Publié le: 6 décembre 2024

Sa Masterclass au Japon

David Parrat – Cela fait des années que le boulanger-confiseur de Saignelégier a noué des contacts fructueux avec des professionnels japonais. Répondant cet automne à une invitation exceptionnelle, il est parti en octobre à Tokyo pour transmettre son savoir-faire et partager quelques spécialités de sa région. Si loin, une expérience des plus inspirantes.

Le patron boulanger-confiseur de Saignelégier a été invité au Japon pour donner une Masterclass. Retour sur une aventure qui constitue à la fois une preuve de reconnaissance professionnelle et l’occasion pour David Parrat, qui a fait le voyage avec ses deux fils, de montrer qu’on peut travailler et se faire plaisir.

Il en avait parlé dans sa newsletter avant de partir, il a posté des choses sur Instagram et il en a raconté une partie à la presse locale dès son retour. Son retour du Japon, précisons-le, où il est allé donner une leçon de boulangerie et pâtisserie à une classe de professionnels triés sur le volet. On appelle ça une Masterclass. Et même si ce patron boulanger-confiseur de Saignelégier ne dira pas que les Japonais étaient confits d’admiration, parce qu’il est modeste et que ça prêterait à sourire, on voit bien sur les photos ramenées tout le respect qu’il a su inspirer en quelques journées. Nous avons cherché à en savoir plus sur les tenants et aboutissants de cette fameuse Masterclass de Tokyo. Interview.

David Parrat, comment les Japonais ont-ils entendu parler de vous?

Mes liens avec le Japon remontent à 2012 et à mes premiers contacts avec le National Institute of Bakery of Japan, qui avait organisé en Suisse une grande promenade de découvertes pour ses membres, directeurs de boulangeries et autres entreprises actives dans le domaine alimentaire. C’est aussi l’histoire d’une amitié qui s’est nouée. Pour ma part, en collaboration avec mon collègue Olivier Hofmann, nous avions organisé une demi-journée de présentation de produits et techniques de la boulangerie suisse pour eux à l’école professionnelle de Delémont. J’ai eu ce jour-là le plaisir de faire la connaissance de Satoshi Kishino qui, à l’époque, travaillait dans une entreprise de minoterie. Au fil des années, il est revenu quatre ou cinq fois en Suisse. Il avait changé de poste et travaillait pour une grande boulangerie. Nous avons visité le Groupe Minoteries à Granges-Marnand et d’autres choses.

Comment est née l’idée d’une Masterclass de boulangerie jurassienne à Tokyo?

J’ai passé beaucoup de temps avec Satoshi Kishino. Nous avons beaucoup échangé, passé des soupers ensemble. Un vrai lien s’est noué. Il m’a alors proposé d’organiser un workshop au Japon, pour montrer ce que nous savons faire. Mais de mon côté, je n’étais pas très chaud, par manque de temps et d’énergie, je n’avais pas très envie de me mettre en avant, je suis comme ça au naturel. Je ne suis pas un Etchebest jurassien. Puis mes proches m’ont encouragé et l’âge avançant, tu réfléchis et tu te dis que c’est quand même un truc à faire au moins une fois!

Sur quelles bases le projet était-il défini?

Pour Tower Bakery, cette très grande entreprise boulangère basée à Tokyo, l’objectif de base était un exercice de teambuilding avec pour but d’allumer de la flamme de l’inspiration, rechercher de nouvelles recettes, découvrir d’autres techniques. Dans nos premiers échanges, les Japonais pensaient à une présentation de la tresse, du Totché (gâteau à la crème salé, spécialité jurassienne, ndlr). Et des petits pains au lait. Je trouvais cela un peu facile et, pour être franc, la perspective d’aller aussi loin pour des petits pains… Bref, en complément de leurs demandes, je leur ai alors proposé trois, quatre recettes originales à réaliser en six heures, un programme de travail, des classeurs avec les recettes, les fiches sur les produits, avec des informations historiques, bref, tout un dossier.

Et sur place, comment ça s’est passé?

Le premier jour, je me suis rendu au laboratoire mis à disposition à Tokyo, dans une banlieue qui sans en être une se trouve quand même à 25 kilomètres du centre. Là, j’ai commencé à préparer diverses choses, dont le levain. Le deuxième jour, j’ai passé quelques heures avec mes collègues japonais à tout préparer pour cette Masterclass. Et le troisième jour, les 25 participants étaient là et nous avons pu commencer.

Qui étaient les participants et de quels métiers provenaient-ils?

Tous étaient des employés de la Tower Bakery. Il faut comprendre l’envergure de ces activités. Il s’agit d’une très grande entreprise boulangère comprenant cinq entités dont trois boulangeries, une minoterie et une fabrique d’huile alimentaire. Le tout appartient à Showa, un immense groupe dont le client principal est 7 Eleven, une fameuse chaîne de supermarchés au Japon. Showa livre tous les jours 20’000 filiales de 7 Eleven et le groupe boulanger Tower Bakery approvisionne 5000 7 Eleven au quotidien. Ça permet de situer la taille…

Pour revenir à votre question, les participants sont pour la plupart des cadres, et à la base des personnes formées aux métiers de la boulangerie ayant pris du grade et des responsabilité dans la fabrication des produits. Donc des praticiens.

