Publié le: 2 février 2024

L’Afghanistan vu de Chine

relations internationales – Au-delà des objectifs évidents comme le corridor économique Chine–Pakistan étendu à l’Afghanistan en 2023, la sécuriét contre le terrorisme, une analyse en termes de «public choice» met en lumière d’autres raisons prévalant à ces affinités électives.

Des diplomates chinois rencontrent leurs homologues afghans. Depuis la mise en place d’un gouvernement taliban à Kaboul, les visites des émissaires de Pékin sont quasi hebdomadaires. Les analystes de l’Est et de l’Ouest ont donné plusieurs explications à ce qu’ils appellent la «coopération». Mais cela n’explique rien.

Par «coopération», on entend ici l’action ou le processus qui consiste à travailler ensemble et dans un même but. Or, il est fort douteux que les communistes et les Talibans partagent la même finalité. Mais il est indéniable que plusieurs réunions ont eu lieu entre la Chine et l’Afghanistan au cours des derniers mois. La Chine a investi en Afghanistan et intégré le pays dans ses projets internationaux. Qu’est-ce que tout cela signifie?

Le point de vue national

Les dirigeants actuels du Parti communiste et de l’État chinois mettent l’accent sur l’ordre et la sécurité. Du point de vue de Pékin, l’Afghanistan est principalement une question de sécurité. Depuis l’arrivée au pouvoir des talibans, la partie nord-est du pays se déstabilise rapidement. Selon certaines sources, des groupes terroristes tels que le mouvement islamique ouïghour du Turkestan oriental (ETIM) se servent de l’Afghanistan comme d’une plateforme. La Chine craint que des activités terroristes et séparatistes soient organisées à partir de ce pays gouverné par les talibans.

C’est pourquoi l’engagement de Pékin auprès de Kaboul se concentre sur ce maintien de l’ordre et de la sécurité. Cet engagement ne doit pas être considéré comme un signe de coopération ou d’amitié. Pour la Chine, la présence d’un gouvernement à Kaboul contrôlant l’ensemble du pays, en particulier la frontière commune, et désireux d’éliminer les groupes terroristes, est purement instrumentale. Naturellement, la Chine souhaite aussi que ses investissements et ses citoyens en Afghanistan soient protégés, mais il s’agit là d’une moindre préoccupation.

La Chine suppose qu’un «taliban fort», même si elle le désapprouve, est le meilleur moyen de s’assurer que d’autres groupes plus extrémistes et surtout anti-chinois cessent d’exister. De plus, la Chine veut un interlocuteur qui puisse rétablir l’ordre et, le cas échéant, prendre ses responsabilités en cas de problèmes.

Une vision «internationale»

Il a été affirmé, en particulier par les médias occidentaux, que la Chine était prête à investir en Afghanistan. Les principales raisons sont la situation stratégique de Kaboul et la richesse en ressources naturelles du pays. Certains envoyés de Pékin en ont d’ailleurs parlé. Depuis 2023, quelques millions de dollars américains d’investissements chinois sont entrés en Afghanistan. Enfin, il est bien connu que le pays possède du lithium, du cuivre et des terres rares.

Il n’y a guère de doute: la Chine veut projeter son pouvoir sur l’Asie centrale. Tout d’abord, cette région est au cœur de l’initiative «Nouvelle route de la soie». Deuxièmement, en tant que puissance mondiale, la Chine a besoin de se positionner, ne serait-ce que pour étayer sa version de la doctrine Monroe: laisser l’Asie aux Asiatiques. Troisièmement, au plan régional, la Chine veut tenir à l’écart les puissances concurrentes, en particulier l’Inde, et accessoirement la Russie, qui ont toutes deux une certaine influence sur l’Afghanistan.

En mai 2023, les deux pays participants ont convenu d’étendre le corridor économique Chine–Pakistan (CPEC) à l’Afghanistan. Ce corridor constitue un modèle de coopération civile et militaire visant à améliorer la connectivité des participants.

