Publié le: 30 août 2024

Et voici la réplique d’un Romand!

OUTRE-SARINE – Il y a peu, Cenni Najy, responsable politique mobilité, énergie et environnement au Centre Patronal a riposté dans la NZZ face à une attaque menée contre une Suisse romande étatiste et par trop dépensière. Selon lui, ces piques s’expliquent par l’appréhension et la frustration du côté alémanique – face à l’érosion des politiques libérales.

Cenni Najy est responsable politique, mobilité, énergie et environnement au Centre Patronal et docteur en sciences politiques. Mi-juillet, le voilà qui sursaute en lisant un article dans la vénérable NZZ: «La Suisse romande doit faire attention à ne pas rompre la solidarité de la Suisse alémanique» («Die Romandie muss aufpassen, die Solidarität der Deutschschweiz nicht zu strapazieren»). Il s’agit de l’un des derniers articles rédigés par Antonio Fumagalli en tant que correspondant de la NZZ en Suisse romande. À la lecture, on dirait qu’il cherche à déclencher une nouvelle polémique et de vifs échanges à travers la barrière des rösti. On se souvient de la petite (en Suisse alémanique, cela n’avait suscité que quelques sourires condescendants) guérilla menée par la «Weltwoche» qui traitait en une les Romands de «Grecs de Suisse» avec une photo d’un individu posant les pieds sur son bureau, levant son verre aux belles choses de la vie, sans oublier le soutien-gorge coincé entre deux classeurs fédéraux.

Ni une, ni deux, Cenni Najy demande un droit de réponse au quotidien zurichois. Et il obtient une «Replik» à la rubrique «Meinung & Debatte». Avec moins de signes que le volumineux texte du correspondant de la NZZ. Et un grand défi explicatif (lire le texte ci-contre).

JAM: Pourquoi ce sujet est-il si compliqué?

Cenni Najy: Le débat est miné par des questions méthodologiques et le nombre considérable de variables qu’il faudrait prendre en compte, ne serait-ce que pour la grande quantité de flux financiers impliqués: s’agit-il de transferts nets ou bruts, entre cantons, ou entre ces derniers et la Confédération, ou bien même entre assurés? Il est difficile de les qualifier tous de la même manière et donc de prétendre à l’exhaustivité ou à un grand degré de précision.

Au mieux, on ne peut que relever des tendances. Hélas, cette difficulté n’empêche pas certains de s’engouffrer dans ce débat et de raisonner de manière approximative, voire expéditive. À cet égard, on constate une surfocalisation et une surpondération de la péréquation intercantonale qui, il est vrai, favorise la Suisse romande. Pourtant, en prenant en compte l’IFD, première source de revenus de la Confédération, on voit que les flux s’inversent. C’était là le sens premier de ma réponse à l’article de M. Fumagalli.

D’autre part, j’ai voulu souligner la capacité de notre système fédéral à maintenir une tendance d’équilibre interrégional – et ce faisant à battre en brèche les polémiques stigmatisant une région du pays par rapport à une autre. En effet, si les Suisses romands n’ont pas à rougir de leurs contributions, ils n’ont pas non plus à rougir de ce qu’ils reçoivent en retour.

Il faut rappeler que les Suisses alémaniques ont été fortement avantagés sur les questions d’infrastructures ferroviaires et routières, en particulier pour les nouvelles transversales alpines: soit 23 milliards de francs de dépenses fédérales depuis l’an 2000! Or, ces infrastructures ont aussi été financées par les Suisses romands, alors qu’ils n’en profitent guère et que leurs propres réseaux sont parfois en souffrance.

Une étude sérieuse permettant enfin de trancher cette question a-t-elle été tentée?

Non, pas à ma connaissance: il faudrait une équipe multidisciplinaire et obtenir que tous les cantons collaborent. En l’absence d’une telle étude, on ne peut répondre qu’en donnant des tendances générales et en prenant en compte les plus grands flux financiers, ceux qui se chiffrent en milliards.

Pourquoi les Suisses alémaniques relancent-ils toujours cette vieille question?

Mon hypothèse est qu’il doit y avoir une certaine forme d’appréhension et de frustration du côté alémanique dues au fait que les politiques libérales s’érodent ponctuellement en Suisse. Je comprends ces appréhensions et j’admets volontiers que les impulsions étatistes sont souvent lancées depuis la Suisse romande (par exemple le salaire minimum). Toutefois, les opinions publiques romandes et alémaniques ne semblent pas évoluer dans des directions opposées. La tendance étatiste se confirme des deux côtés, même si les points de départ sont différents. Dès lors, je ne pense pas que les différences de sensibilités se sont aggravées, comme M. Fumagalli le laisse entendre dans son article. En Suisse alémanique aussi, on est devenu plus porté sur la redistribution étatique, sinon, la 13e rente AVS n’aurait jamais passé l’écueil de la majorité des cantons. Nous avons affaire à des mouvements importants dans l’ensemble de l’opinion publique suisse, de telle sorte qu’on ne peut réduire cette question à un phénomène «purement romand». Cela reviendrait à simplifier les choses et à faire des Romands les boucs émissaires d’une évolution plus large.

