Publié le: 8 novembre 2024

Café sous pression environnementale

BLASER CAFÉ ET BLASER TRADING – Le monde du café, comme celui d’autres biens agricoles produits à l’étranger, tel le cacao, affronte une vague de nouvelles législations européennes en lien avec les questions environnementales. Or, les répercussions en Suisse sont loin d’être anodines. Interview de Marc Käppeli, directeur et représentant de la quatrième génération.

En marge d’une visite des installations de Blaser Café à Berne, en bordure de la gare des marchandises, Marc Käppeli, directeur et représentant de la quatrième génération, a accepté de répondre à nos questions sur l’évolution actuelle du marché du café, en particulier à l’international et sous la pression législative. La PME familiale bernoise est en effet active dans le microcosme du trading de café vert, en plus d’être un torréfacteur bien implanté, livrant également du café vert à d’autres torréfacteurs, vendant elle-même au détail et exploitant – cerise de grand cru oblige – une poignée de bars à café dans la ville fédérale.

JAM: À propos du thème «toujours plus de réglementations», vous avez cité deux exemples en rapport avec l’Union européenne. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et comment ces réglementations affectent votre activité?

Marc Käppeli: Dans le cadre du contre-projet direct de la Confédération à l’initiative sur la responsabilité des multinationales, rejetée en 2020, les entreprises qui font le commerce de produits agricoles en provenance de pays en développement et qui ont atteint une certaine taille en termes de chiffre d’affaires sont tenues d’établir chaque année un rapport sur le développement durable à l’intention du public. Dans ce rapport, elles prennent position sur les risques qu’elles ont analysés et les mesures qu’elles ont prises pour respecter une activité durable sur le plan économique, social et écologique. Dans le domaine du café, il s’agit surtout du risque lié au travail des enfants dans ces pays. Cela concerne notre société sœur, Blaser Trading AG, auprès de laquelle nous achetons nos cafés verts.

Nous avons donc créé un nouveau poste de responsable de la durabilité pour ce rapport. Celui-ci s’occupera également de la loi sur le devoir de vigilance de la chaîne d’approvisionnement et de la loi sur la déforestation, qui est actuellement la priorité numéro un.

Deuxième exemple: à partir de janvier 2025 – avec un éventuel report d’un an – le règlement sur la déforestation EUDR (EU-Deforestation Free Regulation) entrera en vigueur. L’importateur de café doit pouvoir prouver, à l’aide d’une documentation précise, que le café qu’il importe dans l’UE provient d’une zone de culture qui n’a pas été déforestée au cours des dix dernières années. Le Conseil fédéral examine actuellement ce qui serait le plus judicieux pour l’économie suisse à ce sujet.

Cela implique une énorme charge administrative et financière, qui n’est pas encore estimable aujourd’hui et crée une grande incertitude chez les commerçants et les torréfacteurs de café. Les grands pays exportateurs de café, comme le Brésil, peuvent d’ores et déjà fournir les documents exigés par l’UE moyennant un supplément de prix, mais cela est très difficile pour les producteurs de café d’autres pays producteurs, comme l’Éthiopie. Enfin, il y a l’introduction du nouveau règlement bio de l’UE, auquel la Suisse est également soumise en vertu de l’accord d’équivalence avec l’UE et qui a déjà été reporté à 2026.

Les réglementations plus strictes touchent surtout les petites exploitations agricoles – comme c’est souvent le cas pour la culture du café – dans les pays non-membres de l’UE. À mon avis, cette nouvelle réglementation bio entraînera inévitablement, à court ou moyen terme, une réduction de l’offre bio et une augmentation des prix.

Face à ces exigences, quelle sera votre stratégie pour faire face aux défis et aux opportunités liés à ces réglementations?

D’une part, notre entreprise soutiendra l’esprit de ces réglementations et veillera à ce qu’elles soient respectées dans les délais imposés et, si possible, en les anticipant. En raison de la taille plutôt modeste de notre entreprise, nous agissons bien sûr de manière flexible, mais nous ne pouvons pas nous permettre de créer des postes entièrement dédiés à l’adaptation de cette nouvelle législation.

D’autre part, nous disposons d’un très bon réseau mondial de producteurs et de clients. Nous souhaitons aussi pouvoir proposer rapidement à nos clients des produits et des services conformes à la législation. On peut y déceler un avantage concurrentiel, à condition que nous puissions encore proposer des offres compétitives en dépit des efforts financiers nécessaires à cet effet. Notre service personnalisé nous permet de nous démarquer de nos concurrents les plus importants. Nous ne pourrons jamais jouer le rôle d’un «first mover», mais nous nous voyons plutôt dans celui d’un «fast adapter».

