondial ces derniers temps.

En utilisant cette expression, j’ai tout simplement voulu exprimer l’idée que notre but est d’être l’interlocuteur de confiance adapté à toutes les phases, le médecin généraliste de proximité auquel on s’adresse pour définir par exemple une approche patrimoniale, optimiser la charge fiscale, planifier une succession, concrétiser une remise.

Vous avez ouvert des succursales à Zurich, Genève, Bienne, Soleure et Berne. Entendez-vous poursuivre votre développement outre-Sarine et avec quels objectifs?

Nous voulons renforcer notre présence entre Genève et Zurich, le long du Jura, en cultivant des relations de proximité, en approfondissant en quelque sorte notre empreinte. J’ai déjà mentionné notre filiale à Zurich. Une succursale avait été ouverte à Bienne en 2002, où il n’y avait pas vraiment de banque privée, mais où nous avons trouvé une clientèle d’entrepreneurs ayant développé d’importants patrimoines. Nous avons pu recruter des gens formidables qui ont su anticiper de nombreux développements et se sont montrés dévoués au développement de la banque. Pour trouver des vecteurs de croissance, nous sommes sortis de notre bassin naturel. Au creux du marché, nous avons ouvert une succursale à Genève en 2009. Le timing était audacieux et le positionnement aussi, avec un ratio entre clients suisses (70 %) et étrangers qui correspondait à ce que nous avions déjà. Nous ne prévoyons pas pour l’instant d’en ouvrir de nouvelles, car nous tenons à maintenir une croissance contrôlée, pérenne, l’essence même d’une banque privée. La dispersion a un coût.

Le «régime des petites banques» de la Finma a-t-il fait ses preuves?

Les grands établissements présentent des risques élevés et les tableaux de bord élaborés pour suivre les risques sont très, voire trop complexes. Mais une banque comme la nôtre, bien capitalisée et disposant de liquidités importantes prend des risques très mesurés. La Finma nous a écoutés, elle nous a entendus dans une certaine mesure – même si tout n’est pas parfait, à l’instar du ratio utilisé pour suivre notre activité: on aurait pu aller plus loin dans le soutien au tissu bancaire suisse. Comme souvent en Suisse, quand il s’agit de trouver un consensus et une fois qu’on a arrondi tous les angles, on se retrouve avec un cercle au lieu d’un carré.

Comment, de votre point de vue, la BNS traite-t-elle les banques moyennes? Que pensez-vous de la perte d’un milliard enregistrée l’an dernier?

La BNS se préoccupe assez peu de nous, mais surtout de stabilité des prix et encore de stabilité des prix, ce qui est sa mission au fond. Au sujet de ces pertes, je dirais que comme tout le monde, elle a cherché à investir d’abondantes liquidités dues aux interventions contre le franc fort face à la faiblesse de l’euro. Tout le problème part de là. Il faut aussi souligner le bon travail de notre banque nationale durant toutes ces années difficiles.

Vous sentez-vous représenté au Parlement fédéral, et cantonal?

Depuis les chocs enregistrés par les grandes banques dès 2008, nous observons une certaine défiance de la part de la population face aux banques, défiance qui trouve ensuite des relais au Parlement. Nos parlementaires devraient garder à l’esprit le rôle que jouent les banques suisses dans la prospérité du pays. Le fait que des gens du monde entier déposent leur patrimoine en Suisse nous a permis de nous développer – c’est quelque chose qui devrait être soigné au Parlement et dans les commissions. Dans les cantons, nous avons des situations asymétriques au plan de la concurrence, avec des banques cantonales qui disposent de garanties d’État officielles et officieuses: à Neuchâtel, l’État est actionnaire de la BCN et celle-ci ne paie pas d’impôts.

Que dire de la stratégie suisse consistant à adopter toutes les normes de l’OCDE et à être simultanément l’une des premières à les mettre en œuvre et à les interpréter au sens le plus strict?

Je répondrais à contre-courant: au cours des années 1990, la place financière suisse a mis en œuvre une législation antiblanchiment des plus sévères. Nous avons été parmi les premiers à le faire, envers et contre tous. Nous avons appris à poser à nos clients des questions parfois désagréables sur la provenance de leurs fonds. De sorte que lorsque la législation internationale a intégré cette exigence, nous avions un avantage comparatif. Parfois, c’est une bonne chose d’être un bon élève!

Investissement ESG, droits humains, green investing, etc. Quelle est votre ligne? Est-ce une mode et faut-il la suivre?

Là encore, nous voulons aller dans le bon sens. Cela fait dix ans cette année que nous nous sommes lancés avec une approche d’investisseur responsable. Nous étions un peu en avance et les choses n’ont pas démarré aussi vite que nous le pensions. Nous devrions atteindre la neutralité carbone en 2030. Les clients qui nous suivent avec cette approche sont de plus en plus nombreux. C’est un long chemin et nous en sommes conscients. Nous n’entrons pas en matière quand on nous demande une couche de vernis vert plus mince. Pas de greenwashing chez nous.

Imaginez que vous rencontriez David de Pury (1943-2000) – figure industrielle, puis négociateur pour la Suisse, auteur d’un «Livre blanc de l’économie» dont la plupart des propositions ont été reprises. Que lui diriez-vous sur la place de la Suisse dans le monde et sur l’état de son économie?

Que la Suisse a besoin d’un monde aussi ouvert que possible pour se développer. Mais qu’aujourd’hui, tout semble nous entraîner dans une autre direction, avec des frontières qui ont plutôt tendance à se refermer. Et finalement, qu’il a eu raison: la globalisation a aussi eu des effets positifs pour la Suisse et sur le plan global. François Othenin-Girard

Les plus consultés