Publié le: 2 février 2024

Renaissance du coucou en mode fun

Swiss koo – Martino D’Esposito et Alexandre Gaillard, deux amis d’enfance devenus depuis enseignants dans la fameuse Ecal à Renens. Ils réinventent de manière créative et depuis dix ans déjà la construction 100 % locale de coucous. À eux deux, ils ont donné des ailes à environ 15 000 volatiles horlogers.

Inutile d’essayer un jeu de mots sur les coucous: en dix ans, ils les ont déjà tous entendus. On veut parler des coucous suisses, enfin plutôt allemands. Bref, ces horloges dotées de poids qui sont fixées au mur et d’où sort à intervalles réguliers une figurine d’oiseau dont le cri (deux notes, l’une majeure, l’autre mineure) rappelle celui du coucou (des forêts et des champs).

Martino D’Esposito et Alexandre Gaillard, à l’image de ce charmant volatile, ont depuis dix ans déposé leurs œufs dans ce qu’ils appellent une niche dans la niche. Les acteurs étant rares dans cette branche (on cite souvent les pendules de Loetscher), une place était à prendre. Et c’est chose faite. Les médias régionaux («24 heures») ont tout de suite réagi en racontant (sur deux pages) l’histoire de ces jeunes gens branchés qui produisaient entièrement et localement un objet aussi décalé.

Ces deux amis d’enfance – ils se sont rencontrés à 10 ans et ont construit ensemble leurs premières cabanes en bois dans les arbres –, Martino et Alexandre, enseignent tous les deux à la prestigieuse Ecal de Renens, cette École cantonale d’art de Lausanne qui, tout le monde en a entendu parler, truste année après année les toutes premières places dans les classements des meilleurs écoles de design industriel au monde. Mais comme on le verra, les coucous cultivent la discrétion et les jardins secrets. Avec ce pédigrée, c’est dire s’ils étaient peu prédestinés à fabriquer en artisans-artistes (de A à Z) ces coucous, qu’ils dessinent, assemblent entièrement (sauf les mouvements, les poids et le sifflet (appelé soufflet) à Renens, où se trouvent atelier et magasin.

Audace et réappropriation

Encore faut-il les voir, ces oiseaux (www.swisskoo.ch). Et c’est là qu’on est soufflé. Par la vaste gamme de couleurs qui transforme la maisonnette un peu ringarde en un objet vraiment présent et visible. Par le rouge drapeau suisse, bien sûr, mais la palette comprend aussi le violet et le rose, le jaune et l’orange, des verts et des bleus, le blanc, le noir. Par la finesse des détails, des décors. Par l’audace de la réappropriation de cet objet. L’un de ces coucous montre un paysage urbain multicolore de Lausanne. Un autre fait figure de tonneau pour carnotzet. On voit des têtes de vache, des balanciers personnalisés. Des complications horlogères finement ciselées dans un délicat bois de bouleau. Une microscopique canne à pêche. Les yeux des visiteurs se perdent en contemplant le mur des coucous.

JAM: Comment toute cette aventure a-t-elle commencé?

Martino D’Esposito: Nous nous connaissions depuis l’enfance et n’avons jamais arrêté de construire des choses ensemble. L’Ecal et le design industriel nous avaient appris à nous organiser et nous cherchions quelque chose d’intéressant à faire. Le bureau de design que nous avions ouvert nous permettait de créer des meubles, des montres et des machines à café. C’était intéressant, mais nous avions quand même un peu l’impression d’être la cinquième roue du char. Nous avons donc testé toutes sortes de produits, des lampes gonflables par exemple. Nous avons même conçu et produit une fraiseuse CNC parce que la demande était là, tous nos amis qui faisaient du design industriel avaient besoin d’un tel outil. Mais ce fut laborieux, lourd, industriel. Quelques fraiseuses ont été produites mais nous avons aussi eu mal aux mains. Bref, tout à coup, le coucou s’est imposé de lui-même. Il est descendu du ciel. Nous avions un coucou de famille abîmé. En le réparant, on a vu que c’était finalement assez simple.

Comment êtes-vous organisés?

Notre SA doit être la plus petite de Suisse et les gens sont étonnés d’apprendre que nous ne sommes que deux. Alexandre est spécialisé dans la mécanique de précision et moi dans la décoration et le design. Nous achetons les mouvements et cela se fait sans problème car nous sommes en contact depuis des années. Quand nous lançons de nouveaux modèles, on en parle, il y a des dessins, des croquis, pas forcément très précis. Nous dessinons ensemble les modèles. Alexandre s’occupe de l’administration, de la partie gestion, du site. Pour ma part, je m’occupe de la production, de la découpe des bois avec la machine laser et de la préparation des pièces, comme la teinture et la peinture des décors. Et puis, nous faisons toujours le montage ensemble.

Comment avez-vous osé lancer un produit aussi atypique?

Au début, nous n’y croyions pas et nos proches non plus. Mais le coucou s’est imposé de lui-même. Il y a eu cet article dans «24 heures» et nous avons tout vendu, en réinvestissant dans l’entreprise, sans jamais emprunter – nous ne voulions pas de ces cauchemars, du stress total et des 40 employés à occuper. On a ensuite pu acheter une machine laser. Au final, nous sommes restés petits et c’est ce qui nous a sauvés plusieurs fois. Quand les réactions sont positives, on se prend au jeu. Et finalement, le plus important, c’est que nous travaillons à notre rythme, sans compter nos heures, nous faisons ce qui nous plaît le plus. Si nous avions été des HEC hardcore, on aurait pensé à faire du fric, à agrandir, à revendre. Mais nous n’avons jamais été stressés pour notre avenir. Comme nous enseignons à l’Ecal, nos salaires sont assurés. On veut rester fidèles à ce qu’on aime faire. Je sais que ça fait un peu pitch, mais on ne doit rien à personne et cela doit se ressentir dans notre travail, cette simplicité, presque un peu de naïveté. Ces coucous, c’est notre monde très personnel, à mi-chemin entre artisan et artiste.

Faire des coucous aussi novateurs, cela doit susciter des réactions très diverses?

C’est vrai que c’est assez fédérateur et comme nous sommes organisés pour pouvoir les personnaliser très rapidement, pas mal de gens passent nous voir et chacun a sa petite idée. Nous sommes ouverts à tous les projets, les cadeaux d’entreprise, les envies de particuliers, mais en même temps, à vouloir développer des objets différents, on peut assez vite se perdre et se disperser. Il y a aussi des questions de faisabilité, on aime travailler avec le bois, l’électronique nous rebute un peu. Si nous voulions travailler le titane, il nous faudrait une immense machine et nous ne voulons pas mettre autant d’argent là-dedans. Les journées ont tant d’heures et nous avons une entreprise à faire tourner.

Quels sont vos canaux de vente?

La vente s’effectue dans les grands magasins, des boutiques, les stations touristiques, le site en ligne et notre atelier-boutique à Renens. Nos clients sont des touristes, asiatiques, américains, anglais, mais aussi des gens de la région. Certains nous demandent un coucou avec la forme de leur chalet; une fois, l’un d’eux a demandé une réplique de sa grande maison en Inde. Cela dit, les enfants émerveillés sont nos meilleurs ambassadeurs et peut-être, le moyen de toucher les générations suivantes!

François Othenin-Girard

Alexandre Gaillard et Martino D’Esposito. Avant les coucous, ils ont construit des cabanes. Maintenant, ils enseignent aussi à l’Ecal.

Photo: Stéphanie Liphardt

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