Cette année, vous avez publié pour la première fois un rapport de durabilité. Quels enseignements en avez-vous tirés avec quel impact sur vos activités?

Le chemin parcouru pour rédiger le rapport nous a déjà sensibilisés au niveau de la direction. Nous avons pris conscience de ce que nous voulions et que nous devrons réaliser au cours des prochaines années pour satisfaire le public, mais aussi nos propres exigences. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une période de changement de génération à la tête de cette entreprise familiale plus que centenaire.

La première version publiée du rapport de durabilité correspond à un rapport de situation ou à une situation de départ à partir de laquelle nous souhaitons nous développer. Il est beaucoup plus facile pour nous de récolter des «low hanging fruits» en matière de gestion écologique durable dans notre propre pays que d’influencer positivement l’empreinte du produit café dans le pays d’origine. Par exemple, avec une installation de récupération de chaleur dans le processus de torréfaction ou une installation photovoltaïque sur le toit de notre entreprise. C’est là que se situe le problème. En tant que produit, le café n’est pas durable dans notre conception actuelle. Cela nous amène à intensifier les échanges avec les fournisseurs et les parties prenantes. Les nombreuses demandes de clients et de partenaires sur le marché concernant notre stratégie de durabilité nous encouragent dans ce processus.

Comment le prix du café évolue-t-il actuellement et quels sont, en résumé, les facteurs qui influencent ce marché?

Les cotations sur les bourses du café vert Arabica (NY) et Robusta (Londres) se maintiennent depuis longtemps à un niveau très élevé, bien au-dessus de la moyenne à long terme. Avec un gros changement qui change toute la donne. La variété Robusta, jusqu’à présent généralement moins chère, atteint toujours de nouveaux prix records. Résultat, les torréfacteurs de café paient aujourd’hui leurs matières premières deux fois plus cher qu’il y a quatre ans, et ce bien que l’offre mondiale n’ait pas diminué.

Bien plus que les facteurs écologiques, ce sont les influences macroéconomiques, politiques et spéculatives qui jouent aujourd’hui un rôle important. Le marché du café est devenu un marché de vendeurs. Au niveau international, les transports par conteneurs sont devenus plus chers et plus difficiles, sans compter que les crises et les guerres sont source d’insécurité.

Le changement climatique est un défi pour la culture et le comportement de consommation des jeunes générations – avec par exemple une consommation de café plus élevée dans les pays producteurs – évolue également de manière influente.

Vous nous avez parlé de votre activité de négoce international. Pourriez-vous nous expliquer brièvement comment fonctionne ce marché ?

Notre société de négoce de café vert, Blaser Trading AG, achète du café non torréfié, généralement de très bonne qualité, dans presque tous les pays producteurs du monde. Nous le vendons ensuite en conteneurs ou en sacs à des torréfacteurs en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Dans de nombreux pays d’origine, nous entretenons des relations commerciales, mais aussi amicales, souvent de longue date, avec les producteurs et les exportateurs.

Les affaires sont basées sur la confiance mutuelle. Nous agissons de manière autonome, achetons la plupart du temps les grains de café vert directement à partir du port maritime «free on board». Nous organisons le transport par porte-conteneurs vers l’Europe, réservons la correspondance ou la suite du transport vers un entrepôt plus important ou directement chez le client. Nos compétences nous permettent d’assumer pour nos clients l’assurance qualité à plusieurs niveaux, au moyen d’une analyse et d’une dégustation d’échantillons, depuis l’offre jusqu’à la livraison.

Le préfinancement de la marchandise et le hedging des nombreuses positions de café, qui ont été achetées à terme par rapport à la bourse du café et peuvent être fixées par le vendeur jusqu’au moment de l’embarquement, présentent des risques et doivent donc être traités avec la plus grande prudence.

Avez-vous déjà envisagé de délocaliser votre entreprise et quels sont les facteurs que vous prenez en compte dans votre décision?

Il n’a jamais été question de délocaliser notre entreprise familiale à l’étranger, par exemple. La Suisse est encore aujourd’hui une place commerciale très importante pour les matières premières comme le café. En tant que torréfacteur, nous sommes traditionnellement très attachés au site de Berne. Nous nous trouvons à proximité de la frontière linguistique avec la Suisse romande et bénéficions donc de la confiance de nombreux clients dans toute la Suisse, ainsi que de celle de nombreux partenaires à l’étranger qui ne jurent que par notre «suissitude».

À propos de notre positionnement, nous avons aussi créé ici à Berne une nouvelle marque en lançant nos propres bars à café «Rösterei Kaffee und Bar», en visant la meilleure qualité, en proposant une offre de boissons fantaisie à base de café et en misant sur un service aimable et compétent.

Interview: François Othenin-Girard

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