Certaines villes virent à gauche. Est-ce le cas de part et d’autre de la barrière des rösti?

Oui, le «Röstigraben» n’est qu’un clivage parmi d’autres. Le clivage entre les villes et les campagnes est aussi un élément pertinent et même structurant pour l’analyse du comportement de vote des deux côtés de la barrière des rösti. On le voit très bien dans le canton de Zurich où les villes divergent dans leur avis parfois fortement du reste du canton. Toutefois, malgré l’importance de ces clivages, on constate aussi que la Suisse reste dotée d’une certaine cohésion politique, contrairement à d’autres pays fédéraux européens, où les transferts avantagent massivement certaines régions au détriment d’autres. Cet équilibre est un élément précieux sur lequel on n’insiste pas assez alors même qu’il a une grande valeur politique.

François Othenin-Girard

publié dans la nzz

La Suisse romande coûte-t-elle trop cher?

M. Fumagalli a récemment livré une sorte de testament au terme de son activité de correspondant NZZ en Suisse romande qui mérite l’attention. Il relève avec préoccupation la dérive étatiste qui a cours dans la partie francophone du pays. Selon lui, les Romands seraient de plus en plus favorables à la redistribution et à la socialisation des ressources, ce qui aggraverait les clivages déjà existants. À terme, la cohésion confédérale serait même en danger.

Il faut reconnaître que quelques-unes de ses observations sont malheureusement exactes. Les résultats de plusieurs scrutins confirment d’ailleurs cette tendance. Toutefois, il est nécessaire de contextualiser cette évolution. Les Romands ne sont pas les seuls à être tentés par les politiques étatistes et socialisantes: la Suisse alémanique se dirige elle aussi dans la même direction (même si elle part de plus loin). Le récent succès de l’initiative populaire pour une 13e rente AVS le démontre. En réalité, l’ampleur du clivage observable entre Alémaniques et Romands sur les questions telles que les politiques sociales et le rôle de l’État semble plutôt stable. Il est donc douteux de suggérer que ces deux régions s’éloignent l’une de l’autre.

Le journaliste poursuit en soulignant que le volume des flux financiers est–ouest est important, notamment en raison des transferts induits par la péréquation financière intercantonale. Il serait donc dangereux pour les Romands de chercher à obtenir davantage de solidarité. Une fois de plus, cette affirmation mérite d’être discutée. En les considérant de manière agrégée, il est exact que les cantons romands sont bien bénéficiaires de la péréquation financière intercantonale. Toutefois, ces derniers contribuent aussi beaucoup à l’impôt fédéral direct (IFD). Ainsi, ils versent approximativement 30 % des recettes de cet impôt qui constitue la première source de revenus de la Confédération. Une telle part est remarquable alors que la Suisse romande ne représente qu’environ 22 % de la population suisse. Malheureusement, cette (sur)contribution n’est presque jamais mise en lumière, alors même que son ampleur dépasse celle des transferts interrégionaux de la péréquation.

Bien évidemment, une analyse sérieuse ne peut se borner à considérer uniquement la péréquation et l’IFD. Il existe d’autres flux à prendre en compte, en particulier ceux issus des assurances sociales ou du financement de la SSR, qui bénéficient en général plus aux Romands qu’aux Alémaniques. Toutefois, ces déséquilibres interrégionaux ont été beaucoup réduits avec les récentes réformes de l’assurance invalidité et de l’assurance chômage. Quant à la SSR, elle a dû réduire la voilure et devra sans doute continuer ses efforts. La tendance est donc à une réduction plutôt qu’à une augmentation des transferts.

D’autre part, il convient de considérer d’autres flux dont la prise en compte permettrait une meilleure évaluation des grands équilibres interrégionaux. On peut penser ici aux dépenses fédérales en matière d’infrastructures de transport, dont celles liées aux nouvelles transversales alpines ou à la gare de Zurich. Ces investissements, certes très utiles, se montent néanmoins à plusieurs dizaines de milliards (25 pour ces deux infrastructures). Or, une partie non négligeable de cette somme provient des contribuables romands, alors même qu’ils n’en profitent guère. Cette situation ne doit pas être sous-estimée alors que plusieurs organismes, dont les CFF, admettent que l’Ouest de la Suisse souffre d’un retard infrastructurel.

Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, on ne peut pas affirmer que la Suisse romande est subventionnée par la Suisse allemande, ni que les flux interrégionaux sont de plus en plus déséquilibrés. En réalité, il y a un bon équilibre entre ce que les Romands et les Alémaniques mettent dans le «pot commun» et ce qu’ils reçoivent en retour. Il ne faut donc pas se lamenter, mais plutôt se féliciter des équilibres actuels. Tous les pays fédéraux n’ont pas cette chance.

Cenni Najy, responsable politique

mobilité, énergie et environnement au Centre Patronal

Texte publié en allemand dans la NZZ du lundi 5 août 2024 dans la rubrique «Gastkommentar», en réaction («Replik») à un article d’Antonio Fumagalli.

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