Publié le: 6 décembre 2024

Mettre en valeur de beaux métiers

DÉCOLLETAGE – Grégory Affolter, président de l’Association des fabricants de décolletage et de taillage, s’exprime sur les enjeux liés à la numérisation pour ces métiers techniques et diversifiés dans la sous-traitance pour l’horlogerie, le médical et le dentaire, l’aéronautique et la connectique.

JAM: Comment la numérisation transforme-t-elle les processus de production dans le décolletage et le taillage, et quelles opportunités offre-t-elle pour accroître la compétitivité de votre secteur?

Grégory Affolter: Au niveau de la numérisation, il faut distinguer le décolletage et le taillage, car des différences existent, liées à l’accessibilité ou à la facilité d’apprentissage. Les collaborateurs apprennent le décolletage sur des machines à cames, c’est la base du métier. Mais par la suite, ils préfèrent passer au CNC numérique, qui est plus attirant, parce qu’on peut réaliser des pièces plus complexes. C’est aussi plus facile à maîtriser. Mais la base du métier reste le décolletage à cames.

Sur la compétitivité, je dirais qu’une machine CNC reste plus facile à mettre en train. Et sa vitesse de réactivité est un facteur important. Si on a des petites séries à faire, ou des prototypes, on peut vite passer d’une série à l’autre. De nombreuses entreprises de décolletage se sont spécialisées dans des pièces plus complexes, qui comportent beaucoup de fraisage. La CNC est devenue nécessaire.

Cela dit, les machines à cames restent très stables, quels que soient les changements de température, tandis que tout ce qui est électronique est beaucoup plus sensible. On peut vite perdre quelques microns et sans système de climatisation, il faut parfois arrêter les machines la nuit pour éviter ces fluctuations. Les machines à cames permettent d’avoir des cadences plus élevées, car ses outils sont plus proches de la matière.

Quels sont les principaux défis macroéconomiques actuels—comme les fluctuations des prix des matières premières ou les tensions sur les chaînes d’approvisionnement—qui impactent votre industrie, et comment y faites-vous face?

Notre industrie en Suisse est fortement liée à l’horlogerie qui utilise beaucoup le décolletage et lui offre ses principaux débouchés. Ces dernières années, l’horlogerie a très bien marché et connu une explosion de besoins importants après la pandémie, en profitant d’un effet de rattrapage et d’autres effets. Il y a eu beaucoup de travail partout, de besoins en machines et en sous-traitance.

Et durant cette phase de croissance, l’approvisionnement en matières premières a aussi créé des soucis, car tous les acteurs en avaient besoin en même temps. Au final, les choses ont relativement bien été gérées. Je crois que la plupart des entreprises ont pu trouver des solutions. Au niveau des prix, il y a eu une tendance générale aux augmentations, mais cela dépend aussi du type de produits que l’on fabrique. Dans l’horlogerie, ce sont souvent de très petites pièces qui demandent beaucoup de travail et pour lesquelles le prix de la matière est presque négligeable.

En revanche, dans la connectique avec des temps de cycles très faibles, le prix de la matière devient un facteur plus important. C’est une problématique mondiale, donc ce n’est pas le plus important facteur de différentiation et de concurrence.

Aujourd’hui, la situation économique est devenue globalement plus difficile. Avec le recul que nous connaissons, plusieurs entreprises connaissent le chômage partiel.

Quels sont les facteurs de concurrence les plus importants?

Comme toujours, la qualité, les coûts et les délais. Dans un marché comme l’horlogerie, la qualité a peut-être plus d’importance. Mais parfois, les délais le sont tout autant. Dans d’autres secteurs, les coûts sont plus importants. C’est alors le savoir-faire de l’entreprise qui prime, les machines utilisées, les temps de cycles qu’ils arrivent à tenir, les développements qu’ils ont, les pièces qu’ils font. Cet ensemble de facteurs permet de se démarquer.

De quelle manière votre association accompagne-t-elle ses membres dans l’adoption des technologies numériques et l’adaptation aux nouveaux modèles économiques?

Nous les accompagnons en organisant des événements, des visites. Les entreprises membres sont plus expertes que nous. Chacune a un savoir-faire précis par rapport à un type de produits. L’association soutient aussi les petits déjeuners de la Chambre d’économie publique du Grand Chasseral, sous la forme d’un séminaire le matin où tous nos membres sont invités. Parmi les thèmes figurent les nouvelles matières – un sujet important. Les nouvelles normes environnementales ont supprimé dans les alliages le plomb qui rendait l’usinabilité meilleure. Or, les pièces sont toujours plus petites, il faut des efforts immenses pour s’adapter à ces nouvelles matières sans plomb. Il y a différents travaux de recherche communautaire. Mais ce n’est pas notre tâche principale.

Quel est le rôle de l’AFDT?