Limites de la perspective internationaliste

Cependant, tout bien considéré, expliquer les activités de la Chine en Afghanistan en termes de projection de puissance internationale semble tiré par les cheveux. S’il est vrai que le CPEC a été étendu à l’Afghanistan, les Chinois ont aussi indiqué très clairement que la lutte contre le terrorisme était leur seule priorité au cours des premières années de collaboration. De plus, des sources asiatiques rapportent que la Chine apprécie le potentiel du CPEC, mais considère qu’il s’agit déjà d’une entreprise risquée. Il est à l’origine d’une dette publique exorbitante du Pakistan, or la Chine ne sait pas si elle pourra en tirer profit. De plus, le CPEC attire la colère des groupes extrémistes, ce qui peut devenir un problème de sécurité. À propos des terres rares, la Chine dispose elle-même de ces matières premières, mieux intégrées dans la chaîne d’approvisionnement, leur extraction est moins coûteuse et ils sont placés sous les auspices de l’État chinois. Aucun de ces facteurs ne s’applique à l’Afghanistan. Au contraire, les revenus du pays sont traditionnellement constitués à 80 % d’aide étrangère. Il est mal préparé à commercer au niveau international. Les talibans attendent de la Chine de l’aide, pas nécessairement du commerce.

Au niveau régional, il est vrai que l’Inde et la Russie exercent une certaine influence sur l’Afghanistan. Mais la politique d’affirmation de l’Inde est une source de doute pour les talibans. La Chine n’a pas besoin de trop investir pour contrer son voisin du sud. Inversement, Moscou est plus qu’heureux de coordonner la question de l’Afghanistan avec Pékin parce qu’il la voit aussi principalement sous l’angle de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.

Perspective «public choice»

L’approche dite du «public choice» explique le processus d’allocation et de distribution des biens publics, y compris les politiques et la diplomatie. La théorie des choix publics affirme que des mécanismes fondamentalement individualistes sont à l’œuvre dans les processus officiels. Les individus maximisent leur intérêt personnel et utilisent les institutions publiques pour ce faire. C’est la rationalité et la logique de l’individu qui expliquent les actions institutionnelles.

Appliquer cette théorie à la Chine signifie considérer les activités du Parti communiste et de l’État chinois comme une extension des intérêts personnels de leurs dirigeants. Xi Jinping, le président chinois, est à la recherche d’un héritage. La solidité du pouvoir du Parti dans le maintien de l’ordre et de la sécurité en «Grande Chine» est au cœur de cet héritage. Les dirigeants cherchent à établir l’ordre et la sécurité pour gagner du pouvoir politique, y compris pour tenter d’obtenir les faveurs de Xi et une éventuelle succession.

Ayant lié leur personnalité publique à l’ordre et à la sécurité, les choix publics suggèrent que les dirigeants chinois sont plus préoccupés par les facteurs internes à la Chine expliqués ci-dessus que par la projection d’une puissance internationale en Afghanistan. Par ailleurs, compte tenu de l’état actuel de l’économie chinoise, depuis 2023, le président Xi a minimisé l’importance de l’initiative «Nouvelle route de la soie». Il semble qu’il ne veuille pas déterminer son héritage par ce truchement. Pour son profit personnel, l’ordre et la sécurité comptent davantage. À l’inverse, un accord de sécurité avec l’Afghanistan l’emporte sur les intérêts économiques.

Le cocktail réalisé avec une situation politique instable, un potentiel de terreur et des investissements extrêmement risqués n’est pas du goût des dirigeants chinois qui souhaitent coopérer avec les talibans. Pour les membres du Politburo du Parti et les institutions de l’État, une implication qui privilégie la solidité de la situation en matière de sécurité est le plus payant. Il est peu probable que la Chine commence à projeter sa puissance avant que les talibans ne s’imposent comme des monopoles fiables en Afghanistan.

Qu’est-ce que tout cela veut dire? Oui, la Chine discute avec les talibans – pour sauver la mise aux fonctionnaires chinois qui se préoccupent de leur avenir. Il n’y a ni coopération ni alliance.

Henrique Schneider

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