Vous parlez le japonais?

Non, à part quelques mots. Mon niveau d’anglais est celui d’un vacancier. J’ai été étonné de voir que très peu de Japonais parlaient l’anglais. Pour la présentation, nous avons utilisé un boîtier de traduction simultanée. Au-delà des difficultés de traduction, il est intéressant de voir que les Japonais réfléchissent de façon différente. Au début, je n’étais pas certain de comprendre si ces gens allaient participer ou simplement écouter. N’ayant pas eu de réponse précise, je me suis préparé pour une démonstration face à un auditoire.

Face Ă  ces professionnels japonais, comment vous ĂŞtes-vous senti?

J’ai un peu l’habitude de parler en public, cela fait quatorze ans que je donne des cours une fois par semaine à l’école professionnelle. Mais là, le public était différent. En fin de compte, de manière surprenante, je me suis vite senti à l’aise. J’ai été accueilli avec beaucoup de respect, comme un grand chef, même si je ne me comporte pas comme tel. J’ai trouvé chez eux un grand sens du respect hiérarchique et du respect humain. Peu à peu, j’ai pu retrouver mon rôle de leader, les participants étaient un peu passifs au début, j’ai alors commencé à distribuer les tâches et j’ai tout de suite senti que ça leur plaisait. Ils sont devenus de plus en plus participatifs.

Quelles sont les questions qu’ils vous ont posées?

Vu leur attrait pour la précision, je m’attendais à des questions pointues et techniques. Mais au final, elles reflétaient plutôt leur curiosité des choses simples et basiques sur le quotidien du boulanger et la vie en Suisse.

Un mot sur les spécialités que vous leur avez transmises?

Les sandwichs sandos ont le vent en poupe au Japon. J’avais pensé leur montrer comment faire un sandwich au lard et à la tête de moine. Mais comme c’est un fromage qu’ils ne trouvent pas couramment, il me fallait aussi une idée qu’ils puissent réaliser par la suite. Avec mes collègues japonais, nous sommes allés dans les supermarchés parce qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour comprendre les habitudes alimentaires. Je leur ai demandé de me montrer les produits avec lesquels le Japonais lambda prépare ses repas. Pour ce deuxième sandwich, nous avons donc pris des champignons poêlés, des pommes de terre – un aliment dont les Japonais sont très friands, et des Nori (ces algues séchées très iodées qu’on utilise pour les sushis Gunkan, ndlr).

Et au-delà du Saké pour les pralinés de Noël, dont vous avez déjà parlé au «Quotidien Jurassien», qu’avez-vous ramené dans la valise à idées, pour la boulangerie?

J’ai assez envie d’essayer ce que les Japonais appellent le Melon Pan qui est un produit phare de la boulangerie japonaise. Il s’agit d’une pâte levée sucrée, préparée sous la forme d’une petit pain très soufflé sur laquelle on pose une couche croustillante type craquelin, un mélange de farine, de sucre roux et de beurre qui forme une pâte que nous utilisons sur les choux.

Envie de retourner au Japon, lĂ ?

Oui, c’était une expérience géniale en tant qu’entrepreneur. Cela fait vingt ans que je fais ce métier et on a tous un peu de peine à lever le nez du guidon. De voir mon travail valorisé de cette manière, cela fait un immense bien. Et le fait d’apprendre à autrui les choses que nous faisons tous les jours nous permet de nous remettre en question, en particulier sur les techniques de travail. Cela nous montre aussi qu’on ne peut pas s’improviser boulanger et que la maîtrise des techniques et les connaissances professionnelles forment la base sur laquelle un travail créatif et abouti peut être proposé.

La créativité, la vôtre, est-ce quelque chose que les participants ont pu percevoir?

Je pense que oui. Il est très difficile de les faire sortir des sentiers battus et de ce qu’ils maîtrisent. C’est aussi un secteur industriel très à cheval sur les process de fabrication. Comme je l’ai déjà dit, si l’eau doit être froide, ils veulent savoir précisément à quel degré. Et ils ajoutent de la glace pour que l’eau à 18,2°C retombe à 18,0°C. Si on ouvre le pétrin à pâte, ne serait-ce que pendant 5 secondes pour vérifier où on en est, l’un d’eux se précipite pour arrêter la minuterie à l’autre bout de la salle. Parce que 15 minutes, c’est à la seconde près. L’idée que trop de régularité nuit au caractère du produit n’est pas facile à faire passer.

Il y a aussi une dimension familiale touchante dans ce voyage…

Oui, mes deux fils sont venus avec moi, celui de 13 ans et celui de 22 ans. Tandis que l’aîné en a profité pour faire un peu de tourisme, le cadet m’a accompagné partout. C’était le deal. Nous avons pu organiser cette Masterclass durant les vacances scolaires. Maël m’a dit plusieurs fois «Je vois que tu travailles!» Il a saisi que je ne travaillais pas que pour m’amuser, mais qu’on pouvait aussi avoir du plaisir en travaillant. C’est vrai que la première question que les gens lui posent, c’est: « Alors tu vas devenir boulanger quand tu seras grand?» Au fond, il choisira ce qu’il a envie de faire et j’espère qu’il fera avec passion ce qu’il aura choisir de faire.

François Othenin-Girard

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