Nous sommes là pour mettre en valeur les métiers, les apprentissages, en mettant à disposition des moyens pour aider les entreprises à trouver des apprentis et pour les soutenir dans leurs efforts de formation. Nous organisons les journées portes ouvertes, des débats pour pousser les entreprises à former des apprentis. En plus, nous avons aussi un rôle de networking sur des choses plus techniques ou des visites d’entreprises. Nous avons visité la manufacture Omega l’année dernière.

Sur la situation actuelle de l’apprentissage, quels seraient vos commentaires?

C’est chaque année un combat. Convaincre nos élèves et leurs parents de choisir un apprentissage dans nos entreprises. C’est aussi un combat du côté de ces dernières, car une grande majorité ne forment pas d’apprentis et attendent de trouver du personnel formé sur le marché du travail. Mais je dirais qu’on a tendance à être un peu trop pessimistes sur ces points. On dit souvent que le métier est mal vendu, qu’on demande trop, qu’il y a de l’huile et que c’est sale, que les ateliers sont vieillots. Mais en réalité, beaucoup d’efforts ont été faits. Nous avons mis sur pied un atelier du futur au CIP à Tramelan pour montrer les nouvelles machines et tout ce que la numérisation peut amener dans cette industrie. Je pense qu’il y a rarement eu autant d’apprentis option décolletage en cours de formation, entre 50 et 70 personnes par année. Ce qui veut dire que les choses fonctionnent bien, que les entreprises jouent le jeu. La situation est moins tendue qu’il y a vingt ans, lorsque la main-d’œuvre manquait et que certains décolleteurs étaient surpayés, jusqu’à 11’000 francs dans le Jura – pourquoi faire médecine avec un tel salaire?

Comment les fabricants de décolletage et de taillage peuvent-ils tirer parti de la numérisation pour innover et se différencier sur le marché mondial?

La numérisation est mondiale. Ce qui donne un avantage à la Suisse, c’est le savoir-faire, l’apprentissage dual. Et pour pouvoir vendre nos pièces plus chères, c’est la qualité que nous devons mettre en avant, afin de produire des pièces plus complexes.

Quelles stratégies préconisez-vous pour assurer la résilience et la croissance de votre branche dans un contexte économique incertain et en rapide évolution technologique?

Ces enjeux dépassent notre rôle associatif. Mais je pense que les moyens sont mis en place dans les entreprises pour innover, pousser à l’amélioration, faire des pièces plus complexes pour le médical. Nous avons notre rôle à jouer. Le marché est en rapide évolution technologique et c’est à nous de concrétiser cela. L’évolution, on ne doit pas juste la suivre, il faut la créer en ayant un rôle de leader.

Que dire au sujet de la diversification de ces entreprises?

Elle existe certainement en Suisse. Certaines sont totalement liées à l’horlogerie. D’autres n’y ont jamais touché. Certaines sont actives dans la connectique, un domaine qui a son rôle à jouer et des défis particuliers, avec ses coûts faibles et une forte productivité permettant de réaliser de grands volumes. D’autres s’activent dans le médical ou le dentaire, l’aéronautique, avec des volumes plus faibles, mais des travaux plus complexes.

Comment le télétravail influence-t-il les pratiques de travail dans le secteur du décolletage et du taillage, et quelles mesures vos membres prennent-ils pour s’adapter à cette tendance?

C’est difficile de faire tourner les machines à distance et ce n’est donc pas vraiment à l’ordre du jour! Dans la région, le succès a été limité, les gens avaient envie de revenir pour la plupart. Cela dit, dans le décolletage, on a toujours fait du «télétravail», si on veut: le but du décolleteur, c’est qu’à 16 heures, sa machine tourne, soit stable, avec des outils en phase et qu’elle puisse passer la nuit sans que les outils ne doivent être retouchés pour que le lendemain matin, les pièces soient bonnes. On dit qu’un décolleteur gagne sa vie quand il est au lit et que sa machine tourne et fait des pièces.

Quels défis l’arrivée de la génération Z sur le marché du travail pose-t-elle en termes de recrutement et de rétention, et comment y répondez-vous?

Les générations changent, la mentalité change. Les jeunes ne sont pas plus mauvais, ils n’ont pas moins envie. Il y a peut-être d’autres défis, des situations familiales plus difficiles. Nous devons aussi adapter notre discours, montrer que nos métiers sont des métiers d’avenir, l’importance du côté numérique est certaine pour les jeunes générations. Il y a plus de choix de métiers aujourd’hui et les futurs apprentis font plus de stages avant de se décider. Il y a aussi plus de passerelles et de portes de sortie après l’apprentissage. Et il y a plus de concurrence pour les convaincre. C’est ce que nous faisons. Nous montrons où vont les pièces. On peut montrer de belles montres, mais aussi des avions, des voitures, des ordinateurs, des robots. Des tas de choses intéressantes se font avec nos pièces.

François Othenin-Girard

www.afdt.ch

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