Publié le: 30 août 2024

Allemagne: la grande secouée

Conjoncture – Sur fond de ralentissement alarmant, prise de température dans les secteurs de l’outillage (Marc Schuler, Dixi Polytool SA), du décolletage (Pascal Rickli, Rickli Micromécanique SA) et du placement de personnel (Daniel Wüthrich, OK Jobs). Le ralentissement de l’horlogerie taraude les esprits.

En suivant les frémissements du marché de l’emploi, nous étions fin juillet dernier à l’écoute d’un revirement conjoncturel en prenant le pouls des régions exportatrices et soumises, plus vite que d’autres, aux aléas de la conjoncture internationale (Neuchâtel, + 0,3 % de demandeurs d’emplois en juillet).

Fin août, il faut reconnaître que ces indicateurs avancés avaient quelque chose à annoncer. Les premiers à signaler un recul massif ont été les PME actives dans certaines branches en amont du cycle, le décolletage et la microtechnique. Les entreprises produisant des outils ne sont pas en reste. Et ce qu’elles observent autour d’elles n’est de loin pas réjouissant.

Pas d’espoir d’une reprise rapide

«Pour prendre un point de vue macro, ce n’est pas bon. Et j’ajoute qu’en ce qui concerne l’Allemagne, c’est véritablement mauvais», estime Marc Schuler, managing director de Dixi Polytool SA au Locle. «Nous sommes en dessous de nos objectifs fixés à fin 2023, mais nous surnageons en réalisant un chiffre d’affaires en ligne avec 2023 – une année record.» Selon lui, plusieurs facteurs péjorent sérieusement le secteur de la mécanique à vocation exportatrice en l’état actuel. À commencer par la santé de nos voisins d’outre-Rhin.

sous-traitance: «ceux qui vont très bien ont pris le temps de verticaliser, ils se sont organisés pour faire une partie de prémontage.»marc Schuler

«Le plus gros marché pour l’industrie MEM est de loin l’Allemagne, un marché en grande difficulté, analyse-t-il. Cet été, bon nombre d’entreprises ont fermé jusqu’à deux mois pour des vacances et du chômage partiel. Le marché chinois marche à grand peine et le russe est tombé à quasi zéro depuis deux ans suite aux sanctions. Les grosses incertitudes géopolitiques ne laissent guère entrevoir une reprise rapide.»

Autre sujet de fortes préoccupations pour toute la branche: le marché de l’automobile connaît actuellement une restructuration complète. «Je pense que la transition vers les véhicules électriques est un échec, même si divers acteurs majeurs ont ajusté leur appareil de production à coup de milliards d’investissements. On aurait mieux fait d’attendre dix ans et de gérer une seule transition vers les véhicules à hydrogène, qui seront de toute façon largement plus écologiques.»

En attendant, c’est en Asie que le soleil se lève sur les nouvelles voitures électriques. Marc Schuler était récemment en Chine et il a eu l’occasion de voir de près des véhicules comme ceux de DYB. «Rappelons qu’avec ses trois millions de véhicules produits, ce fabricant est aujourd’hui le premier au monde, contre quelques centaines de milliers d’unités d’un Tesla par exemple. Ce sont d’ailleurs des véhicules qui ont un vrai potentiel en Europe au vu de leur design assez similaire à nos marques européennes.» Et ici en Suisse, qu’observe-t-on chez les sous-traitants, en particulier dans le décolletage? «Ce marché piétine depuis le début de l’année après avoir été sureuphorique durant les années 2021 à 2023, avec des taux de croissance anormalement élevés», analyse-t-il.

«les temporaires sont moins demandés: les entreprises se débrouillent avec les moyens du bord.»Daniel Wüthrich

«Pour beaucoup d’entreprises, cela s’est traduit par une phase de surinvestissement dans l’appareil de production. Certaines ont doublé le nombre de machines. Or, quand les choses stagnent ou vont moins bien, l’effet de levier est important.»

Horlogerie: douze mois difficiles

Du côté de l’horlogerie? «C’est assez clair que les douze prochains mois seront difficiles à vivre et que nous allons tous le sentir passer dans l’Arc jurassien. Comme chaque fois, les grands ont les reins solides et c’est le milieu de gamme qui risque de souffrir, ce d’autant que le virage de la montre connectée n’a été pris que partiellement. L’Apple watch se vend par exemple autour des 40 millions d’exemplaires soit plus du double de toute l’industrie suisse.»

Dans la sous-traitance, le secteur du médical, soutenu par l’évolution démographique et l’allongement de l’espérance de vie, poursuit sa croissance. Quant au marché du dentaire, il est par contre plus soumis aux aléas de la conjoncture. «Les cycles médicaux et dentaires sont différents: le dentaire est beaucoup plus sensible aux changements de conjoncture. En revanche, le secteur médical (ortho / trauma) connaît une croissance constante.»

Comment s’en sortir dans la sous-traitance? «Ceux qui vont très bien aujourd’hui ont pris le temps de verticaliser, ils se sont organisés pour faire une partie de prémontage, travaillent dans des niches à valeur ajoutée, ont investi et sont passés par des projets d’amélioration comme par exemple le Lean.»

Et au Locle, comment Marc Schuler voit-il les choses chez Dixi Polytool? «Nous sommes confiants. Fin juillet, nous étions légèrement en dessus de 2023, sachant qu’il s’agissait historiquement de notre meilleures année. Un tassement d’ici la fin de l’année est probable.»

Le problème récurrent, en revanche, c’est la faiblesse de l’euro. «Avant que les bourses ne dévissent en août, le cours était entre 0,97 et 0,98. Maintenant il est tombé à 0,94. C’est 3,5 % de marge en moins pour nous tous – ça fait mal à l’Ebit et ce n’est pas le genre de ‹coûts› que nous pouvons répercuter. À moyen terme, nous sommes aussi inquiets en cas de nouvel enlisement du dossier européen.»

Le bruit de fond des machines industrielles reste familier chez Rickli Micromécanique SA. «Je constate un ralentissement depuis le début de l’année dans la plupart des secteurs. Mais comme le monde continue de s’enrichir, entre autres par l’extractions de minerais, il n’y a pas de quoi trop s’affoler, relève Pascal Rickli, directeur de cette PME basée à Vauffelin dans le Jura bernois. Cependant, nous traversons ce que l’on peut appeler une minirécession, caractérisée par deux trimestres consécutifs négatifs – notamment en Europe et aux USA. Nous produisons des composants de dispositifs médicaux de classe III, tels que valves encéphaliques, pacemakers, système d’ablation de cellules cancéreuses, etc…»

Et qu’observe-t-il dans le monde de l’horlogerie? «La fabrication en sous-traitance de composants horlogers est actuellement en nette diminution de commandes au vu du ralentissement des ventes et des stocks importants des marques horlogères, ajoute-t-il, tandis que le secteur haut de gamme est toujours lucratif, le milieu de gamme s’avère plus impacté, bien que le Swiss-made restera une valeur indétrônable du poignet de la population mondiale, et cela malgré l’essor constant de la montre connectée produite ou assemblée en Asie.» Selon lui, il faudra patienter une bonne année avant que tout reparte sur les chapeaux de roue!

Quid de la pénurie de main-d’œuvre qui a marqué ces dernières années le microcosme? Selon nos infos, certaines agences de placement recommencent de contacter les entreprises pour leur proposer des candidats. Toutefois, un haut niveau de qualification reste une préoccupation majeure côté employeur: «Les bons éléments sont précieux et pérennes et par conséquent bien traités. Ils bénéficient de salaires confortables et mérités», observe Pascal Rickli. Remplacer ou engager par exemple un micromécanicien comporte un coût d’adaptation et de formation estimé à un salaire annuel, tant les exigences de qualités et réglementaires actuelles sont importantes!»

«La fabrication en sous-traitance de composants horlogers est actuellement en nette diminution de commandes.» Pascal Rickli

Et le chômage technique? De nombreuses entreprises de l’Arc jurassien y songent et certaines ont déjà pris des mesures: certains temporaires ou extras ne sont pas réengagés, des postes qui se libèrent ne sont plus repourvus. C’est ce que confirme Daniel Wüthrich, directeur de la filiale biennoise d’OK Job.

«Selon ce que je peux observer, les entreprises horlogères ne devraient redémarrer qu’à partir de la fin du 1er ou du 2e trimestre. Les achats de matières premières à l’étranger sont devenus plus difficiles, le chômage technique est présent et de nombreux temporaires ont été mis sur standby. En matière d’engagement de personnel, les décideurs jouent la retenue et tout le monde est assez passif et ne souhaite pas prendre de risques: on y réfléchit plutôt à trois fois avant d’engager quelqu’un. Les temporaires sont moins demandés et les entreprises se débrouillent avec les moyens du bord. De l’autre côté du spectre, les profils hautement spécialisés n’arrivent pas sur le marché du travail.»

Bref, les espoirs d’une relance n’ont plus qu’à se reporter sur 2025. Et c’est un scénario assez optimiste.

François Othenin-Girard

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